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Il se souleva péniblement sur son coude. Maintenant il se souvenait ! L’objet rond contenu dans le tube était une reproduction en miniature de la Sainte Ampoule utilisée au cours de certaines cérémonies religieuses !

Il secoua la tête avec incrédulité. Quelle était la signification de ce paradoxe grotesque ? La Sainte Ampoule n’était-elle pas associée à Lumière, à la bonté, à la vertu, non à des monstres hideux et malfaisants ?

Aucun événement ne vint troubler la monotonie des dernières périodes de son séjour au Niveau Supérieur. Il trouva que les habitants n’étaient pas particulièrement aimables avec lui ; la venue du monstre les avait rendus craintifs et distants. Plus d’une fois, on ne répondit pas à son salut, et il pouvait entendre des battements de cœur accélérés qui trahissaient une peur tenace.

Si Della n’avait pas été là, il serait parti plus tôt que son programme ne le prévoyait. La jeune fille représentait une énigme qu’il aurait aimé élucider.

Elle était toujours près de lui. L’amitié qu’elle lui offrait était si généreuse qu’il sentait souvent sa main se glisser dans la sienne pendant qu’elle lui présentait son monde et lui faisait faire la connaissance de ses habitants.

À un moment, Della accrut encore le mystère en lui demandant :

— Jared, est-ce que vous cachez quelque chose ?

— Que voulez-vous dire ?

— Vous ne trouvez pas que je vise bien, moi aussi ?

Il dit, pour l’encourager à continuer sur ce sujet :

— Avec des cailloux, vous ne visez pas mal, en effet !

— Et je suis celle qui a trouvé cet objet que les monstres ont laissé.

— Et alors ?

Le visage de la jeune fille, tendu vers lui, semblait plein d’une attente passionnée. Il sentit que son silence l’exaspérait. Elle fit même mine de partir, mais il la retint par le bras.

— Que pensez-vous donc que je cache, Della ?

Mais son humeur avait changé.

— Je me demandais si vous vous étiez décidé pour ou contre l’unification.

Il était évident qu’elle mentait.

Pourtant, durant les deux dernières périodes de son séjour, il lui sembla qu’elle s’accrochait à la moindre de ses paroles, comme si elle était à l’affût de quelque chose. Cela dura jusqu’au moment de son départ.

Ils se trouvaient dans la plantation de mannes, son escorte l’attendait à l’entrée du passage, quand elle dit avec reproche :

— Jared, il ne faut rien me cacher ; ce n’est pas bien !

— Quoi, par exemple ?

— Par exemple… comment il se fait que vous entendiez si bien ?

— Quand j’étais jeune, le Premier survivant passait tout son temps à m’entraîner…

— Vous m’avez déjà raconté tout cela, lui rappela-t-elle avec impatience. Jared, si nous n’avons pas changé d’avis après la retraite et la contemplation, nous serons unifiés. Alors, il ne faudrait pas qu’il y ait de secrets entre nous.

Au moment où il allait lui demander où elle voulait en venir, Lorenz arriva, un arc sur l’épaule.

— Avant que vous ne partiez, dit-il, j’aurais aimé que vous me donniez une petite leçon de tir à l’arc.

Jared prit l’arc et le carquois, tout en se demandant pourquoi le conseiller éprouvait soudain le besoin d’améliorer son habileté au tir.

— Bien. Je n’entends personne dans le champ.

— Oui, mais les enfants viendront jouer là-bas dans quelques battements de cœur, dit le conseiller. Écoutez le verger ; vous entendez cette haute tige de manne, à quarante pas devant vous ?

— Oui.

— Le fruit qui est en haut devrait faire une bonne cible.

S’éloignant des vapeurs du puits le plus proche, Jared fit résonner ses pierres à échos.

— Quand il s’agit d’une cible fixe, expliqua-t-il, il vous faut d’abord la percevoir le plus nettement possible. Le projecteur central ne donne pas une impression suffisamment précise.

Il prit une flèche.

— Ensuite, il est très important de ne pas bouger vos pieds, parce que vous êtes orienté dans votre position d’origine.

Relâchant la corde de l’arc, il entendit la flèche passer à plus de deux longueurs de bras au-dessus du fruit.

Surpris d’avoir manqué la cible de si loin, il fit de nouveau résonner les pierres. Mais, du coin de l’oreille, il surprit la réaction de Lorenz. Le visage du conseiller exprimait une intense surexcitation. Le visage de Della reflétait aussi des sons presque extatiques.

Pourquoi étaient-ils si heureux qu’il ait manqué la cible ? Abasourdi, il tira une seconde flèche. Elle manqua le but d’aussi loin que la première.

Le conseiller et la jeune fille semblaient de plus en plus contents. Leur attitude n’était toutefois pas exactement semblable : Lorenz semblait triompher, tandis que Della paraissait follement heureuse.

Il manqua encore deux fois la cible avant de se fatiguer de ce jeu incompréhensible. Contrarié, il laissa tomber l’arc et le carquois et s’avança vers la sortie où son escorte l’attendait. Après avoir fait quelques pas, il comprit pourquoi il avait si mal tiré. La tension standard de la corde de l’arc était plus grande ici que dans son monde ! C’était aussi simple que cela. Il se souvint même avoir remarqué que la corde était très tendue, mais il n’y avait pas prêté grande attention.

Il s’arrêta net. Tout d’un coup, il entendit clairement ce qui se passait. Il savait pourquoi Lorenz avait réagi de cette façon quand il avait manqué la cible, et même pourquoi il avait eu l’idée de cette démonstration.

Afin de protéger sa position de conseiller, Lorenz voulait le disqualifier en tant que partenaire d’unification pour Della. Et quel meilleur moyen d’y parvenir que de prouver qu’il était un Ziveur ?

Le conseiller devait savoir que les Ziveurs ne peuvent pas ziver dans la chaleur qui entoure les sources bouillantes du verger. Et, puisque c’est de là que Jared avait coup sur coup raté son but, Lorenz devait maintenant être sûr et certain qu’il était un Ziveur.

Mais quels étaient les mobiles de la jeune fille ? Il était évident qu’elle aussi connaissait les limites des Ziveurs. Elle avait compris ce que le test pouvait prouver, même si elle ne savait pas qu’il avait été conçu expressément dans ce but.

Mais son échec à toucher le fruit l’avait rendue follement heureuse. Pourquoi ?

— Jared ! Jared !

Il entendit Della courir pour le rattraper. Elle le prit par le bras.

— Tu n’as plus besoin de me le dire maintenant. Je sais. Oh, Jared ! Jared ! Je n’avais jamais osé rêver une chose aussi extraordinaire !

Elle prit son visage dans ses mains et l’embrassa.

— Tu… tu sais… quoi ? dit-il en la repoussant.

Elle continua avec enthousiasme :

— Tu n’entends pas que je m’en doutais depuis le début – depuis le lancer des javelots ? Et quand je t’ai apporté ce tube que le monstre avait laissé tomber c’est tout juste si je ne t’ai pas dit que je l’avais trouvé grâce à sa chaleur ! Mais je ne pouvais pas faire le premier pas avant d’être certaine que tu étais aussi un Ziveur.

Ébahi, il réussit à articuler :

— Aussi ?

— Oui, Jared ! Je suis une Ziveuse… comme toi !

Le capitaine de l’escorte officielle s’approcha de l’entrée.

— Nous sommes prêts à partir quand vous voudrez.

5

Une discipline rigoureuse était de règle pendant la retraite et la contemplation. Une décision d’une importance aussi vitale demandait une introspection minutieuse. En effet, l’unification impliquait d’office la pleine dignité de survivant, ce qui créait une double responsabilité. En outre, celui qui s’y consacrait devait également se préoccuper des exigences de la procréation et de la familiarisation de sa descendance.