Выбрать главу

Puis il reconnut Leah derrière les appels silencieux et désespérés. Il essaya de distinguer la signification de ce mélange confus d’impressions chaotiques. Mais la peur de la jeune femme était telle qu’elle ne parvenait pas à l’exprimer de façon compréhensible.

À travers les émotions diverses – stupeur sans bornes, épouvante –, il intercepta des impressions fragmentaires de cris et de hurlements, de bousculades et de fuites précipitées, et aussi des éclats de son silencieux qui jouaient de façon dérisoire sur des murs qui avaient été le cadre intime et réel de ses souvenirs d’enfance ; un son familier lui parvenait aussi parfois : zip-hss.

Impossible de se méprendre : les monstres humains avaient envahi le monde de Leah !

— Jared ! Jared ! Des fauves-souris arrivent du passage !

Della le secouait pour le réveiller.

Il saisit son unique javelot et bondit sur ses pieds. La première des bêtes – il y en avait trois ou quatre – était déjà presque au-dessus d’eux. Il eut à peine le temps de forcer Della à s’aplatir sur le sol et de dresser son arme pour parer le premier choc.

La créature plongea en grinçant des dents et reçut le javelot en pleine poitrine. L’arme se brisa en deux et la fauve-souris tomba avec une telle force que le sol en fut ébranlé.

Deux autres furies malfaisantes se préparaient à fondre sur eux. Jared précipita la jeune fille dans la rivière et plongea à sa suite. En moins d’un battement de cœur, le courant, beaucoup plus rapide qu’il ne l’avait cru, entraînait Della vers la paroi où la rivière s’engouffrait dans la roche.

Il entendit qu’il ne pourrait sans doute pas la rattraper à temps, mais nagea tout de même dans sa direction. L’aile d’une fauve-souris frôla l’eau juste devant lui et les serres manquèrent de peu leur proie.

À la brasse suivante, sa main toucha les cheveux de Della qui flottaient à la surface de l’eau et il parvint à les agripper. Mais trop tard, le courant les avait déjà entraînés sous la surface et les masses d’eau s’engouffrèrent derrière eux dans le canal souterrain.

12

De violents courants le précipitèrent d’une paroi à l’autre, puis vers le fond, contre lequel il rebondit pour remonter à la surface en tournoyant ; mais Jared n’y trouva pas d’air pour ses poumons qui menaçaient d’éclater. Il réussit pourtant à ne pas lâcher Della.

Le courant jetait encore et encore la jeune fille contre lui et il se demanda avec terreur si la rivière n’allait pas continuer ainsi éternellement à travers une infinité de défilés, sans jamais rejaillir à l’air libre.

Au moment où il n’allait plus pouvoir retenir sa respiration, sa tête frôla une dernière fois la roche, puis glissa sous un rebord et fit enfin surface, comme un bouchon. Il souleva la jeune fille au-dessus de l’eau et avala de grandes goulées d’air. Entendant la rive toute proche, il s’accrocha à un rocher en partie découvert et poussa la jeune fille sur la rive. Quand il entendit qu’elle respirait encore, il se traîna à son tour hors de l’eau et s’effondra à côté d’elle.

Des gestations plus tard, lorsque son cœur se fut un peu calmé, il prit conscience du grondement d’une cataracte. Les réflexions de ce bruit lui révélèrent l’étendue d’un monde vaste et haut. Mais la grande diversité de sons perdus dans le tumulte de la chute d’eau le fit sursauter : des coques de mannes entrechoquées au loin, des coups frappés sur le roc, le bêlement de brebis et aussi des voix, de nombreuses voix, lointaines et indistinctes.

Déconcerté, il chassa l’eau de son nez et de ses oreilles, se leva et fit rouler un caillou pour écouter tout ce que les échos éveillaient autour de lui. Puis il sentit une odeur puissante et facilement reconnaissable, qui excita sa curiosité, non sans lui causer une légère angoisse.

— Jared ! dit Della en se levant à son tour, nous sommes dans le monde des Ziveurs ! Zive donc ! C’est exactement comme je m’y attendais !

Il écouta attentivement, mais son impression du monde, esquissée par le bruit de l’eau, était confuse et indistincte. Il parvenait pourtant à entendre les sons doux et fibreux d’une plantation de mannes sur sa gauche et une ouverture menant à un passage très loin sur sa droite. Il perçut aussi un grand nombre de formes curieuses, placées à intervalles réguliers au centre du monde. C’étaient des cubes percés d’ouvertures rectangulaires et qui formaient plusieurs rangées. Il les reconnut pour des habitations, semblables à celles du Monde Originel, sans doute fabriquées avec des tiges de mannes liées entre elles.

Della se mit en route, envahie par une vague émotion qui lui faisait battre le cœur.

— Est-ce que ce n’est pas un monde merveilleux ? Zive les Ziveurs… tous ces Ziveurs !

Loin de partager l’enthousiasme de la jeune fille, il descendit la pente derrière elle en s’orientant tant bien que mal à l’aide du bruit de l’eau.

C’était un monde curieux, en effet. Il réussit à emmagasiner les impressions d’un grand nombre de Ziveurs au travail ou en train de jouer pendant que d’autres entassaient des rochers et du gravier devant l’entrée principale. Mais toute cette activité, à laquelle manquait la présence rassurante d’un projecteur central d’échos, avait pour lui un son étrange et inquiétant.

De plus, il était très déçu. Il avait espéré que, dès son arrivée dans le monde des Ziveurs, la différence qu’il cherchait depuis si longtemps lui sauterait aux oreilles. Tout allait être si facile ! Les Ziveurs avaient des yeux et, en les utilisant, ils affectaient matériellement l’universelle Obscurité, la perçant de trous pour ainsi dire, exactement comme le fait d’entendre des sons perçait des trous dans le silence ! Il n’aurait plus eu qu’à identifier ce qui diminuait ainsi et il aurait pu identifier Obscurité.

Mais il n’entendait rien d’inhabituel. Là, en bas, il y avait de nombreuses personnes qui zivaient. Pourtant, tout était parfaitement semblable aux autres mondes, à part l’absence d’un projecteur d’échos et la présence de la forte odeur des Ziveurs.

Della accéléra le pas, mais il la retint.

— Il ne faut pas les effrayer !

— Il n’y a pas de danger. Nous sommes tous les deux des Ziveurs !

Ils étaient maintenant assez près de la zone habitée pour qu’il puisse intercepter les échos des diverses activités. Il suivit Della autour de la plantation, puis le long d’une rangée d’étables. Ils furent finalement découverts lorsqu’ils s’approchèrent de plusieurs Ziveurs qui travaillaient à construire une habitation géométrique. Jared entendit un silence plein d’appréhension s’abattre sur le groupe et toutes les têtes se tourner vers eux.

— Nous sommes des Ziveurs, cria Della avec assurance. Nous sommes venus ici parce que c’est notre place.

Les hommes s’avancèrent en silence, se disposant de façon à converger sur eux de plusieurs directions à la fois.

— Mogan ! cria l’un d’eux. Viens ici ! Vite !

Plusieurs Ziveurs se précipitèrent sur Jared et, lui tenant les bras, lui interdirent tout mouvement. Il entendit que Della subissait le même traitement.

— Nous ne sommes pas armés, protesta-t-il.

De nouveaux arrivants se pressaient autour d’eux et il appréciait fort l’arrière-plan de voix agitées qui, en l’absence d’un projecteur d’échos, lui permettait d’entendre, au moins de façon grossière, ce qui l’entourait.

Deux visages frôlèrent le sien et il écouta des yeux grands ouverts dont la fixité lui parut pleine de sévérité. Il s’assura que ses propres paupières étaient bien ouvertes et ne battaient pas.