— Peut-être, mais cela impliquerait que notre criminel est resté assez longtemps avec Teroa pour apprendre l’anglais, et il faudrait également que l’intérêt subit de Norman pour la biologie se soit manifesté brusquement avant qu’il ne servît d’hôte à ce fugitif », fit remarquer Bob.
Le médecin fut obligé d’admettre la justesse de ces remarques et déclara :
« N’en parlons plus, c’était simplement une idée. Je n’ai d’ailleurs jamais dit que je possédais une preuve quelconque. C’est quand même dommage que nous ne parvenions pas à découvrir le produit qui révélerait la présence du fugitif. Cette histoire de malaria me fournirait une excuse rêvée pour examiner toute la population de l’île, en admettant, bien sûr, que j’aie assez de vaccin pour traiter tout le monde, ce dont je doute.
« — Dans l’état actuel des choses, signala le Chasseur, vous n’êtes pas près d’y arriver. »
— Nous n’y parviendrons sans doute jamais d’ailleurs. Votre structure est vraiment trop différente de celle des autres créatures que nous sommes habitués à rencontrer sur cette terre. Je voudrais que vous nous fassiez partager quelques-unes de vos idées, car le petit jeu auquel nous nous livrons me paraît vraiment dépendre trop du hasard.
« — J’ai fait part de mes idées à Bob il y a déjà quelque temps, répondit le Chasseur, et je les ai mises en application. Malheureusement cela me conduit à un champ si vaste de possibilités que je crains fort de ne pouvoir me livrer aux examens nécessaires. Je préfère donc me servir en premier lieu de votre système. »
— Qu’avez-vous donc pu dire à Bob, dont vous ne m’avez jamais parlé ? » Puis s’adressant au jeune garçon, le docteur ajouta : « C’est le moment ou jamais de me mettre au courant des preuves que tu as pu recueillir.
— Je ne crois pas en posséder, répondit Bob en fronçant un peu les sourcils. Pour autant que je m’en souvienne, mes entretiens avec le Chasseur ont tous porté sur les méthodes de recherches. Nous devions essayer de deviner les mouvements possibles de notre criminel et accumuler les preuves. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait et nous avons découvert en premier lieu le morceau de générateur. C’est à ces recherches que nous nous livrons encore actuellement.
— Moi aussi. Si le Chasseur tient essentiellement à ce que nous suivions ses idées avant de nous faire part des siennes, je crois que nous n’avons qu’à nous exécuter le plus rapidement possible. J’admets que ces raisons sont particulièrement valables, sauf peut-être celles concernant l’immensité du champ des recherches. À mon avis ce n’est pas une excuse suffisante pour se permettre de l’ignorer.
« — Mais je n’ignore rien, fit remarquer le Chasseur. Je n’ai simplement pas envie de vous distraire de vos examens, car cela me paraît inutile, d’autant plus que je suis partisan d’examiner Hay et Colby de très près. Je n’ai jamais été d’avis de voir Rice en premier. »
— Et pourquoi donc ?
« — Vous lui reprochiez surtout d’avoir dormi à l’endroit où le fugitif a touché terre. Selon moi, pourtant, le criminel ne se serait jamais réfugié dans le corps d’un être courant un danger semblable à celui qui menaçait Rice à cet instant-là. »
— Le criminel n’avait rien à redouter.
« — Personnellement non, mais de quelle utilité lui aurait été un noyé, car Rice risquait fort de demeurer sous l’eau ? Je ne suis donc nullement étonné que votre camarade ne soit pas sur la liste des suspects ou des infectés, comme aurait dit sans doute le docteur Seever. »
— Bon, bon, répondit le médecin. Nous allons nous occuper aussi rapidement que possible des deux autres afin que vous puissiez vous mettre tout de suite à l’œuvre, mais je maintiens qu’une telle conduite est illogique. »
Bob avait la même impression, mais il en était venu à accorder une grande confiance au docteur, sauf peut-être sur un point précis. Il n’essaya donc pas de faire revenir le Chasseur sur sa décision et quitta la maison du médecin lorsque le soleil était déjà bas à l’horizon.
Tout ce qu’il pouvait faire était de découvrir Hay et Colby pour les surveiller.
Bob avait laissé ses camarades auprès du réservoir en construction, et sans doute y étaient-ils encore. En tout cas, leurs vélos le renseigneraient tout de suite ; de plus il avait laissé sa propre bicyclette là-haut et devait aller la chercher.
En passant devant chez les Teroa, il remarqua que Charles avait repris ses anciennes occupations de jardinage et il lui adressa un signe de main. Le jeune garçon semblait avoir repris ses esprits et son calme. Bob se souvint alors que le médecin n’avait pas encore eu le temps de lui annoncer la bonne nouvelle de son départ et espéra qu’il ne manquerait pas de le faire. Il n’avait plus aucune raison de l’empêcher de quitter l’île.
Bob trouva sa bicyclette où il l’avait laissée. En revanche, celles de ses camarades n’y étaient plus et il lui fallait à présent essayer de deviner où ils avaient pu se rendre. Il se souvint alors que Hay avait envie de travailler un peu à son aquarium et qu’il était fort possible que ce projet ait été mis à exécution. D’ailleurs, pourquoi pas celui-là plutôt qu’un autre ? Il enfourcha son vélo et s’engagea sur la route qu’il venait de parcourir. Parvenu devant la maison du docteur, il y entra en coup de vent pour s’assurer que ce dernier pensait à annoncer la bonne nouvelle à Teroa. Il s’arrêta ensuite au bord de la crique, bien qu’étant à peu près certain que ses camarades ne travaillaient pas au bateau. Il jeta un coup d’œil aux alentours et selon toute apparence il ne s’était pas trompé.
Norman avait dit qu’ils seraient obligés de gagner la petite île à la nage s’ils y allaient. Les bicyclettes auraient alors été déposées devant la maison de Norman à l’autre bout de la route. Robert se dirigea dans cette direction. Les parents de Hay habitaient une belle bâtisse de deux étages, avec de vastes fenêtres, qui ressemblaient un peu à l’habitation des Kinnaird. La seule différence était que la demeure ne se cachait pas dans la jungle comme celle de Bob. Elle s’élevait à l’endroit où le sol devenait presque plat avant d’arriver à la plage et la terre était trop sablonneuse pour que puissent y pousser les épais buissons que l’on rencontrait dans toutes les autres parties de l’île. La végétation était malgré tout assez abondante pour fournir une ombre précieuse, mais l’on pouvait se promener aux alentours sans être obligé de jouer à l’explorateur. Une sorte de petit hangar avait été construit non loin de là pour permettre de ranger les bicyclettes, et beaucoup des habitants de l’île y laissaient les leurs. Comme de juste, Bob alla y jeter un coup d’œil en premier. Il fut heureux de découvrir que ses suppositions étaient exactes. Les vélos de Rice, de Colby et de Hay y étaient accrochés. Bob y abandonna également le sien et prit ensuite la direction de la plage. À l’extrémité nord du golfe, il ne fut pas surpris d’apercevoir les silhouettes de ses trois camarades de l’autre côté de la mince étendue d’eau.
Ils levèrent la tête à ses appels et lui firent de grands signes lorsqu’il s’engagea dans l’eau. Il avait à peine fait quelques pas qu’il entendit Hay lui crier :
« Pas la peine que tu viennes ! On revient ! »
Bob fît signe qu’il avait compris et s’assit sur le sable pour les attendre. Il les vit qui regardaient autour d’eux comme pour s’assurer qu’ils n’avaient rien oublié, puis ils entrèrent dans l’eau. Ils devaient se frayer un chemin sur les coraux qui encombraient les récifs avant de trouver une eau assez profonde pour pouvoir nager. Les quelques mètres à couvrir n’étaient pas faciles à franchir avec de grosses chaussures aux pieds, mais ils en avaient l’habitude. En quelques instants ils furent près de Bob.