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Mais la venue du monstre au Niveau Supérieur était ce qui inquiétait le plus Jared. Jusqu’à présent, il avait cru que la Barrière serait suffisante pour interdire à la créature de venir jusqu’ici. Il pensait qu’Owen et lui méritaient bien tous ces ennuis parce qu’ils avaient violé le tabou de la Barrière. Mais ce n’était pas tout. Le monstre avait franchi la Barrière pour pénétrer dans un monde habité par des hommes. Et une fois de plus, Jared se demanda s’il n’en était pas responsable. N’avait-il pas envahi le Monde Originel le premier ? Le monstre n’avait-il pas choisi un moment particulièrement significatif pour frapper à nouveau : juste quand il commençait à blasphémer en pensant reprendre sa recherche de Lumière ?

Le conseiller inspira profondément.

— Que faisiez-vous juste avant d’être blessé par cette lance ?

— J’essayais d’arriver jusqu’au Ziveur qui gardait l’entrée.

Lorenz se raidit de manière audible.

— Alors, vous l’admettez ?

— Qu’y a-t-il à admettre ? J’avais une chance de ramener un otage.

— Oh !

Il y avait une pointe de déception dans sa voix. Puis le conseiller ajouta, dubitatif :

— La Roue va être heureux d’apprendre cela. Plusieurs d’entre nous se demandaient pourquoi vous vous étiez esquivé.

Jared s’assit en laissant pendre ses jambes.

— Je n’entends pas ce que vous essayez de prouver. Voulez-vous dire que…

Mais l’autre continua :

— Ainsi vous vouliez vraiment attaquer un Ziveur ? C’est difficile à croire !

D’abord il y avait eu l’hostilité ouverte de Lorenz. Puis il avait suggéré avec un humour – peut-être superficiel – que les aptitudes de Jared étaient comparables à celles d’un Ziveur. Et maintenant, cette insinuation perfide. Où donc voulait-il en venir ?

Il saisit Lorenz par le poignet.

— Qu’est-ce que vous croyez ?

À cet instant, la Roue Anselme rejeta le rideau d’un geste large et entra dans la grotte.

— Qu’est-ce que c’est que toutes ces histoires sur quelqu’un qui voulait attaquer un Ziveur ?

Jared entendit aussi les mouvements quasi silencieux de Della, qui était entrée avec lui.

— C’est pour cela que Jared était allé vers l’entrée, expliqua Lorenz sur un ton qui prouvait son scepticisme.

Anselme, toutefois, ne prit pas garde à cette nuance.

— C’est bien ce que je disais ! Comment allez-vous, Jared, mon garçon ?

— Comme si j’avais reçu un coup de lance sur la tête !

La Roue rit avec bonhomie, puis redevint sérieux.

— Vous avez été plus près de cette chose qu’aucun de nous. Par la Radiation, qu’est-ce que c’était ?

Jared se demanda s’il devait lui parler de sa précédente rencontre avec le monstre. Mais la loi de la Barrière s’appliquait ici avec la même rigueur qu’au Niveau Inférieur.

— Je ne sais pas. Je n’ai guère eu le temps de l’entendre avant de recevoir ce coup.

— Cobalt, murmura le conseiller Lorenz, c’était sûrement Cobalt.

— C’étaient peut-être Cobalt et Strontium, suggéra Della de loin. Plusieurs personnes ont eu l’impression qu’il y avait deux monstres.

Jared sursauta. Son rêve n’avait-il pas suggéré, lui aussi, qu’il y avait plusieurs de ces créatures inconcevables ?

— Lumière ! C’était affreux ! opina Anselme. C’étaient sûrement les Démons-Jumeaux. Quels autres êtres auraient pu nous donner ces sensations étranges et sinistres ?

— Tout le monde n’a pas ressenti ces sensations « étranges et sinistres », comme vous dites, lui rappela le conseiller sur un ton officiel.

— C’est exact. Aucun visage-chevelu, par exemple, ne se souvient d’une chose aussi singulière.

— Moi non plus, et je ne suis pas un visage-chevelu.

— Il y en a quelques autres qui ne l’ont pas ressentie. Et vous, mon garçon ?

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, mentit Jared, s’épargnant ainsi la nécessité d’entrer dans les détails.

Anselme et Lorenz se turent ; Della posa une main douce sur le front de Jared.

— Nous vous préparons à manger. Puis-je faire autre chose ?

Étonné, Jared écouta la jeune fille de plus près. C’était la première fois qu’elle se révélait aussi aimable !

— Bien, mon garçon ! dit Anselme en s’apprêtant à partir, ne vous fatiguez pas trop pendant le reste de votre séjour – et quand vous serez remis, vous rentrerez chez vous pour la retraite et la contemplation contre l’unification malavisée.

Les rideaux retombèrent derrière la Roue et le conseiller.

— Je vais aller écouter si le repas est prêt, dit Della qui sortit à son tour.

Jared se rallongea sur sa couchette et tâta sa blessure à travers le pansement. Le souvenir de sa rencontre avec le monstre – ou les monstres – était encore vif. En leur présence, il avait éprouvé la même sensation que dans le Monde Originel. En repensant à cette pression mystérieuse qui s’était exercée sur son visage, il lui sembla que c’étaient ses yeux qui avaient reçu la plus grande partie de cette énergie. Pourquoi ? Il se souvint aussi qu’Owen n’avait pas ressenti cette pression psychique. Se pouvait-il que l’absence de ce phénomène ait un rapport avec la préférence de son ami pour les yeux fermés ?

Della revint et il entendit qu’elle portait une coque remplie de… il écouta la consistance du liquide et perçut sa légère odeur de bouillon de tubercules de mannes. Dans l’autre main, elle tenait un objet qu’il ne put identifier.

— Vous sentez-vous assez bien pour prendre un peu de ce bouillon ? lui demanda-t-elle en lui tendant le bol.

Il entendit qu’elle avait dû se faire beaucoup de souci pour lui et ne sut s’expliquer sa nouvelle attitude envers lui.

Il sentit un liquide chaud couler sur sa main.

— Faites attention ! Vous renversez tout !

Elle redressa le bol.

— Oh ! Excusez-moi.

Il écouta attentivement la jeune fille. Elle n’avait même pas entendu le liquide se renverser. On aurait pu croire qu’elle était complètement sourde !

Improvisant un test, il murmura de façon presque inaudible :

— Qu’est-ce que c’est comme bouillon ?

Pas de réponse. Ses oreilles ne valaient pas grand-chose ! Et pourtant, après le festin, elle avait pris pour cible une flaque si petite et silencieuse qu’il ne s’était même pas rendu compte de son existence.

Elle posa le bol sur une étagère voisine et lui tendit l’objet qu’elle avait apporté.

— Que pensez-vous de cela, Jared ?

Il inspecta l’objet. Il était encore tout imprégné de l’odeur du monstre. C’était un tube légèrement conique, semblable à une section de tige de manne. L’extrémité la plus large était brisée. En passant son doigt à l’intérieur, il sentit un petit objet rond et dur. En retirant son doigt, il se coupa contre quelque chose de très tranchant.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je n’en sais rien. Je l’ai trouvé près de l’entrée. Un des monstres a dû le laisser tomber.

Il palpa de nouveau le petit objet rond. Cela lui rappelait… quelque chose.

— L’une des extrémités était… chaude quand je l’ai ramassé, révéla-t-elle.

Il l’écouta avec circonspection. Pourquoi avait-elle hésité avant le mot « chaude » ? Savait-elle que c’était la chaleur que les Ziveurs zivent ? Voulait-elle entendre quelle était sa réaction lorsqu’on abordait ce sujet ? Croyait-elle, comme l’insinuait le conseiller, qu’il était un Ziveur ? En tout cas, elle dissimulait bien son jeu.