— Nous étions tous sur la plage le jour où le Chasseur est arrivé… Tiens, mais j’y pense, Tout-Petit n’était pas avec nous ce jour-là. Cela n’a d’ailleurs que peu d’importance. Je vous ai déjà parlé de cette pièce de métal que nous avons trouvée dans les récifs. Elle était à plus d’un kilomètre de la plage et le Chasseur affirme que notre fugitif aurait mis très longtemps pour atteindre la terre. Il a donc très bien pu venir par ici plus tard. » Bob s’arrêta un instant, puis reprit : « Cet après-midi-là, Tout-Petit, qui était avec nous à réparer le bateau, nous a laissés tomber pour s’en aller avec Teroa. Il n’y a d’ailleurs rien de drôle à cela, car ils ont toujours été de très bons amis et Tout-Petit avait sans doute envie de parler seul avec Charlie avant son départ. »
Le docteur, qui avait finalement réussi à placer un visage derrière cette avalanche de prénoms et de surnoms, acquiesça de la tête.
« On peut donc dire qu’en ce qui concerne Malmstrom, ce que l’on sait à son sujet est plutôt en sa faveur. Et le rouquin ? enfin je veux dire Kean Rice ?
— Rien de plus sur lui que sur les autres. Il était également sur les récifs et sur l’appontement l’autre jour. Je ne l’ai jamais vu blessé, alors… attendez… il s’est fait très mal au pied une fois en se coinçant la cheville sous des coraux. Il avait de grosses chaussures comme nous d’ailleurs, car vous savez que les coraux vous mettent les pieds en sang en moins de deux. Je ne pense pas qu’il se soit blessé, l’eût-il été que nous ne serions pas plus avancés. Souvenez-vous des égratignures de Tout-Petit qui ne nous ont donné aucune indication.
— Quand cela s’est-il passé ? Tu ne m’en avais pas parlé auparavant.
— Sur les récifs, le jour même où nous avons trouvé ce fragment de générateur. J’aurais dû penser à cette coïncidence mais nous avons préféré ne pas trop ébruiter cette aventure, car en fait, Rice a bien failli se noyer sous nos yeux.
— À mon avis, cette histoire comporte plusieurs points particulièrement intéressants. Chasseur, pouvez-vous donner quelques détails supplémentaires sur les raisons qui vous poussent à suspecter tous les gens qui se sont assoupis près des récifs ? »
Le Chasseur comprit très bien où le médecin voulait en venir, néanmoins il répondit très volontiers par la voix de Bob :
« — Notre fugitif a certainement touché la côte pour la première fois sur les récifs extérieurs. Il lui était impossible d’entrer dans une créature humaine qui risquait de le voir. D’autre part, la nécessité où il se trouvait de demeurer caché l’obsédait certainement au plus haut point et l’empêchait de prendre le temps de guetter un hôte intelligent pour y pénétrer sans s’arrêter aux objections qu’un tel acte devait soulever. L’idée de terroriser son hôte ne devait pas lui déplaire, mais il ne voulait certainement pas entrer dans quelqu’un d’assez intelligent pour se rendre compte de ses faits et gestes et capable d’aller révéler sa présence à d’autres et en particulier à des médecins. J’ai l’impression, docteur, que si un des habitants de l’île s’était aperçu qu’un être en gelée avait pénétré dans son corps, vous l’auriez su très rapidement. »
— C’est exactement ce que je pensais. Néanmoins, le jeune Rice a très bien pu devenir l’hôte du fugitif sans le savoir pendant que son pied était retenu sous l’eau. Dans l’excitation du moment et la peur bien naturelle qui en résultait, une telle attaque de la part de votre criminel avait de fortes chances de passer inaperçue, d’autant que la douleur physique annihilait la force de résistance du jeune garçon.
« — C’est tout à fait possible », répondit le Chasseur.
Bob, qui avait transmis cette conversation comme d’habitude, ajouta une remarque de son cru :
« Ce n’est pas encore une preuve. Si le fugitif est entré dans le corps de Rice cet après-midi-là, il ne peut pas être à l’origine de l’incident qui se produisit sur l’appontement quelques minutes plus tard. En effet, il lui a fallu sans doute, comme au Chasseur, plusieurs jours avant d’être accoutumé à son entourage et de pouvoir s’occuper de ce qui se passait à l’extérieur. En outre il ne pouvait pas nous soupçonner déjà d’abriter le Chasseur.
— C’est exact, Bob, mais l’histoire de l’appontement peut très bien avoir été véritablement un accident. Toutes les aventures qui sont arrivées à vous ou à vos amis peuvent fort bien ne pas avoir été préméditées. Je te connais depuis ta naissance et j’avoue que si l’on m’avait raconté tout cela avant que tu ne me révèles l’existence du Chasseur je n’aurais été nullement surpris. Et ceci est également valable pour tous les garçons de l’île. Chaque jour il y en a qui se coupent, qui tombent ou qui se font mal. »
Bob dut admettre la justesse de ce raisonnement, puis déclara :
« C’est encore Rice qui a démoli le bateau cette fois-ci. Et je ne vois pas qu’il puisse y avoir une relation quelconque entre la planche cassée et notre affaire.
— Moi non plus, du moins pour le moment, mais nous devons nous souvenir du moindre fait. Actuellement donc, le jeune Rice est celui qui présente le plus de points mystérieux. Voyons un peu les autres, Norman Hay, par exemple. Depuis que tu m’as mis au courant j’ai pensé à lui à deux ou trois reprises.
— Et pourquoi donc ?
— Je sais maintenant pourquoi tu tenais à avoir des renseignements sur les virus l’autre jour et j’ai pensé que Hay pouvait avoir les mêmes raisons de s’y intéresser. Tu te souviens que je lui avais prêté un livre sur cette question. J’admets très bien que ce soudain intérêt pour la biologie provienne d’une cause tout à fait naturelle, mais il peut fort bien avoir eu le même motif que toi. Qu’en dis-tu ?
— Cela se pourrait. Il passait beaucoup de temps sur les récifs à s’occuper de son aquarium et a pu vouloir se documenter sur ce qu’il croyait être une maladie de ses poissons. D’autre part il a accepté d’entrer avec moi dans l’eau alors qu’elle pouvait contenir des germes dangereux. »
Le médecin leva vers lui un regard interrogateur et Bob lui raconta en détail ce qui s’était passé ce jour-là.
« Bob, déclara le docteur, mes connaissances en médecine sont sûrement plus étendues que les tiennes, mais je suis persuadé que tu possèdes assez de données actuellement pour résoudre ce problème et qu’il est possible d’en connaître parfaitement les éléments. Ce point est capital, car il laisse présumer que Norman était en rapport constant avec le fugitif comme tu l’es avec le Chasseur. Ton criminel peut très bien lui avoir raconte une histoire extraordinaire pour gagner sa sympathie. »
À cet instant le docteur Seever fut également frappé par l’idée que le Chasseur avait pu en faire autant. Comme Bob il jugea préférable de conserver cette idée pour lui seul et de l’examiner sérieusement à la première occasion.
« Je suppose que, comme les autres, Norman était avec vous sur l’appontement le jour de l’accident, poursuivit le docteur. Donc, là aussi, on peut le considérer comme suspect. As-tu d’autres éléments qui puissent jouer contre lui ou en sa faveur ? Pas pour l’instant ?… Alors, il ne reste plus sur notre liste que Hugh Colby, toutefois nous ne devons pas oublier qu’il y a un tas de gens de l’île qui vont se promener ou travailler près des récifs.
— Nous pouvons éliminer les ouvriers des réservoirs, affirma Bob, ainsi que les gosses qui jouent dans le coin, car ils ne s’approchent jamais autant que nous des récifs.
— Laissons donc de côté ceux-là pour l’instant, et revenons à Colby. Je le connais très peu d’ailleurs, je ne crois pas avoir échangé plus de deux ou trois paroles avec lui. Il n’est jamais venu se faire soigner ici et je ne me souviens pas de l’avoir vu dans mon cabinet depuis que je l’ai vacciné.