Retournant en boitillant dans sa chambre, il grommela des jurons à voix basse. Il se laissa tomber sur son lit dur comme la pierre et essaya de se souvenir des raisons qui l’avaient amené ici. Il pensa à la torture perpétuelle de la double pesanteur, aux rêves angoissés, au mépris automatique de ces gens pour tous ceux qui venaient de l’extérieur. Il décida qu’il s’était suffisamment penché sur son triste sort. Selon les normes de Pyrrus, il était effectivement faible et sans soutien. S’il voulait qu’ils aient une meilleure opinion de lui, il lui faudrait changer beaucoup.
Il sombra dans un sommeil de drogué interrompu seulement par la hantise d’un cauchemar.
7
Le lendemain matin, Jason se réveilla avec un mauvais mal de tête et l’impression pénible qu’il n’avait pas dormi du tout. Alors qu’il avalait les stimulants que Brucco lui avait donnés, il se demanda de nouveau pourquoi ses rêves étaient si pénibles.
— Mangez rapidement, lui dit Brucco lorsqu’il le rencontra dans la salle à manger. Je n’ai plus de temps à vous consacrer pour une instruction individuelle. Vous allez vous joindre aux classes normales et suivre les leçons. Ne venez me voir que lorsque vous tomberez sur un problème spécial qu’aucun des professeurs ne pourra résoudre.
Les classes, ainsi que Jason aurait pu s’y attendre, étaient fréquentées par des petits enfants au visage tendu. Avec leur corps ramassé et leurs manières strictes, ils étaient bien des Pyrrusiens. Mais ils étaient encore assez enfants pour considérer comme très amusant d’avoir un adulte dans leur classe. Coincé contre un pupitre trop petit, Jason rougit, se sentant horriblement gêné.
Toute ressemblance avec une école ordinaire finissait avec l’apparence extérieure de la classe. Tout d’abord, tous les enfants, quel que fût leur âge, portaient un pistolet. Et tous les cours concernaient la survie. Le seul diplôme possible avec ce programme exigeait un 20 sur 20 et les élèves répétaient la même leçon jusqu’à ce qu’ils la connussent parfaitement. Il n’y avait pas de cours sur les sujets enseignés habituellement dans les écoles. Ils faisaient sans doute l’objet d’études ultérieures, quand l’enfant était capable d’affronter seul le monde. Ce qui était une manière logique et froide de considérer les choses. En fait, la logique était le moteur principal de toute activité sur Pyrrus. La plus grande partie de la matinée fut passée à étudier le fonctionnement de l’un des médikits qui entouraient leur ceinture. Il s’agissait d’un analyseur d’infection et de poisons que l’on pressait sur une blessure ouverte. Si une toxine quelconque était présente, l’antidote était automatiquement injecté à cet endroit. D’un fonctionnement très simple, le principe en était incroyablement compliqué. Comme chaque Pyrrusien entretenait son propre matériel, il n’avait personne à blâmer en cas de panne. Il lui fallait en apprendre la constitution pour pouvoir réparer tous les dispositifs. Jason s’en sortit beaucoup mieux que les enfants, mais l’effort qu’il dut fournir l’épuisa.
L’après-midi, il fit ses premières armes dans une cellule d’entraînement. Son instructeur était un garçon de treize ans, dont la voix froide ne cachait pas son mépris pour le faible étranger.
— Toutes les cellules d’entraînement sont des reproductions de la surface de la planète, constamment mises à jour en fonction des changements des formes de vie. La première cellule avec laquelle vous ferez connaissance est naturellement celle dans laquelle on introduit les tout petits…
— Trop aimable. Vos flatteries me submergent.
L’instructeur continua, insensible à l’interruption :
— … dès qu’ils peuvent ramper. Les dangers sont réels bien que complètement neutralisés.
En passant la porte épaisse, Jason se rendit compte que la cellule d’entraînement n’était pas le terme qui convenait. C’était en fait une partie du monde extérieur reproduite dans une chambre immense. Il manquait peu de chose pour qu’il se crût enfin dehors. La scène lui sembla assez calme, en dépit de nuages à l’horizon annonçant un violent orage pyrrusien.
— Vous devez vous promener et examiner tout ce qui vous entoure. Chaque fois que vous commettrez une imprudence, vous en serez averti. Regardez.
Le garçon se pencha et enfonça le doigt parmi les brins de l’herbe douce qui couvrait le sol. Une voix aboya immédiatement par des haut-parleurs dissimulés :
— Herbe empoisonnée. Porter les bottes continuellement.
Jason s’agenouilla et examina les brins d’herbe. Leur pointe présentait un crochet dur et brillant. Il s’avisa avec surprise que chaque brin d’herbe était semblable. La douce pelouse verte était un tapis de mort. En se redressant, il aperçut quelque chose sous une plante à feuilles larges. Un animal accroupi, couvert d’écailles, et dont la tête se terminait par une longue corne.
— Qu’est-ce qu’il y a au fond de ce jardin ? demanda-t-il. Vous donnez à vos petits de bien plaisants compagnons de jeu.
Il se retourna et s’aperçut qu’il parlait à son ombre ; l’instructeur était parti. Il haussa les épaules et caressa la tête de la monstruosité écaillée.
— Diable à corne, dit la voix impersonnelle. Aucune protection possible. Tuez-le.
Un crac aigu déchira le silence lorsque Jason tira. La bête tomba, conçue pour réagir aux charges à blanc.
« Eh bien, j’apprends », se dit Jason et cette pensée lui plut. Les mots « tuez-le » avaient été utilisés par Brucco lorsqu’il lui avait appris à se servir du pistolet. Leur effet stimulant avait atteint son subconscient. Il avait tiré presque automatiquement, sans réfléchir. Son respect pour les méthodes d’entraînement pyrrusiennes augmenta.
Jason passa un après-midi parfaitement déplaisant à se promener dans le jardin des horreurs pour enfants. La mort était partout. La voix lui donnait en permanence des conseils précis dans un langage simple. Il n’avait jamais imaginé que la mort violente pût revêtir des formes aussi répugnantes. Ici, tout était danger de mort pour l’homme, du plus petit insecte à la plus grande plante.
Pourquoi cette planète était-elle aussi hostile à la vie humaine ? Il se dit qu’il poserait la question à Brucco. En attendant, il essaya de trouver une forme de vie qui n’en voulût pas à sa peau. En vain. Après de longues recherches, il repéra quelque chose dont le contact ne suscitait aucun avis de danger. C’était un bout de rocher qui faisait saillie sur un pré d’herbe empoisonnée. Jason s’y assit avec un sentiment de reconnaissance. Une oasis de paix. Plusieurs minutes s’écoulèrent pendant qu’il détendait ses membres fatigués du fait de la pesanteur.
— CHAMPIGNONS POURRISSANTS ! NE PAS TOUCHER !
La voix tonitruait, deux fois plus forte que d’habitude, et Jason sauta comme si on lui avait tiré dessus. Le pistolet en main, il chercha sa cible. Il ne comprit qu’après s’être penché et avoir examiné le rocher. Il y avait maintenant des taches grises qui ne s’y trouvaient pas lorsqu’il s’était assis.
— Ah les salauds ! s’écria-t-il. Combien d’enfants avez-vous effrayés sur ce rocher après qu’ils avaient pensé y trouver un peu de paix ?
Il détestait le côté tortueux du conditionnement mais le respectait en même temps. Les Pyrrusiens apprenaient très tôt qu’aucun endroit n’était sûr sur cette planète – sauf ceux qu’ils se créaient par leurs propres moyens.
Tout en faisant la connaissance de Pyrrus, il commençait à acquérir une compréhension plus approfondie des Pyrrusiens eux-mêmes.
8
Les jours, puis les semaines passèrent dans cette école isolée du monde extérieur. Jason devenait presque fier de son aptitude à donner la mort. Il reconnaissait facilement les animaux et les plantes ; il se trouvait dans une cellule d’entraînement où les bêtes le chargeaient paresseusement. Son pistolet atteignait les attaquants avec une régularité monotone. Les classes quotidiennes commençaient à l’ennuyer.