Le chargement fut très vite fait. M. Kinnaird les aida à porter les madriers les plus gros. Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient tous à la crique.
Voyant que les garçons enlevaient leurs chaussures et roulaient le bas de leurs pantalons, M. Kinnaird en fit autant et s’engagea à leur suite à travers les flaques d’eau. Il examina la charpente du bateau, donna quelques conseils et s’en alla par le même chemin.
Les garçons s’arrêtaient de travailler pour aller nager beaucoup plus souvent que la chaleur ne le nécessitait. C’est au cours d’un de ces bains rapides que le Chasseur découvrit pourquoi les humains évitaient le contact des méduses. À un moment, Bob ne fit pas attention et le Chasseur se trouva brusquement en présence des cellules si particulières des cœlentérés. Il s’opposa immédiatement à l’extension du poison non pas pour que son hôte ne se donnât plus la peine de faire attention à ces bêtes désagréables, mais plutôt pour une raison sentimentale en souvenir du premier jour passé sur la Terre.
Malgré de fréquentes interruptions, le travail avança pendant une heure ou deux. Puis une autre embarcation apparut soudain. Pour le plus grand intérêt du détective et de son hôte, Charles Teroa tenait les avirons.
« Eh ! dormeur ! lança Rice au nouvel arrivant en agitant la main en signe de bienvenue. Tu viens jeter un dernier coup d’œil dans le coin ? » Teroa lui jeta un regard peu aimable et lui répondit : « C’est vraiment dommage qu’on ne t’ait pas appris à te taire quand tu étais petit. Eh bien, les gars, vous avez encore des ennuis avec votre bateau ? Je croyais que vous l’aviez déjà réparé ? »
Quatre voix aiguës s’entrecoupèrent aussitôt pour lui raconter ce qui s’était passé, et au rappel de sa mésaventure, Rice préféra s’éloigner de quelques pas. Le récit fini, Teroa regarda longuement dans sa direction et l’on pouvait voir à son visage qu’il trouvait l’histoire drôle. La moindre parole aurait eu moins d’effet que ce long regard appuyé, que Rice eut beaucoup de mal à supporter. Teroa resta à peu près une demi-heure et l’on sentait qu’une certaine tension subsistait entre les deux garçons.
Durant ce temps, on parla beaucoup et on travailla peu. Teroa se lança dans la description de l’existence qui l’attendait et de temps à autre Hay et parfois Colby lui posaient quelques questions ayant toutes trait au navire. Bob parla peu, se sentant vaguement mal à l’aise d’être au courant des intentions du médecin. Il s’efforça tout le long de la conversation de se persuader que tout avait été décidé pour le bien de Teroa. Rice ayant été réduit au silence dès les premières paroles, la conversation languit peu à peu, car Malmstrom lui-même était moins bavard qu’à l’ordinaire. Lorsque Teroa retourna à son bateau, Malmstrom l’accompagna après avoir demandé à Colby de ramener chez lui sa bicyclette qu’il avait laissée avec les autres.
« Charlie veut aller au-devant de la plate qui transporte les détritus, pour voir le gars qui s’en occupe. Puis il ira jusqu’au nouveau réservoir. Je vais aller avec lui et rentrerai à pied à la maison. Je serai peut-être un peu en retard, mais n’en parle pas chez moi. »
Colby fit signe qu’il avait compris et les deux garçons s’éloignèrent rapidement en tirant de toutes leurs forces sur les avirons pour ne pas risquer de manquer la plate qui accomplissait l’un de ses voyages périodiques le long des réservoirs.
« C’est dommage de le voir partir, remarqua Rice après quelques instants de silence. Il est vrai qu’il reviendra souvent avec le bateau et que nous saurons ainsi ce qui se passe ailleurs. On s’y remet ? »
De vagues phrases d’acquiescement lui répondirent, mais l’enthousiasme n’y était plus. Ils arrangèrent quelques planches, se baignèrent encore, mais sans entrain. Leurs parents furent tout étonnés de les voir apparaître si en avance sur l’heure du repas.
Au lieu de s’atteler à ses devoirs après le dîner, Bob s’apprêta à sortir. Avec tous les ménagements d’usage, sa mère lui demanda où il allait et il répondit simplement :
« Faire un tour en bas. »
C’était d’ailleurs exact, mais il ne voulait pas inquiéter ses parents en leur disant qu’il se rendait chez le docteur Seever. Celui-ci avait bien spécifié à Bob qu’un autre essai de vaccin ne pourrait pas se faire avant le lendemain et en fait Bob n’avait rien de bien particulier à lui dire, ni à lui demander, mais quelque chose le préoccupait et il ne savait pas au juste quoi. Sans aucun doute le Chasseur était un ami fidèle et digne de toute confiance, mais il n’était quand même pas facile de converser avec lui. Et c’était précisément ce dont Bob avait besoin ; il fallait qu’il parlât.
Le médecin ne chercha pas à dissimuler sa surprise en l’accueillant.
« Bonsoir, Bob, es-tu tellement pressé de recevoir une nouvelle dose ? Ou as-tu appris quelque chose de sensationnel ? À moins que tu n’aies simplement pas envie d’être seul ? Peu importe la raison, entre, mon petit. »
Il ferma la porte derrière le jeune garçon et l’invita à prendre place dans un fauteuil.
« Je ne sais pas exactement ce que j’ai, docteur, ou du moins pas complètement. Je crois que c’est ce petit tour que nous jouons à Charlie qui m’ennuie. Je sais que nous avons toutes les raisons du monde de le faire et que ce n’est qu’une question de jours, mais cela me tracasse quand même.
— Je comprends fort bien ton état, mon petit, et je ne peux vraiment pas te dire que cela m’amuse beaucoup de jouer cette petite comédie, car j’ai horreur de mentir. Et lorsque je me trompe dans mon diagnostic, je préfère, malgré tout, que ce soit une erreur honnête. » Il se força à sourire avant de continuer : « Que veux-tu, je ne vois pas d’autre solution et au fond de moi je sens que nous n’avons pas tort d’agir ainsi. Tu es sûr de n’avoir rien d’autre à me dire ?
— Non. Je ne crois pas. Ou du moins je ne pourrais pas vous exprimer ce que je ressens. C’est un peu comme s’il m’était impossible de me reposer, de me détendre.
— Ce n’est pas étonnant. Tu es mêlé à une histoire particulièrement étrange et je puis te dire que moi, qui ne joue pas un rôle aussi actif, j’en ressens les effets. Il est néanmoins possible que tu aies découvert quelque chose d’important sans pouvoir t’en souvenir à présent. Quelque chose que tu n’aurais pas remarqué sur-le-champ, mais qui aurait malgré tout des rapports étroits avec ton problème. As-tu examiné en détail tout ce qui s’était passé depuis ton retour ici ?
— Non seulement depuis mon retour, mais depuis l’automne dernier.
— Y as-tu simplement pensé ou en as-tu parlé avec notre ami ?
— J’y ai surtout pensé.
— Je crois que ce ne serait pas mauvais que tu en parles, car on arrive beaucoup plus facilement à mettre de l’ordre dans ses idées en les exprimant à haute voix. Nous pourrions ainsi discuter de la situation de chacun de tes amis pour faire le point de ce que nous savons sur eux. Ainsi, nous avons examiné de très près le jeune Teroa, et actuellement nous ne pouvons retenir que deux choses contre lui : de s’être endormi près des rochers et d’avoir été à côté de toi sur l’appontement le jour de ton accident. De plus nous avons déjà mis sur pied un projet nous permettant de l’examiner.
« Tu as fait mention d’un élément assez minime en faveur de Malmstrom lorsqu’il s’est blessé sur les épines. N’as-tu rien d’autre qui puisse jouer contre lui ou en sa faveur ? Par exemple ne s’est-il jamais endormi près des récifs ?