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Jared ne comprenait pas quelle différence une naissance illégitime pouvait bien faire, mais il ne s’attarda pas sur ce point.

— N’importe qui d’autre, alors ! Il y a Randel, Many et…

— La Roue et moi discutions déjà de cette question quand tu ne m’arrivais qu’à la taille. Et c’est toi que j’ai fait monter dans son estime jusqu’à ce qu’il te prenne pour l’égal d’un Ziveur.

Le plus difficile à supporter dans la punition de Jared était peut-être le silence… le silence et les corvées. Rapporter de l’engrais du monde des petites chauves-souris, se traîner jusqu’au domaine des grillons afin de ramasser des insectes morts pour servir de fumier dans les plantations de mannes ; creuser des canaux de déviation pour canaliser le surplus d’eau des puits, la peau ridée par la vapeur bouillante ; s’occuper du bétail et nourrir des poussins à la main jusqu’à ce qu’ils sachent trouver leur nourriture tout seuls…

Et pendant tout ce temps il était condamné au silence total. On ne lui parlait que pour lui donner des ordres. Il n’avait pas le droit de porter des pierres à échos pour entendre avec précision. Il était complètement isolé de tout contact avec les autres.

La première période dura une éternité ; la seconde, douze fois plus longtemps. Il passa la troisième à s’occuper du verger et à vouer à la Radiation quiconque approchait, car ils ne venaient que pour lui donner des instructions – tous sauf un.

C’était Owen, qui était venu lui apporter l’ordre de commencer à creuser une grotte publique. Jared entendit les rides que l’inquiétude avait creusées sur son visage.

— Si tu penses que tu as mérité de trimer avec moi, dit Jared, enfreignant la règle du détachement vocal, tu ferais mieux d’oublier. C’est moi qui t’ai obligé à passer la Barrière.

— J’ai beaucoup pensé à cela, admit Owen avec une certaine froideur. Mais il y a une autre chose qui me préoccupe bien davantage.

— Quoi ? demanda Jared tout en continuant d’épandre du fumier autour d’un plant de manne.

— Je ne suis pas digne de devenir un survivant. Pas après la manière dont je me suis comporté dans le Monde Originel.

— Oublie le Monde Originel.

— Je ne peux pas.

La voix d’Owen trahissait sa culpabilité.

— J’ai laissé tout mon courage de l’autre côté de la Barrière.

— Pauvre idiot ! dit Jared avec douceur. Oublie tout ça !

Il passa la quatrième période à languir dans la solitude, sans que personne vienne, même pas pour lui donner des ordres. Durant la cinquième, il essaya de retrouver son courage en se félicitant d’avoir échappé au puits. Mais pendant la sixième, les muscles douloureux, fatigué au point de n’en plus pouvoir, il se rendit compte que cela n’aurait pas été pire. Et, avant qu’il eût fini la dernière de ces tâches inhumaines et épuisantes, il désirait, au nom de la Radiation, qu’on l’eût bel et bien condamné au puits de châtiment !

Il acheva de mettre en place une dernière dalle de pierre dans une des nouvelles grottes, puis arrêta le projecteur d’échos pour la période de sommeil. Ivre de fatigue, il se traîna vers la grotte des Fenton.

Romel dormait, mais le Premier survivant était encore éveillé.

— Je suis heureux que ce soit fini, mon fils, le réconforta-t-il. Repose-toi maintenant. Demain on te conduira au Niveau Supérieur pour les cinq périodes préparatoires à la déclaration des intentions d’unification.

Trop fatigué pour discuter, Jared se laissa tomber sur sa corniche.

Son père reprit d’une voix calme :

— Il y a une chose que tu dois savoir : il semble que les Ziveurs recommencent à faire des prisonniers. Il y a quatre périodes, Owen était parti pour aller cueillir des champignons. On ne l’a pas entendu depuis.

Soudain Jared fut parfaitement éveillé ; il n’était pas aussi épuisé qu’il l’avait pensé. Quand le Premier survivant se fut endormi, il chercha ses pierres à échos et sortit du Niveau Inférieur sans se faire remarquer, partagé entre la condamnation de l’orgueil stupide d’Owen et l’inquiétude sur son sort.

Luttant contre l’envie de s’écrouler sur place et de s’endormir pour toujours, il dépassa l’endroit où ils avaient rencontré la petite Ziveuse, longea la rivière au courant rapide et avança dans le tunnel étroit. Tout en sondant chaque puits le long du chemin, il atteignit la Barrière et la passa péniblement. De l’autre côté, son pied buta contre un objet familier – le carquois d’Owen !

Puis il trouva une lance brisée et deux flèches. Les échos de ses pierres lui dévoilèrent près de la paroi l’arc de son ami, cassé en deux. Reniflant ce qui était peut-être un reste de l’odeur de la créature du Monde Originel, il revint vers la Barrière.

Owen n’avait même pas eu le temps d’utiliser ses armes !

3

À l’entrée du Niveau Supérieur, des échos inhabituels du projecteur central apportèrent à Jared des impressions brutes d’un monde assez semblable au sien, avec des grottes, des lieux de travail, et des enceintes pour le bétail. Une corniche naturelle courait le long du mur de droite et s’abaissait vers le sol.

En attendant l’escorte qui devait l’accompagner, il pensa avec tristesse à sa découverte des armes d’Owen de l’autre côté de la Barrière. Il avait certainement fait erreur en croyant que la créature maudite avait été envoyée par Lumière elle-même pour le punir de son rejet sacrilège des croyances établies. En fin de compte, il semblait bien que la Barrière n’avait été érigée que pour protéger l’homme du monstre. Mais cela ne l’empêcherait pas de continuer à chercher Obscurité. Il ne laisserait pas l’incertitude sur le sort d’Owen durer longtemps.

— Jared Fenton ?

La voix, surgie de derrière un gros rocher sur sa gauche, le prit par surprise. Sortant dans le plein son du projecteur central, l’homme dit :

— Je suis Lorenz, conseiller de la Roue Anselme.

La voix de Lorenz suggérait une personne de petite taille et de faible capacité pulmonaire, qui se tenait légèrement voûtée. Il perçut également l’expression sonore indirecte d’un visage très ridé auquel manquaient les protubérances douces et humides des yeux ouverts.

— Dix touches de familiarisation ? proposa Jared d’un ton cérémonieux.

Mais le conseiller déclina l’offre.

— Mes sens sont suffisants ; je n’oublie jamais ce que j’entends.

Il commença à descendre un sentier qui traversait la zone des sources chaudes.

Jared le suivit.

— La Roue m’attend ?

C’était une question inutile puisqu’un coureur avait annoncé son arrivée.

— Dans le cas contraire, je ne serais pas venu à votre rencontre.

Percevant de l’hostilité dans les paroles brusques du conseiller, Jared tourna toute son attention vers lui. Les échos du projecteur se modulaient rudement à son contact à cause de son expression déterminée et rancunière.

Jared demanda avec franchise :

— Vous ne voulez pas de moi ici, n’est-ce pas ?

— J’ai fortement déconseillé tout cela. Je n’entends pas ce que nous avons à gagner en nous associant avec votre monde.

L’attitude renfrognée du conseiller l’intrigua, jusqu’à ce qu’il se fût rendu compte que l’union entre les deux Niveaux changerait certainement la position établie de Lorenz.

Le sentier raviné ne descendait plus et suivait maintenant la paroi de droite. Des grottes résidentielles renvoyaient des sons étouffés. Jared perçut plutôt qu’il n’entendit plusieurs groupes de curieux qui les écoutaient passer.

Bientôt le conseiller le prit par les épaules et le fit pivoter sur sa droite.