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Le corps du Chasseur se répandit le long de ce réseau et bon nombre de ces cellules se collèrent aux autres et transmirent un message. Il ne s’agissait naturellement pas d’un discours, et ni le son ni la vue, ni tout autre sens humain n’avait cours dans ce monde. La télépathie n’avait rien à y voir non plus et il n’existe aucun autre mot dans notre vocabulaire pour désigner d’une façon précise le moyen par lequel cette communication fut établie. On peut dire que les systèmes nerveux de deux créatures s’étaient intimement fondus pour l’instant présent afin que toute sensation ressentie par l’un le fût également par l’autre.

Le message ne pouvait, évidemment, pas être traduit en mots, mais il avait un sens, et un sens beaucoup plus précis que n’auraient pu lui donner des phrases très compliquées.

« Heureux de te retrouver enfin, Criminel ! Je m’excuse d’avoir mis tant de temps à te découvrir.

— Inutile de t’excuser, Chasseur, surtout en de telles circonstances, et je t’avoue que je comprends mal les plaisanteries. Que tu m’aies retrouvé finalement n’a que peu d’importance, mais ce qui m’amuse c’est qu’il t’ait fallu près de six mois de cette planète pour y parvenir. Je ne savais d’ailleurs pas ce que tu étais devenu, et à présent je peux t’imaginer te baladant dans l’île pendant des mois et des mois et entrant dans toutes les maisons les unes après les autres. Remarque que tu as eu tout ce mal pour rien, car tu ne peux rien me faire à présent. Je te remercie simplement de m’avoir donné cette occasion de me distraire.

— Je suis persuadé que tu seras également heureux d’apprendre que mes recherches dans cette île n’ont duré que sept jours et que cet homme est le premier que j’examine ainsi. Je serais certainement parvenu à un résultat beaucoup plus rapidement si tu avais laissé paraître le moindre indice. Mais je dois reconnaître que tu as fait très attention. »

Le Chasseur était, maintenant, assez humain pour éprouver une certaine vanité devant sa réussite et même pour se laisser entraîner par elle au-delà des limites normales. Il ne se rendit pas compte sur-le-champ que, à en croire le discours du criminel, celui-ci n’avait jamais soupçonné Bob et qu’à présent ce qu’il venait de dire risquait fort de mettre en danger le jeune garçon.

« Je ne te crois pas, répondit le Criminel, tu n’as certainement pas pu examiner de loin les gens qui sont sur cette île. Tu n’en avais pas les moyens. D’autre part, cet homme qui est mon hôte n’a connu aucune maladie ou blessure importantes depuis mon arrivée. En aurait-il eu que j’aurais préféré me trouver un autre hôte plutôt que de révéler ma présence en venant à son secours.

— Je te crois sans peine. » Le Chasseur laissait clairement voir la répulsion que lui causait l’attitude de l’autre. « Je ne t’ai pas parlé des blessures sérieuses.

— Celles dont je me suis occupé étaient si minimes que personne n’aurait pu les remarquer. Je laissais même les insectes le piquer lorsque des gens étaient autour de lui.

— Je le sais et je vois que tu en tires une certaine gloriole. » Le ton du Chasseur laissait clairement voir son dégoût.

« Tu le sais ? Je me doute que tu n’admettras pas facilement ta défaite. Mais crois-tu vraiment que tu puisses m’impressionner avec tes menaces ?

— Je n’ai pas à t’impressionner, car tu t’es abusé toi-même. Je savais que tu laissais ton hôte se faire mordre par les moustiques lorsqu’il se trouvait avec d’autres personnes et que tu le protégeais autrement. J’avais découvert également que tu intervenais pour réduire les petites blessures qui pouvaient passer inaperçues. On peut donc porter ces bonnes actions à ton crédit quoique, au fond, tu ne l’aies peut-être fait que pour te distraire. C’est cela et les tentatives que tu as faites pour contrôler certains actes de ton hôte qui t’a trahi. Je me doutais bien que, tôt ou tard, tu serais obligé de te manifester, car n’importe quel être finirait par devenir fou à ne rien faire.

« Tu as été assez malin, en un certain sens, pour ne t’occuper que des petites blessures, et pourtant il y a un être qui, de toute façon, allait s’apercevoir de ton activité même s’il n’en découvrait pas la véritable cause. Et cet être, c’est ton hôte lui-même !

« J’ai surpris un jour une conversation. À propos, t’es-tu donné la peine d’apprendre la langue que l’on parle ici ? Au cours d’une conversation, donc, on parlait de l’homme qui te sert d’hôte comme d’un individu assez timoré, refusant toujours de courir le moindre risque, interdisant à sa famille de s’exposer au plus minime danger. Cette opinion était émise par deux hommes qui le connaissaient depuis des années. Et pourtant j’ai vu ton hôte fouiller dans le noir dans une caisse contenant des outils coupants. Je l’ai aperçu descendant pieds nus le long de poutres couvertes d’échardes. Un autre jour, il a cassé à mains nues un fil de cuivre qui aurait dû normalement lui entamer profondément les phalanges. Il y a peu de temps encore il est arrivé sur le chantier en tenant à la main une lame de scie qui venait d’être affûtée, alors que le garçon le plus insouciant aurait pris plus de précautions. Tu avais peut-être pu dissimuler ta présence à tout le monde mais ton hôte, lui, savait que tu étais là, même s’il ignorait le genre de créatures que nous sommes. Il avait probablement remarqué inconsciemment qu’il était à l’abri des menues blessures, et sans s’en rendre compte il avait fait de moins en moins attention. Je possède assez de preuves pour savoir que les êtres humains se comportent toujours ainsi. J’ai entendu ton hôte dire également que les autres personnes devaient dresser spécialement les insectes pour l’ennuyer, ce qui laissait supposer que lorsqu’il était tout seul sa peau était à l’abri des piqûres.

« Tu vois donc que tu ne pouvais pas demeurer éternellement caché. Tu devais, soit tenter de dominer ton hôte et tu révélais ta présence, soit faire le minimum pour l’aider et là encore tu devais te découvrir, soit en dernier lieu ne rien faire pour le restant de ta vie et dans ce cas mieux valait encore te rendre. Même sur cette Terre où je ne possédais pas l’aide et les connaissances que j’ai toujours eues dans notre monde, tu étais donc destiné à être pris un jour ou l’autre si j’arrivais dans tes parages. Tu as eu tort de te sauver après ton crime. Chez nous tu aurais été enfermé pour quelque temps ; ici je ne peux faire autrement que de te détruire. »

Normalement, son interlocuteur aurait dû être impressionné par les paroles du Chasseur, mais la dernière phrase parut au contraire l’amuser beaucoup et il demanda :

« Tu veux me détruire ? Je serais curieux de savoir par quel moyen tu comptes y parvenir ? Tu n’as en ta possession aucun élément qui puisse m’obliger à quitter ce corps, et aucun moyen de t’en procurer ou même d’essayer. Te connaissant comme je te connais, tu n’envisageras même pas la possibilité de faire disparaître mon hôte pour m’avoir. Je tiens à te faire remarquer tout de suite que je n’aurai pas les mêmes scrupules envers le tien. J’ai l’impression, Chasseur, que tu as commis une grosse erreur en me découvrant. Avant cela je n’étais même pas sûr de ta présence sur la même planète que moi. Mais, maintenant, je sais que tu es là, coupé de toutes communications avec notre ancien monde et sans espoir de recevoir aucun secours. Personnellement, je me considère suffisamment à l’abri, mais je te conseille de faire attention à toi.