Выбрать главу

— C’est bon, Della. Dis-moi ce qu’il y a.

Elle eut vite fait de formuler la question qu’elle avait tue jusqu’à présent.

— Qu’est-ce que c’est que toute cette recherche de… Lumière ? J’ai entendu ce que tu as crié à l’Homme éternel. Tu lui as aussi parlé d’Obscurité et ta question l’a rendu à moitié fou de terreur.

— C’est pourtant simple, répondit Jared en haussant les épaules. Comme tu me l’as entendu dire, je suis à la recherche d’Obscurité et de Lumière.

Il sentait la perplexité de la jeune fille tandis qu’ils longeaient le passage. Une coque de manne rebondissait contre le bord de son sac à chaque pas et ces bruits suffisaient pour rendre le chemin audible.

— Ce n’est pas une question théologique, expliqua-t-il. Je pense simplement qu’Obscurité et Lumière ne sont pas ce que nous croyons.

Il entendit que sa perplexité s’était changée en doute, qu’elle refusait de croire une explication aussi simple.

— Mais cela n’a pas de sens, protesta-t-elle, tout le monde sait qui est Lumière, et ce qu’est Obscurité !

— Comme tu veux. Disons que mon opinion est différente.

Elle se tut un instant puis dit :

— Je ne comprends pas.

— Ne te tourmente pas pour cela.

— Mais l’Homme éternel… Obscurité semblait avoir une signification différente pour lui. Ce n’était pas « le mal » qui l’effrayait, mais tout autre chose, n’est-ce pas ?

— Sans doute, oui.

— Quoi ?

— Je l’ignore.

De nouveau, elle resta silencieuse un long moment pendant lequel ils franchirent de nombreux passages latéraux.

— Jared, est-ce que tout cela a un rapport avec ton désir d’aller chez les Ziveurs ?

Il sentait qu’il pouvait lui dire la vérité, au moins jusqu’à un certain point, sans que ses facultés de Ziveur soient mises en doute.

— Dans un sens, oui. De même que ziver concerne les yeux, je pense qu’Obscurité et Lumière ont un rapport avec les yeux. Et…

— Et tu penses que tu pourras découvrir chez les Ziveurs des faits qui t’aideront ?

— Exactement.

Il la guida le long d’une courbe.

— Est-ce la seule raison pour laquelle tu veux y aller ?

— Non ! Comme toi, je suis un Ziveur et c’est là que je veux vivre.

Il entendit le brutal soulagement de la jeune fille : elle se détendit, son cœur se mit à battre plus lentement. Sa franchise avait audiblement calmé toutes ses inquiétudes et elle était toute prête à considérer sa quête comme une fantaisie qui ne menaçait pas ses propres intérêts.

Elle glissa sa main dans la sienne et ils repartirent. Soudain, il s’arrêta ; il venait de sentir l’odeur des monstres. En même temps, il s’éloigna du mur à sa gauche. Il avait perçu une minuscule tache de son silencieux qui dansait sur la pierre humide de la paroi.

Cette fois, il fut à peine surpris par la mystérieuse sensation. À titre d’expérience, il ferma les yeux ; la sensation disparut instantanément. Quand il les rouvrit, les réflexions silencieuses revinrent ; elles couraient le long du roc comme un doux murmure.

— Les monstres arrivent ! l’avertit Della. Je zive leurs impressions… sur ce mur !

Il se tourna vers elle.

— Tu les zives ?

— C’est presque comme ziver. Partons d’ici, Jared !

Il ne bougea pas, concentré sur les curieux échos insonores qui allaient et venaient sur le mur sans jamais atteindre ses oreilles, mais il lui semblait qu’on lui versait de l’eau bouillante dans les yeux. Elle avait dit qu’elle zivait les impressions. Cela signifiait-il que ziver était quelque chose de semblable à ce qui lui arrivait maintenant ?

Puis il écouta les impressions purement auditives qui lui parvenaient de la courbe du passage. Le monstre qui approchait était seul.

— Va m’attendre dans le premier couloir latéral.

— Non Jared. Tu ne peux pas…

Mais il la repoussa dans la direction d’où ils étaient venus et se cacha dans une petite cavité du mur. Quand il comprit qu’il n’aurait pas assez de place pour utiliser sa lance, il la posa sur le sol. Puis il ferma les yeux pour exclure les impressions distrayantes que le monstre projetait devant lui.

La créature avait atteint le tournant et Jared pouvait l’entendre longer le mur de son côté. Il se terra au fond de la cavité.

L’horrible odeur de la créature devenait insoutenable. Et les nombreux plis de chair – si c’étaient des plis de chair – qui flottaient autour de son corps étaient clairement audibles. Si sa respiration et les battements de son cœur étaient de la même intensité et de la même fréquence que ceux d’un humain, il devait arriver à sa hauteur… maintenant !

Bondissant en avant, il envoya son poing de toute sa force dans ce qu’il jugea être l’estomac de la créature.

L’air jaillit des poumons du monstre quand il le heurta. Fuyant un contact qu’il s’attendait à être visqueux, il lui envoya son autre poing dans la tête.

Il ouvrit les yeux avec crainte après avoir entendu le monstre s’écrouler sur le sol. Il était presque sûr que l’étrange son silencieux émis par la créature aurait disparu : en effet, il n’y avait plus rien, maintenant qu’elle avait sombré dans l’inconscience.

Il s’agenouilla pour explorer de ses mains la créature. Il découvrit que son corps n’était pas formé de plis de chair. En fait, ses bras, ses jambes, son tronc étaient recouverts d’un tissu fluide, d’une texture encore plus fine que celui qu’il avait trouvé à l’entrée du Niveau Inférieur. Ce n’était pas étonnant qu’il eût cru que le monstre était recouvert d’une peau flottante ! Qui avait jamais entendu parler de vêtements qui ne collaient pas à la peau ?

Ses mains remontèrent vers le visage et rencontrèrent un morceau de tissu plus grossier, exactement semblable à celui qu’il avait jadis enterré à cause de son odeur. Il était maintenu contre le visage du monstre par quatre rubans noués derrière la tête.

Il arracha le tissu et explora des doigts… un visage humain normal ! Il était assez semblable à celui d’une femme ou d’un enfant, sans aucun cheveu, mais les traits étaient plutôt masculins.

Le monstre était humain !

Jared se releva, et son pied rencontra quelque chose de dur. Avant de le toucher, il se pencha et claqua plusieurs fois des doigts. Il n’eut aucune difficulté à reconnaître l’objet. Il était identique aux appareils tubulaires que les monstres avaient abandonnés aux deux Niveaux.

La créature bougea et Jared laissa retomber l’objet pour reprendre son javelot. Au même moment, Della arriva hors d’haleine en lui criant :

— Encore des monstres, ils viennent de l’autre côté !

Il les entendait maintenant dans le virage ; il perçut la danse des bruits muets sur la paroi de droite.

Il prit la main de la jeune fille et ils remontèrent le passage en courant ; Jared laissait traîner son javelot sur le sol pour avoir des échos assez forts. Il entendit un petit couloir latéral. Il ralentit le pas et s’y engagea avec prudence.

— Allons par là pour le moment, suggéra-t-il. Je pense que c’est plus sûr.

— L’odeur des Ziveurs est-elle forte dans ce passage aussi ?

— Non, mais nous reviendrons vers l’autre. Ces petits couloirs décrivent généralement un demi-cercle.

— Bien, dit-elle, essayant de se donner du courage. Au moins il n’y aura plus de monstres !

— Ce ne sont pas des monstres.

Il soupçonnait que, comme pour les sons, les impressions des Ziveurs n’étaient pas assez subtiles pour distinguer un tissu lâche et des plis de chair ou de peau.

— Ce sont des êtres humains. Il entendit son expression ahurie.