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« Je ne peux pas faire autrement, affirma Bob. Si je déclare ne plus pouvoir marcher, on va me mettre au lit et je ne vous serai plus d’aucun secours. Je vais faire l’impossible pour dissimuler ma douleur et de toute façon je n’ai pas à redouter l’infection puisque vous êtes là.

— J’admets qu’aucune complication n’est à craindre, mais…

— Il n’y a pas de mais ! Si jamais quelqu’un apprenait que je me suis blessé si profondément on m’enverrait aussitôt chez le docteur, qui ne voudrait certainement pas croire qu’avec un tel trou dans la cheville, j’aie pu rentrer chez moi sans la moindre hémorragie. Vous avez trop fait pour moi à présent pour pouvoir demeurer caché plus longtemps. »

Le jeune garçon se mit à descendre la colline en boitant un peu, pendant que le Chasseur ne pouvait que déplorer cette association dans laquelle il se trouvait engagé et dont l’un des membres voulait prendre la direction des opérations sans être qualifié pour cela.

Quelques instants plus tard le Chasseur songea qu’il ne serait peut-être pas mauvais au fond que le médecin fût mis au courant de sa présence. On trouverait probablement en lui un allié précieux. Bob possédait assez de preuves à présent pour entraîner la conviction d’un être plus borné que ne l’était le docteur Seever. Le jeune garçon n’aurait aucun mal à prouver que le Chasseur était bien réel et non pas un produit de son imagination. Malheureusement le Chasseur y songea trop tard pour en faire part à Bob, car Norman apparaissait au détour du sentier.

« Où étais-tu ? lui demanda-t-il. Qu’est-ce qui t’est arrivé ? J’ai eu le temps de prendre ma bicyclette et d’aller devant chez toi pour t’attendre assez longtemps pour prendre racine. Tu t’es accroché dans les ronces ?

— Je suis tombé, dit Bob, et je me suis collé un sacré coup à la jambe. Pendant un petit bout de temps je n’ai pas pu poser le pied par terre.

— Pauvre vieux ! Et à présent, ça va mieux ?

— Pas encore très fort. Mais j’arrive à marcher. En tout cas je pourrai faire du vélo. Viens avec moi à la maison pour prendre le mien. »

La rencontre des deux camarades s’était produite non loin de la maison des Kinnaird, car Hay n’avait pas voulu s’aventurer très loin dans la jungle, de peur de manquer son camarade. Malgré la blessure de Bob, ils arrivèrent chez lui en quelques minutes et il fut enchanté de voir qu’effectivement il pouvait aller à bicyclette en s’abstenant simplement de trop appuyer sur la pédale du pied malade.

Ils se dirigèrent alors vers le chantier de construction, échangeant des plaisanteries quant aux difficultés que devaient rencontrer leurs copains pour pousser le bateau à demi submergé à travers les brisants. Puis ils se mirent à chercher tout ce qui pourrait se révéler d’une utilité quelconque pour les réparations à effectuer. Le bois ne manquait pas et bien avant l’heure du dîner ils avaient eu le temps de constituer de petits tas soigneusement dissimulés en divers endroits éloignés pour être sûrs que personne n’y toucherait jusqu’au lendemain. D’une certaine manière ils étaient honnêtes, car ils se promettaient de demander l’autorisation par la suite.

Deux événements empêchèrent Bob de revenir sur les lieux après l’école. Le lundi matin, son père s’aperçut qu’il boitait en descendant l’escalier et lui en demanda la raison. Bob donna la même explication qu’à Hay, mais son père lui dit alors :

« Montre un peu ! »

Bob, un peu inquiet, remonta son pantalon à mi-jambe, découvrant ainsi l’endroit de sa blessure. Celle-ci avait, évidemment, assez bon aspect, car le Chasseur avait fait le nécessaire pour resserrer les tissus. Au grand soulagement de son fils, M. Kinnaird ne l’interrogea pas sur la profondeur de sa blessure et sembla admettre qu’aucun danger d’infection n’était à redouter. Pourtant le soulagement de Bob fut de courte durée, car son père s’éloigna en déclarant :

« Je suis content que ce ne soit pas plus grave, mais si tu boites encore demain tu feras bien d’aller faire un tour chez le docteur Seever. »

Le respect que le Chasseur éprouvait pour M. Kinnaird s’accroissait chaque jour devant la logique froide du père de Bob.

En se rendant à l’école, Bob ne put penser à autre chose. Il était presque sûr que ses muscles froissés l’obligeraient à boiter pendant quelques jours encore. Chasseur ou pas Chasseur, il serait assurément incapable de marcher très droit devant son père qui devait se rendre également au chantier de construction. À la fin de la classe, un autre incident le retarda. Le professeur s’occupant des élèves les plus âgés lui demanda de rester quelques minutes afin de faire le point de ses connaissances par rapport à celles de ses camarades. Bob eut le temps de prévenir les autres qu’il arriverait plus tard et les vit partir d’un œil triste vers le nouveau réservoir. Puis il retourna vers la salle de classe pour subir l’assaut des questions de son professeur. L’entretien dura plus longtemps qu’il ne l’escomptait. Comme il arrive fréquemment lorsqu’un élève change d’institution, les programmes diffèrent sur certaines matières. Quand Bob fut enfin d’accord avec son professeur sur le niveau d’instruction qui lui convenait, ses camarades avaient certainement obtenu déjà tout le matériel nécessaire et retournaient à la crique.

Restait le problème de sa jambe. Il avait bien essayé tout la journée de marcher en s’efforçant de dissimuler sa claudication, mais il s’était rendu compte que sa mimique attirait encore plus l’attention. Devant l’école il réfléchit quelques minutes, puis décida d’en parler au Chasseur. La réponse de ce dernier le surprit au plus haut point.

« À votre place je suivrais les conseils de votre père, et j’irais voir le docteur Seever.

— Et que pourrais-je lui raconter ? Il n’est pas fou et ce n’est pas le genre d’homme à croire aux miracles ! Il ne se contentera certainement pas d’examiner simplement ma blessure. Il regardera la jambe entière. Comment pourrais-je lui expliquer ce qui s’est passé sans parler de vous ?

— Je pensais justement à cela. Qu’y a-t-il qui vous inquiète tant, dans l’idée de révéler ma présence au médecin ?

— Je n’ai pas envie d’être enfermé dans un asile, c’est tout. J’ai eu assez de mal moi-même à croire à votre histoire.

— Vous n’aurez sans doute jamais meilleure occasion que celle-ci de vous faire écouter. Si le docteur est aussi sincère que vous le dites, je vous aiderai à donner des preuves. Je n’ai aucune envie de raconter mon histoire à tout le monde, mais néanmoins j’estime que le docteur Seever pourrait être une excellente recrue pour mener à bien notre tâche. Il a des connaissances que ni vous ni moi ne possédons et sans doute acceptera-t-il de les mettre à notre service lorsque nous lui aurons démontré que le fugitif risque de déchaîner des désastres.

— Et si par hasard il était justement l’hôte de votre collègue ?

— De tous les gens de l’île, c’est certainement lui qui aurait le moins de chance d’être choisi. En admettant, malgré tout, que ce soit le cas, je m’en assurerais très vite. Nous pouvons toutefois prendre certaines précautions. »

Il exposa à Bob les grandes lignes de son projet. La maison du docteur n’était guère éloignée de l’école et si Bob n’avait pas eu mal à la jambe il n’aurait certainement pas pris sa bicyclette pour s’y rendre. Un autre malade se trouvait dans le cabinet du médecin et ils durent attendre un peu. Au bout de quelques minutes Bob et son invité invisible entrèrent dans la salle de consultation du docteur Seever.

« Tu reviens bien vite me voir, Bob, lui dit le docteur avec un sourire aimable. C’est encore ton coup de soleil qui te donne des ennuis ?

— Oh ! non, c’est loin tout ça !