— Oui, Jared, reconnut-elle. J’ai aidé Ethan à t’atteindre. Tu peux lui faire confiance. Il dit que si tu ne retournes pas bientôt à la cabane, tu vas tomber malade.
— Non, pas la maladie de la Radiation, intervint la voix rassurante d’Ethan, mais la maladie qui vient d’avoir été trop longtemps exposé à la lumière du soleil quand on n’y est pas habitué. Et d’autres maux aussi – des maux dont Thorndyke veut te protéger.
Puis il entendit clairement la voix d’Ethan, dans un aparté qui ne lui était à l’évidence pas destiné.
— Il est là-haut, dans ce fourré !
Jared sortit de sa cachette et hésita un moment, pendant que la lumière violente du projecteur de Thorndyke pénétrait dans ses yeux et l’empêchait de voir quoi que ce soit. Puis il fit volte-face pour s’enfuir.
— Tu cherchais la lumière, n’est-ce pas, lui cria Owen. Et maintenant que tu l’as trouvée, tu te conduis comme une vieille fille qui fait des manières !
Incertain, Jared s’arrêta pour écouter la voix familière qu’il n’avait plus entendue depuis bien des périodes, depuis que les monstres avaient franchi la Barrière. Mais, plus que la surprise d’entendre sa voix, ce fut le sens des paroles d’Owen qui le fit s’arrêter.
C’était vrai. Il avait effectivement passé toute sa vie à chercher la lumière. Depuis le début, il n’avait cessé d’admettre la possibilité que, quand il la trouverait, elle lui paraîtrait étrange, incompréhensible, effrayante même.
Il l’avait trouvée. Et qu’avait-il fait ? Il n’avait même pas osé lui faire face. Il avait essayé de fuir devant sa propre découverte.
Peut-être cet infini, ce « monde extérieur », n’était-il pas aussi terrifiant qu’il le pensait, à condition de se donner la peine d’essayer de le comprendre.
— Je pourrais vous envoyer une injection d’ici.
Cette fois, c’était la voix calme de Thorndyke qui s’élevait à travers la semi-obscurité.
— Mais je compte sur vous pour devenir raisonnable.
Pourtant, lorsque le cône de lumière s’avança vers lui, Jared recula instinctivement.
Sa peau lui faisait de plus en plus mal et il grimaça de douleur lorsqu’il passa sa main sur son bras.
— Ne t’inquiète pas de cela, lui dit Owen en riant. C’est ton premier coup de soleil, voilà tout. Si tu reviens, nous mettrons quelque chose dessus.
Puis, comme s’il avait lu dans son esprit, Thorndyke dit :
— Bien sûr, il y a une quantité de choses que vous ne comprenez pas. Il y a bien des choses dans ce monde que nous ne comprenons pas nous-mêmes !
Le cône de lumière alla se perdre dans les cimes des arbres.
— Par exemple, nous ne savons pas ce qu’il y a là-haut. Et, quand nous découvrons quelque chose, nous ne savons toujours pas ce qu’il y a au-delà. L’infini demeure infini, dans votre monde des cavernes comme dans celui-ci. L’éternité demeure l’éternité. Il reste toujours un inconnu.
Jared se sentait moins faible, moins insignifiant que par le passé, devant ces habitants du monde extérieur. Thorndyke venait de nommer la région souterraine qui s’étendait au-delà de la muraille rocheuse un « monde des cavernes ». Mais, à bien des égards, ce monde immense n’était qu’une immense caverne. Elle aussi avait un dôme et un infini au-delà de ce dôme, et un rideau d’obscurité qui séparait le connu de l’inconnu.
Une silhouette pénétra hardiment dans le cône de lumière – une toute petite silhouette humaine. Mais il n’avait pas peur. Il savait que sa taille augmenterait dès qu’elle s’approcherait de lui, jusqu’à ce qu’elle atteigne des proportions normales.
Avec calme, il observa la forme qui s’avançait. Il remarqua qu’une lumière bien plus forte que celle du projecteur de Thorndyke commençait à l’éclairer. Ce ne pouvait être que la lumière d’Hydrogène qui envahissait peu à peu le dôme derrière lui. Le vent se leva, faisant frémir les arbres du Paradis, et il apporta avec lui l’odeur de Della, claire et fraîche.
— Moi non plus, je ne comprends pas toutes ces choses, dit-elle en venant vers lui, mais je suis disposée à attendre et à ziver ce qui arrivera.
Du fond de la jeune expérience de Jared jaillit une vérité qui le remplit de contentement : ziver et voir étaient deux choses tellement semblables que, ici, la différence physique entre Della et lui était négligeable. Il n’avait plus aucune raison de se sentir inférieur.
Il ne quitta pas la jeune fille des yeux pendant qu’elle approchait. Au-dessus de lui, l’oiseau chantait délicieusement et la beauté poignante de son refrain renforça encore la joie que ses yeux éprouvaient à voir la jeune fille arriver près de lui.
Les impressions fines et harmonieuses qu’il recevait de Della le frappèrent surtout par leur douceur, semblable à celle de la musique qu’elle lui avait fait entendre une fois au Niveau Supérieur, et par leur vibration semblable à celle d’une chute d’eau cachée dans le lointain. Il prit la main qu’elle lui tendait.
— Nous allons rester ici et nous verrons ce qui arrivera… ensemble ! dit Jared en descendant lentement vers Thorndyke et les autres.