— Nous avions des ennuis semblables avec les mêmes bêtes dans mon univers, répliqua le Chasseur. Lorsqu’elles devenaient trop ennuyeuses nous les exterminions ; mais je crains qu’un problème beaucoup plus sérieux se présente à nous sous peu. D’après la tournure des événements j’ai l’impression qu’il va falloir mettre votre idée primitive à exécution, tout au moins pour examiner le jeune Teroa. »
Sans mot dire, Bob acquiesça de la tête et tout en marchant, il examinait les possibilités de réaliser son projet. Les buissons étaient plus clairsemés à présent et l’on pouvait marcher sans être obligé de baisser constamment la tête. Bob arriva à la source du ruisseau qui allait se jeter dans la crique. Même à son origine, le torrent était assez large et profond. De mémoire d’homme, la source ne s’était jamais tarie. Une épaisse végétation garnissait les bords et l’on apercevait les racines qui sortaient de place en place. Des blocs de rocher étaient tombés, formant des passages naturels recouverts de mousse. En plusieurs points un tronc d’arbre barrait le cours, provoquant ainsi de petites mares d’où jaillissaient, par endroits, de minces cascades.
C’est devant une telle mare que Bob et le Chasseur atteignirent le ruisseau. L’arbre qui en était la cause devait être là depuis de nombreuses années, car il n’avait plus de branches et ses extrémités étaient à demi enfouies dans le sol. De l’autre côté, l’eau avait creusé une étroite tranchée en s’écoulant, aggravant ainsi la situation de l’arbre qui ne reposait plus que par les deux bouts. Bob s’approcha et, sans le moindre signe avant-coureur, le sol s’effondra sous lui. Il ressentit un choc violent à la cheville. Il eut les réflexes assez rapides pour se rattraper à une branche et resta quelques instants en déséquilibre, la jambe droite enfouie jusqu’au genou.
Brusquement il ressentit une vive douleur dans le pied et aussitôt le Chasseur lui dit sur un rythme précipité :
« Attention, Bob, ne bougez pas votre jambe droite.
— Qu’est-ce que j’ai ? Cela me fait mal !
— Je comprends ! Laissez-moi faire. Vous vous êtes profondément coupé sur un bout de bois et je vous répète de ne pas bouger. Ce serait plus grave encore. »
Le Chasseur avait tout de suite vu ce qui s’était passé. Un long éclat de bois très fin enfoncé tout droit dans le sol était entré en diagonale sous la cheville de Bob et le poids du jeune garçon reposait dessus. Le bout de bois frôlait à présent l’os du cou-de-pied et avait légèrement entamé l’artère. Sans la présence du Chasseur, le jeune garçon éloigné comme il l’était de tout secours aurait très bien pu succomber à une hémorragie avant que quiconque se soit alarmé de son absence.
Le Chasseur s’était mis immédiatement à l’ouvrage et il avait fort à faire. Sans perdre une minute, il s’occupa de refermer les déchirures du système circulatoire et détruisit la multitude de micro-organismes qui venaient d’entrer dans le corps de Bob. De plus, le bois semblait fixé dans la terre et Bob se trouvait immobilisé sur place sans pouvoir retirer sa jambe. Le Chasseur envoya plusieurs tentacules en exploration afin de se rendre compte de la nature exacte du sous-sol.
Les premiers résultats ne furent guère encourageants. Les pseudopodes du Chasseur rencontrèrent d’abord de l’eau, puis la branche continuait toute droite dans le sol dur pendant plusieurs centimètres. Un peu plus bas, elle était cassée, presque à angle droit. Le Chasseur comprit aussitôt qu’il ne serait pas assez fort pour redresser le bois cassé et que Bob n’était pas en état de l’aider beaucoup.
Il tenait surtout à épargner à son hôte toute douleur physique, mais il estima préférable de mettre Bob au courant de la situation.
« C’est bien la première fois que je regrette de ne pas pouvoir vous empêcher de souffrir sans risquer d’altérer dangereusement votre système nerveux. Vous allez certainement souffrir. Je vais essayer de comprimer le plus possible vos tissus musculaires autour du bout de bois pendant que vous tirerez votre jambe. Je vous préviendrai lorsque le moment sera venu. »
Bien que le Chasseur s’efforçât de maintenir la tension sanguine de Bob, celui-ci pâlissait de plus en plus et il dit d’une voix faible :
« Tant pis si je suis blessé, il faut bien que je sorte d’ici. »
Le Chasseur comprit que le jeune garçon ne pouvait pas rester plus longtemps dans cette position et estima qu’il fallait l’aider, ou du moins l’encourager.
« Bob, lui dit-il, je crains d’agir sur vos nerfs, car je ne suis pas sûr que mon action cesse rapidement et d’autre part il faut que vous conserviez le contrôle de votre jambe. Je ne puis soulever votre cheville tout seul, mais si cela fait trop mal j’essaierai d’atténuer la douleur.
— D’accord, allons-y tout de suite. » Le Chasseur envoya la plus grande partie de son corps autour du bout de bois acéré afin d’empêcher que son hôte ne perde trop de sang lorsque l’éclat quitterait la cheville de Bob. Les lèvres serrées par la douleur, le jeune garçon tira sa jambe centimètre par centimètre, faisant un nouvel effort chaque fois que le Chasseur le lui disait. Il fallut plusieurs minutes pour mener à bien l’opération, puis finalement Bob sentit sa cheville libre.
Tout en connaissant parfaitement les conditions particulières dont il bénéficiait, Bob fut un peu étonné de voir que son pantalon était à peine taché par la terre. Il s’apprêtait à le relever pour voir sa blessure, mais le Chasseur arrêta son geste :
« Attendez un peu si cela ne vous fait rien ! Pour l’instant allongez-vous et restez immobile quelques minutes. Je sais que vous n’en n’éprouvez pas le besoin, mais croyez-moi c’est indispensable. »
Bob jugea que le Chasseur savait mieux que lui ce qui se passait dans son corps et il obéit à l’invite. Normalement il aurait dû s’évanouir, car avec une telle blessure la volonté n’a pas grand effet. Grâce au Chasseur il n’éprouvait aucun malaise et attendit quelques instants allongé sur le sol.
Tout s’était passé si rapidement que Bob avait à peine eu le temps de s’en rendre compte, mais à présent il comprenait que les événements qui venaient de se produire dans la dernière demi-heure avaient suivi avec une fidélité étonnante les vagues craintes dont il s’était entretenu, en plaisantant, avec le Chasseur. Cette succession de faits s’ajoutant au dévouement de la créature invisible qui l’habitait l’impressionnèrent fortement.
XV
UN ALLIE
Pour le Chasseur qui avait eu le temps d’examiner en détail les os de l’infortuné Tip et le bout de bois pointu qui avait blessé profondément son hôte, il ne s’agissait là que d’une simple coïncidence. S’étant rendu compte que le fugitif n’était aucunement mêlé à l’une ou l’autre de ces aventures, il ne songea même pas à faire part de sa certitude à Bob. À ce moment les pensées du jeune garçon s’éloignèrent totalement de celles du Chasseur et cette divergence qui aurait pu avoir des effets funestes devait se révéler par la suite extrêmement salutaire.
Bob était allongé depuis quelque temps lorsqu’une voix s’éleva non loin de là, clamant son nom à tous les échos. Le jeune garçon voulut se mettre debout aussitôt et faillit s’évanouir tant la douleur qu’il ressentait dans la jambe était forte.
« J’avais complètement oublié Norman, déclara Bob à haute voix. Il a dû en avoir assez d’attendre et vient à ma rencontre. » Avec beaucoup plus de précautions, il s’appuya sur sa jambe blessée et ne put retenir une grimace. Tout médecin lui aurait déconseillé fortement de marcher aussi vite après son accident et le Chasseur était du même avis.