Le Chasseur déploya toutes ses possibilités pour se servir du mieux possible des yeux de Bob. Ils approchaient de la limite qu’ils avaient fixée au nord de la plage comme étant l’endroit au-delà duquel il y avait peu de chance de trouver une piste de leur fugitif. Selon toutes vraisemblances il ne pouvait guère avoir touché terre plus loin de ce côté-là. Les vagues déferlaient sur un des bords de la petite île alors que de l’autre, l’eau du lagon était relativement calme. À quelques centaines de mètres de là on apercevait l’immense masse de béton d’un réservoir. L’embarcation en approchait et l’on pouvait voir les minces silhouettes des ouvriers passant sur les passerelles qui longeaient le toit plat. Au-delà, à deux ou trois kilomètres, on découvrait vaguement quelques maisons.
Le Chasseur ne pouvait quand même pas considérer cela comme une piste probable et il reporta son attention sur les alentours immédiats. La petite bande de terre sur laquelle ils se trouvaient ressemblait à celle où Hay avait installé son aquarium. Les bords en étaient également déchiquetés, coupés de place en place par des murailles de coraux encore vivants sous lesquels l’eau gargouillait et disparaissait pour repaître un peu plus loin sous la poussée des vagues. Quelques-unes de ces ouvertures étaient très larges du côté de la mer, alors que vers le lagon, seul un orifice assez étroit laissait passer l’eau. Il fallait voir là l’explication du calme qui y régnait alors que le mouvement incessant des vagues s’exerçait sur l’autre face. Les garçons menaient leurs recherches dans la plupart de ces grandes ouvertures, sachant très bien qu’il n’y avait rien à trouver dans les eaux trop agitées.
Rice venait de sauter le premier à terre et courait vers l’un de ces passages pendant que ses camarades tiraient l’embarcation hors de l’eau. Il se précipita vers un des petits canaux et allongea la tête au ras de la surface. Puis mettant la main devant ses yeux il examina le fond à travers l’eau très claire. À l’instant où les autres le rejoignirent, il achevait déjà d’enlever sa chemise et lança vivement :
« C’est à moi d’essayer le premier. »
Les jeunes garçons se penchèrent à leur tour pour découvrir ce que Rice avait vu. Avant qu’aucun d’eux n’ait eu le temps de fixer son attention, Rice avait déjà plongé et il était à présent impossible de voir quoi que ce fût dans l’eau troublée. Il resta au fond quelques instants et demanda en réapparaissant à la surface qu’on lui donnât un des longs bouts de bois qui se trouvaient dans le bateau.
« Je n’arrive pas à le faire bouger, déclara-t-il, on croirait que c’est soudé au fond.
— Qu’est-ce que tu as trouvé ? demandèrent plusieurs voix en même temps.
— Je n’en sais rien. C’est la première fois que je vois un truc comme ça. C’est même pour cela que je tiens à le remonter. »
Il prit la perche que lui tendit Colby et disparut de nouveau sous l’eau. L’objet qu’il essayait d’atteindre se trouvait à peu près à un mètre cinquante de la surface, mais cette profondeur augmentait régulièrement avec le passage incessant des vagues.
À plusieurs reprises Rice remonta pour respirer sans avoir pu faire bouger l’objet mystérieux. Finalement Bob plongea avec lui pour l’aider. Grâce au Chasseur, Bob jouissait d’un avantage supplémentaire sur ses camarades. En accentuant la courbure de sa rétine, le Chasseur permettait à Bob de voir à peu près aussi bien dans l’eau que dans l’air. Il put donc se rendre compte très rapidement de l’apparence de l’objet que Rice essayait d’atteindre. Cependant il ne put attacher à un souvenir ce qu’il voyait. C’était une demi-sphère de métal sombre, de vingt à vingt-cinq centimètres de diamètre et d’un centimètre d’épaisseur, dont le côté plat était à demi protégé par une plaque de même métal. L’objet était suspendu à une branche de corail à quelques centimètres du fond, un peu comme une casquette accrochée à un portemanteau. L’autre moitié avait dû tomber plus loin. Rice s’efforçait de ramener la demi-sphère avec sa perche. Après quelques minutes de vains efforts, ils remontèrent respirer une fois de plus et décidèrent de mettre au point une tactique plus rationnelle. Bob irait jusqu’au fond du petit canal et glisserait le bout de la perche sous l’objet en question. À son signal, Rice prendrait appui sur son pied et pousserait de l’autre pour faire tomber le gros fragment de corail qui bloquait la demi-sphère. Le premier essai ne donna rien. Bob n’avait pas poussé la perche assez loin et elle glissa sur le côté. Le second, en revanche, réussit même trop bien. L’objet en métal sortit très facilement de l’anfractuosité où il était coincé et glissa aussitôt vers un endroit plus profond. Bob, qui commençait à manquer de souffle, revint à la surface. Il respira profondément et s’apprêtait à commenter le résultat avec Rice lorsqu’il s’aperçut que la tête aux cheveux flamboyants avait disparu. Il supposa un instant que son camarade était retourné au fond après avoir renouvelé sa provision d’air, mais à ce moment-là le niveau de l’eau baissa brusquement et la tête de Rice apparut.
« Au secours ! Mon pied est… »
Il ne put en dire davantage car l’eau venait de remonter, mais la situation était extrêmement claire. Bob plongea immédiatement, coinça son pied au fond et essaya de soulever le gros morceau de corail qui était tombé sur le pied de Rice dès que la sphère de métal avait été enlevée. Il ne réussit pas mieux qu’auparavant et, très inquiet, remonta à la surface au moment ou l’eau baissait de nouveau.
« Ne parle pas ! Respire ! » hurlait Malmstrom, ce qui était à peu près inutile, car Rice était trop occupé à aspirer de l’air frais dès qu’il le pouvait pour songer à autre chose. La perche avait disparu et Bob la chercha rapidement autour de lui. Il la vit flottant sur l’eau a quelques mètres et plongea aussitôt pour la ramener. Sans mot dire Colby s’était éloigné vers l’embarcation et, au moment où Bob nageait en poussant la perche devant lui, le jeune garçon revenait en portant le seau que Hay avait mis tout à l’heure dans le bateau.
Tout se passa alors si rapidement que ni Malmstrom ni Hay n’eurent le temps de comprendre ce qui arrivait. Avec des yeux ronds ils contemplaient Hugh Colby et son seau. Colby ne perdit pas son temps en vaines explications et se précipita vers le bord de l’eau à l’endroit où Rice allait apparaître. Au moment où le niveau baissait, il posa vivement à l’envers le seau sur la tête de son camarade :
« Tiens-le bien ! » cria-t-il, sortant de son mutisme pour la première fois depuis le début de la promenade.
Rice comprit heureusement sur-le-champ ce qu’on lui conseillait et au moment où l’eau remontait pour le submerger il découvrit avec satisfaction que son visage était à présent entouré d’un plein baquet d’air. Bob qui était au fond à essayer une fois de plus de bouger le morceau de corail, n’avait pas vu ce qui s’était passé et eut du mal à en croire ses yeux lorsqu’il comprit le stratagème de Rice.
« Veux-tu que l’on descende ? demanda Hay très inquiet.
— Je crois que cette fois je vais y arriver, répliqua Bob; ce qui m’inquiétait le plus c’était de ne pas savoir s’il pourrait tenir le coup. Maintenant tout ira bien. Laisse-moi souffler encore une minute et je redescends. »