« — Je vous éclairerais bien volontiers sur ce point si j’étais certain qu’une telle injection ne fasse aucun mal à Bob. Toutefois je puis vous assurer que notre fugitif pourrait dans un tel cas se retirer simplement du membre dans lequel vous injectez le vaccin afin d’attendre tranquillement que les effets soient atténués. Je pense, cependant, que les chances d’une action profonde sur nous sont très réduites. Il serait bien préférable que je puisse l’examiner moi-même. Dès que nous aurons découvert notre fugitif, nous pourrons toujours trouver un moyen de l’empêcher de nuire. »
— J’ai l’impression que, dès que vous l’aurez repéré, il faudra que vous ayez la possibilité d’agir rapidement. Tout ce que je puis vous offrir dans ce domaine, et qui soit sans danger pour son hôte, se résume à quelques antibiotiques et à des vaccins. Nous ne pouvons quand même pas les essayer tous à la fois sur Bob. Nous aurions dû y penser beaucoup plus tôt afin d’avoir le temps de faire des essais. »
Le docteur se plongea dans ses pensées pendant quelques instants, puis déclara :
« Nous pourrions peut-être commencer dès maintenant à faire des essais en employant une substance à la fois ? J’en connais qui sont absolument inoffensives. Vous pourriez nous dire alors quelles sont les réactions qui se développent chez vous. Nous ferions le nécessaire alors pour que vous puissiez quitter très rapidement le corps de Bob jusqu’à ce qu’il ait éliminé les substances que vous ne pourriez supporter. Nous remettrions l’examen de Teroa jusqu’au moment où nous aurions trouvé un élément nous permettant d’être fixés à coup sûr. Si, par hasard, nous n’en découvrions aucun, la situation ne serait pas pire qu’elle ne l’est actuellement.
— Vous avez dit vous-même qu’il faudrait plusieurs jours et Teroa doit quitter l’île dans quarante-huit heures, dit Bob.
— Ce n’est pas certain. Je serais navré d’en arriver là, car je sais à quel point le jeune homme a envie de quitter les lieux, mais je peux toujours le mettre en observation en le priant de revenir me voir un peu plus tard. Ce qui remettrait son départ au prochain passage du navire. Nous aurions ainsi dix jours devant nous et en essayant deux produits par jour, nous aurions malgré tout une chance sérieuse de découvrir quelque chose. Nous commencerions par les antibiotiques, car les vaccins sont des produits très étudiés dont on connaît à peu près les réactions.
« — Tout à fait d’accord, si Bob est de cet avis, répondit le Chasseur. Quel dommage que nous n’ayons pas songé plus tôt à vous prendre avec nous, docteur. Pourrions-nous commencer tout de suite les essais ? »
— Et comment ! » répliqua Bob en s’asseyant sur un tabouret pendant que le docteur enfilait une blouse blanche.
« Je me demande si cela vaut la peine que tu enlèves ta chaussure pour que j’examine ton pied, dit le docteur à Bob en lui frottant le bras à l’alcool. D’après ce que j’ai pu apprendre sur celui que vous recherchez, il peut s’en aller s’il s’y trouve obligé. Tu es prêt ? »
Bob fit un signe de tête et le docteur enfonça l’aiguille de la seringue hypodermique dans son bras. Puis il appuya. Le jeune garçon fixait un mur blanc, très inquiet d’apprendre les réactions du Chasseur.
« — Je ne trouve qu’une autre espèce de molécules de protéine, annonça finalement le Chasseur. Demandez donc au docteur si je dois faire disparaître le liquide qu’il vient de vous injecter ou si je le laisse se répandre dans votre corps. »
Bob transmit le message.
« — Autant que je puisse savoir, répondit le médecin, cela n’a pas d’importance, mais je préférerais que le Chasseur laisse le vaccin se répandre librement et qu’il me dise les effets produits sur ton organisme. Nous croyons actuellement qu’il est sans danger, mais personne n’en est sûr. Mieux vaut limiter les expériences à une seule injection aujourd’hui. Tu peux aller rejoindre tes amis, Bob, mais fais bien attention. Teroa n’est pas le seul suspect. »
En montant à bicyclette la douleur de sa jambe se rappela à lui. Et il songea brusquement que le médecin n’avait même pas pensé à regarder sa blessure. Il souhaitait pouvoir l’oublier aussi complètement. Le trajet ne lui prit pas beaucoup de temps et il remarqua qu’un tas déjà important de morceaux de bois divers était amassé près de l’endroit où les garçons avaient abandonné leurs bicyclettes. Il posa la sienne à côté des autres et se mit à la recherche de ses camarades.
Les quatre garçons avaient délaissé un moment la recherche du matériel de réparation. Pour l’instant ils étaient tous à côté de la paroi de béton que Bob avait vu couler. Le ciment était sec à présent et l’on préparait le coffrage pour les murs de côté. Les garçons, penchés sur le haut du mur, regardaient l’intérieur du futur réservoir. Bob se joignit à eux et vit qu’ils avaient les yeux fixés sur quelques hommes qui semblaient se livrer à une occupation étrange. Tous portaient des masques, mais l’on reconnaissait quand même celui qui les dirigeait : c’était le père de Malmstrom. Il semblait s’occuper d’un compresseur relié par un tube flexible à un tonneau contenant du liquide et, de l’autre côté de la machine, un second tuyau se terminait par un embout aplati. L’un des hommes répandait le liquide sur le ciment pendant que derrière lui d’autres s’avançaient, une lampe à souder à la main. Les garçons avaient une vague idée de ce qui se passait sous leurs yeux. La plupart des bactéries employées dans les reservoirs donnaient naissance à des produits extrêmement corrosifs, soit au cours du processus de transformation, soit comme déchet. La vitrification appliquée sur les parois était destinée à protéger le béton de ces substances très actives. L’opération consistait à étendre un produit chimique à base de fluor que l’on avait découvert quelques années auparavant comme un isotope de l’uranium. Étendu sur les murs, le produit donnait un vernis vitrifié par polymérisation dès qu’on le soumettait à une très haute température. Les vapeurs qui se dégageaient alors étaient toxiques, ce qui expliquait le port des masques. Perchés à une dizaine de mètres de là les garçons respiraient de temps à autre des relents de fumée nauséabonde. Le Chasseur lui-même ne sentait pas le danger, mais heureusement quelqu’un d’autre s’en occupa.
« Tout d’abord vous attrapez des coups de soleil à vous enlever toute la peau et maintenant vous vous parfumez aux vapeurs de fluor. Vous ne faites vraiment pas beaucoup attention à vous ces derniers temps. »
Surpris, le groupe se retourna d’un bloc pour apercevoir la haute silhouette du père de Bob. Les jeunes gens l’avaient déjà remarqué parmi les hommes qui travaillaient en dessous, mais ne l’avaient pas vu monter jusqu’à eux.
« Pourquoi croyez-vous donc que M. Malmstrom et les autres portent des masques ? Vous ne craignez pas grand-chose là ou vous êtes, mais mieux vaut ne pas courir de risques. Venez donc avec moi. »
Sans mot dire, les garçons le suivirent le long de la paroi. Parvenu à l’extrémité du chantier M. Kinnaird leur fit un geste d’adieu en lançant :
« Je vous rejoins en bas dans une minute. Il faut que j’aille chercher quelque chose à la maison et si vous n’êtes pas trop fatigués pour mettre tout votre matériel dans la Jeep, je conduirai le tout à la crique. » Il observa quelques instants les garçons qui dévalaient la colline à toute allure et retourna vers le fond du réservoir en construction.
Il quitta la veste de grosse toile qu’il avait enfilée par précaution et se dirigea vers l’endroit où la Jeep était arrêtée. Seul son fils l’attendait. Ses camarades étaient allés près des tas de bois qu’ils avaient l’intention d’emporter. M. Kinnaird se rendit au point indiqué par son fils sans mettre son moteur en route.