— Ce n’est pas une mauvaise idée. Nous pourrions reconstituer sa marche possible. Il y a peu de chance pour que nous trouvions des preuves apparentes de sa situation actuelle, néanmoins je crois pouvoir estimer sans grand risque d’erreur ce qu’il a pu faire dans telle ou telle situation. Dans ce cas il me faudra beaucoup de renseignements afin d’avoir une vue très nette de l’ensemble. Vous devrez me dire tout ce que vous voyez et moi, je vous ferai part de mes découvertes. Tout d’abord, nous devons trouver l’endroit où l’appareil du fugitif s’est écrasé. Voulez-vous me montrer sur la carte le lieu où vous étiez ce jour-là ? »
Bob indiqua de son doigt un point sur la carte. À l’extrémité nord-ouest de l’île, au bout de la plus longue branche du L, la terre s’effilait pour se terminer brusquement dans la mer. De là le récif de corail s’étendait tout d’abord vers le nord pour s’incurver vers l’est et revenir vers le sud comme pour fermer complètement le lagon. Bob montrait la partie est de la péninsule.
« Ici, précisa-t-il, on trouve la seule plage de l’île. C’est l’unique endroit où le rivage n’est pas protégé par les récifs. Au sud de ce petit cap on trouve une centaine de mètres de côte avant que le récif ne réapparaisse pour protéger le rivage des brisants. Mes camarades et moi aimons beaucoup y aller et c’est là que nous nous baignions le jour de votre arrivée. Je revois très bien le requin qui s’était échoué. »
Le Chasseur expliqua à son tour :
« Peu de temps avant que nous atteignions l’atmosphère de la Terre, je poursuivais le fugitif en me guidant sur mon appareil automatique de contrôle. Je m’étais écarté de quelques mètres de sa ligne de vol, lorsque je compris que j’arrivais au voisinage d’une planète. Je repris la direction en main, car j’estimais dangereuse une telle rencontre. Nous étions à ce moment sur la même ligne. En admettant même que votre atmosphère ait pu amener quelques perturbations dans notre trajectoire, je ne crois pas que nos points de chute puissent être éloignés de plus d’un ou de deux kilomètres l’un de l’autre. J’en suis d’autant plus sûr que je surveillais le fugitif sur mon écran, dont le champ visuel est limité à dix degrés. Je suis donc persuadé qu’il n’est pas tombé très loin du rivage. Savez-vous si la profondeur de l’eau augmente rapidement autour de l’île ?
— Je l’ignore, mais je sais que de grands navires s’approchent fréquemment très près du récif.
— C’est bien ce que je pensais et je suis tombé à un endroit où il y avait peu d’eau. Nous pouvons donc affirmer qu’il s’est écrasé dans un rayon de deux kilomètres autour de ce point. »
Le Chasseur fit passer une ombre sur la rétine de Bob de telle façon qu’il ne vît plus qu’une surface très limitée, située à quelque distance de la plage. Puis il reprit :
« Je crois qu’il est inutile de procéder à des recherches au-delà de ce cercle. Il n’est certainement pas tombé sur la plage, car j’ai vu dans mes instruments qu’il coulait lentement après le premier choc. Je suis également à peu près certain qu’il n’a pas échoué dans le lagon puisque vous m’affirmez que l’eau est peu profonde. Il est arrivé avec une telle force dans l’eau, qu’il a dû immédiatement couler au fond ; et d’après le temps qu’il a mis pour descendre il devait y avoir au moins quinze mètres d’eau, sinon davantage.
« Nous pouvons donc baser nos recherches sur la certitude qu’il est tombé à l’ouest de l’île, à l’intérieur d’une circonférence de deux kilomètres de rayon et dont le centre serait à proximité de votre plage. J’admets que ce n’est pas une certitude absolue, mais cela nous donne au moins un point de départ. Avez-vous d’autres idées sur la question ?
— Je voudrais simplement vous demander combien de temps, selon vous, il lui a fallu pour gagner le rivage.
— Sur ce point vous en savez autant que moi. S’il a eu autant de chance que moi, quelques heures lui ont suffi. En revanche, s’il s’est trouvé dans des eaux très profondes avec encore moins d’oxygène que moi, il peut très bien avoir mis plusieurs jours ou même des semaines à se traîner sur le fond, car n’oubliez pas qu’il devait faire très attention, sachant que je n’étais pas loin. Personnellement je n’aurais jamais attaqué de requin, ni ne me serais hasardé à quitter le fond si je n’avais pas été absolument sûr d’être très près de la côte.
— Comment a-t-il pu savoir qu’il fallait prendre une direction donnée plutôt qu’une autre ? Peut-être est-il toujours en train de ramper sous l’eau ?
— C’est possible, mais avec la tempête qu’il faisait cette nuit-là, il a pu déterminer, aussi facilement que moi, la direction des brisants. Et si, d’autre part, le sol est aussi abrupt que vous le supposez il a pu trouver là une indication supplémentaire. Je ne crois pas que ce problème lui ait été difficile à résoudre. Étant donné que c’est un lâche – et cette réputation est bien établie – il est fort possible qu’il soit resté quelque temps dans l’épave de son engin.
— Donc avant de nous lancer dans d’autres recherches, il nous faudra explorer le récif sur un ou deux kilomètres de chaque côté de la plage, afin de voir s’il a laissé des traces. C’est bien ce que vous voulez dire ? Et en admettant qu’il ait réussi à gagner l’île, que croyez-vous qu’il ait fait ? Comme vous ?
— Vous avez raison quant aux recherches à effectuer, mais il est difficile de dire ce qu’il a pu faire en arrivant sur la plage. Sans aucun doute il a cherché à découvrir un hôte, mais toute la question est de savoir s’il a attendu que quelqu’un passe près de lui ou s’il est parti en exploration pour réaliser son projet. S’il a pris pied en un endroit d’où l’on aperçoit des constructions ou tout autre signe de vie, il s’est certainement dirigé vers ce point en partant du principe que tôt ou tard des créatures intelligentes finiraient par apparaître. Je suis à peu près sûr de ce que j’avance dans ce domaine et c’est pourquoi je tiens à connaître très exactement les lieux et les circonstances du drame afin de pouvoir deviner ses actes. »
Bob approuva d’un signe de tête et conserva le silence quelques instants avant de demander :
« Quelle sorte de traces espérez-vous découvrir sur la plage ? Et si par hasard vous ne trouvez rien, que ferons-nous ?
— Je ne sais pas. »
À quelle question le Chasseur avait-il répondu ? Bob aurait voulu le savoir, mais il décida d’attendre d’autres explications. Il était ennuyé de se rendre compte que les méthodes envisagées ne promettaient guère de bons résultats. Il réfléchit pendant quelques minutes et brusquement une idée lui vint.
« Chasseur, vous souvenez-vous que le jour de votre arrivée, vous n’avez pu vous approcher de moi qu’à l’instant où je m’étais couché sur le sable ? Il y a de fortes chances pour qu’il en ait été de même de votre fugitif. Vous m’avez dit vous-même que plusieurs minutes étaient nécessaires pour pénétrer dans le corps d’un homme et votre ennemi intime n’avait certainement aucune envie d’être découvert. On arrive donc à restreindre le champ des investigations en ne retenant comme suspects que les gens qui sont allés s’étendre tout près de l’eau au cours des derniers mois. Il n’y a aucune maison dans le voisinage immédiat de la mer. La plus proche est celle de Hay. Par ailleurs, peu de gens viennent pique-niquer dans ce coin-là, comme nous le faisions, mes camarades et moi. Qu’en pensez-vous ?