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— Cela ne m’étonne pas de Colby, répliqua Bob, comme tous les copains, j’ai échangé plus de deux paroles avec lui, mais cela n’a guère été très loin. Il ne parle pas et se tient toujours à l’arrière-plan. Néanmoins, il a l’esprit et les réactions rapides. C’est lui qui a eu l’idée d’aller chercher le seau pour le mettre sur la tête de Rice avant même qu’aucun de nous ne se soit rendu compte de ce qui se passait exactement. Il était avec nous sur l’appontement, mais ne devait pas nous suivre de tout près. Ce n’est pas le genre de garçon dont on parle beaucoup et qui se fait remarquer, bien que ce soit un très brave type.

— Nous avons donc à nous occuper en fin de compte de Rice et de Hay sans oublier Charlie Teroa qu’il faut examiner au plus tôt. Je ne crois pas que cette petite conversation ait dissipé tes soucis, mais elle a été très précieuse pour moi. Si jamais tu te souviens de quelque chose d’important, n’hésite pas à venir m’en parler.

— Je n’avais pas l’intention de vous déranger encore une fois aujourd’hui, mais le vaccin que vous m’avez inoculé ce matin doit être éliminé à présent. Voulez-vous que nous en essayions un autre si ce n’est pas trop tôt maintenant ? »

Le docteur répondit qu’il n’y avait aucun danger et on recommença l’opération. Les résultats furent les mêmes, sauf que le Chasseur fit savoir que le nouveau vaccin avait « plus de goût » que l’autre.

XVII

DISCUSSION

Le mercredi matin Bob quitta l’école de bonne heure et alla chez le médecin pour un nouvel essai de vaccin. Il ne savait pas exactement à quel moment Teroa devait venir pour ses piqûres et n’avait pas particulièrement envie de le rencontrer, aussi resta-t-il le moins de temps possible dans le cabinet du médecin. L’après-midi se déroula comme d’habitude et après la classe les garçons décidèrent de ne pas s’occuper du bateau pour une fois et d’aller voir le nouveau réservoir. Malmstrom ne suivit pas le mouvement et disparut sans donner de raison précise sur ce qu’il allait faire. Bob le regarda s’éloigner, très intrigué. Il eut envie de le suivre, mais n’avait aucun motif plausible pour s’attacher à lui et d’autre part Rice et Hay étaient avant lui sur la liste des personnes suspectes.

La construction du réservoir semblait avancer beaucoup moins rapidement qu’auparavant. Les parois pour lesquelles on devait construire de nouveaux coffrages partaient d’un côté de la colline sur leur plus grande longueur et un plancher, placé à quatre mètres cinquante du sol, commençait à être posé. De très longues entretoises devaient être scellées sur toute la largeur et l’on s’était aperçu que les cornières qui avaient été commandées n’étaient pas assez longues. Il fallait donc souder deux morceaux bout à bout. De plus la pente de la colline obligeait les ouvriers à prendre constamment des mesures pour avoir la longueur exacte et pouvoir poser un plancher parfaitement droit.

De lourdes planches étaient rapidement amenées du dépôt de bois jusqu’à la scie circulaire où elles étaient coupées à la bonne longueur. Bob, qui paraissait peu se soucier des échardes, et Colby, qui avait emprunté des gants de travail, aidaient de temps à autre. Hay et Rice qui avaient trouvé des clefs anglaises dans un coin avaient réussi à persuader un contremaître de les laisser s’occuper de la glissière amenant le béton au coffrage. Ils étaient très affairés à resserrer le moindre écrou se présentant à eux. Les glissières couraient à une certaine hauteur, mais les garçons ne s’occupaient nullement du vide qui s’ouvrait sous eux. Mais de nombreux ouvriers éprouvaient de sérieuses craintes à les voir jouer aux acrobates et demandèrent au contremaître de les affecter à un poste moins dangereux. Les garçons refusèrent, affirmant que les échafaudages étaient assez larges pour qu’il n’y ait aucun danger de tomber.

La vitrification de la paroi sud n’était pas encore achevée et les garçons ne devaient pas s’approcher de cet endroit. Seul Bob obtint la permission d’aller jusqu’à l’appontement pour remplir le tonneau de vernis au fluor. On ne pouvait pas conserver beaucoup de ce produit près du lieu d’utilisation, car il avait tendance à se polymériser à température normale. On conservait donc la plus grande partie de ce vernis dans une pièce réfrigérée qui servait de réserve de vivres aux ouvriers. Le trajet prit à peine deux ou trois minutes à Bob, mais il dut attendre plus d’une demi-heure que le tonneau soit nettoyé et rempli. La moindre trace d’ancien produit laissée au fond risquait d’amener des complications lors de l’application. De plus on ne connaissait aucun dissolvant capable de nettoyer ce vernis lorsqu’il était solidifié. Il fallait alors découper le tonneau.

En revenant au réservoir, Bob découvrit que Rice n’était plus perché sur l’échafaudage, mais au contraire apportait des poteaux pour étayer les entretoises sur le fond du réservoir. Lorsqu’il lui demanda la raison de ce changement d’altitude, Rice lui répondit plus amuse qu’ennuyé :

« J’ai laissé tomber un gros boulon que mon père a failli recevoir sur le crâne et il m’a fait descendre avant que je n’assomme quelqu’un ! Il m’a fait la leçon durant tout le temps de ton absence. J’ai eu à choisir entre travailler ici ou rentrer à la maison, affirmant qu’il n’était pas encore certain que je ne serais pas dangereux ici ! Quand même, il va fort ! J’aimerais voir sa tête lorsqu’il s’apercevra que le plus gros des étais, celui qui est dans le coin là-bas, est en train de glisser dans son logement. S’il tombe, tout le plancher vient avec. J’ai l’impression que le spectacle vaudra le déplacement !

— Tu ferais quand même bien de le consolider, c’est trop risqué pour blaguer avec ça !

— Tu as raison, j’y vais. »

Rice prit un gros marteau et se dirigea vers le pied de l’étai, puis Bob jeta un regard autour de lui pour essayer de découvrir quelque chose d’intéressant à faire. Il tint le bout de la longue chaîne qui servait à son père à prendre des mesures, se vit interdire de porter des sacs de ciment jusqu’aux bétonnières, et finalement alla s’installer au sommet d’une petite échelle d’où il découvrait tout le chantier. Ce qu’il voyait le passionnait et son père était pleinement rassuré de le voir là-haut à l’abri de tous les dangers qui se présentaient à chaque pas.

Bob se souvint tout à coup qu’il devait se rendre chez le docteur après la classe pour un nouvel essai de vaccin. Comme la plupart des conspirateurs, aussi nobles que soient leurs motifs, il ne lui vint pas à l’esprit que personne ne songeait à surveiller tous ses mouvements et il demeura là à se torturer pour trouver une excuse valable. Les ouvriers ne remarqueraient sans doute pas son absence, mais il y avait ses amis, et en admettant même qu’aucun d’eux ne s’aperçût de sa disparition, un tas de gosses traînaient toujours dans tous les coins et il y en aurait certainement un qui voudrait savoir où il se rendait. Du moins c’est ce que pensait Bob.

Ses rêveries furent interrompues par Colby qui lui cria d’en bas :

« Hé, regarde ! Voilà Charlie qui vient tout seul. Je croyais que Tout-Petit était avec lui. »

Bob regarda au pied de la colline, là où s’arrêtait la route et vit que Colby avait raison. Teroa montait lentement vers le réservoir. À cette distance il était difficile de distinguer l’expression de son visage, mais Bob était cependant certain, à son allure lente et hésitante, qu’il avait vu le docteur. Les lèvres de Bob se serrèrent et il sentit un vague remords le parcourir. L’espace d’un moment, il songea à quitter son échelle et à disparaître. Il parvint à vaincre son premier mouvement et resta là à attendre.