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— Ne dites jamais cela ! Rugit-il. Que je ne vous entende plus prononcer de telles insanités !

Jason restait aussi immobile que possible, parlant lentement et choisissant chaque mot avec soin. Sa vie en dépendait.

— Ne vous mettez pas en colère, Kerk. Je ne vous veux aucun mal. Je suis avec vous, vous vous souvenez ? Je peux vous parler parce que vous connaissez des tas de choses qu’ignorent les Pyrrusiens qui n’ont jamais quitté la planète. Vous avez l’habitude de discuter. Vous savez que les mots ne sont que des symboles. Nous pouvons bavarder en sachant que vous n’avez pas à perdre votre sang-froid pour de simples mots…

Kerk baissa lentement les bras et s’éloigna. Puis il se retourna et se versa un verre de l’eau contenue dans une bouteille placée sur son bureau. Il resta le dos tourné à Jason tandis qu’il buvait.

La chaleur de la pièce n’avait provoqué qu’une petite partie de la transpiration que Jason épongea sur son front.

— Je suis désolé de m’être emporté, dit Kerk, en se laissant tomber lourdement dans son fauteuil. Cela m’arrive rarement, j’ai beaucoup travaillé ces derniers temps, je dois être énervé.

— Nul n’est à l’abri d’une défaillance. Je ne vais pas vous décrire l’état de mes nerfs lorsque je suis arrivé ici. Je suis finalement forcé d’admettre que tout ce que vous avez dit sur Pyrrus est exact. C’est l’endroit le plus sinistre du système. Seul des autochtones peuvent avoir une chance d’y survivre. J’arrive à me débrouiller un peu grâce à mon entraînement, mais je n’ignore pas que je n’aurais aucune chance tout seul. Vous savez probablement que j’ai un gardé du corps de huit ans. Cela donne une bonne idée de ma position réelle ici.

Kerk se contrôlait de nouveau, sa colère était dissipée. Ses sourcils se froncèrent.

— Je suis surpris de vous entendre dire cela. Je n’aurais jamais imaginé que je vous entendrais admettre un jour votre infériorité en quoi que ce soit. N’est-ce pas dans cette optique que vous êtes venu ici ? Afin de prouver que vous étiez aussi apte qu’un Pyrrusien d’origine ?

— Un point pour vous, admit Jason. Je ne pensais pas que ce fût aussi visible. Je suis heureux de constater que votre esprit n’est pas aussi blindé que votre corps. Oui, je dois admettre que c’était certainement ma raison principale de venir ici, outre la curiosité.

— Vous êtes venu ici pour prouver que vous êtes aussi fort qu’un Pyrrusien. Et maintenant, vous admettez qu’un garçon de huit ans peut être meilleur que vous. Cela ne concorde pas avec ce que je sais sur votre compte. Si vous donnez d’une main, c’est sans doute pour reprendre de l’autre. De quelle façon ressentez-vous encore votre supériorité naturelle ?

Il posa la question légèrement, mais ses mots cachaient mal une certaine tension.

Jason réfléchit un bon moment avant de répondre.

— Je vais vous le dire. Mais essayez de ne pas me tordre le cou. Je fais le pari que votre esprit civilisé surveillera vos réflexes. Car j’ai à parler de choses qui sont absolument tabou sur Pyrrus.

» Aux yeux de votre peuple, je suis un faible parce que je viens d’un autre monde. Mais rendez-vous compte que c’est aussi ma force. Je peux voir les choses qui vous sont cachées par une longue habitude. Vous connaissez le vieux proverbe parlant de l’arbre qui cache la forêt.

Kerk approuva de la tête et Jason continua.

— Pour poursuivre l’analogie, lorsque je suis descendu du vaisseau, je ne pouvais voir que la forêt. Certains faits sont évidents à mes yeux. Je pense que vous les connaissez aussi, mais que vous les chassez soigneusement de vos pensées. Ce sont des pensées cachées qui sont absolument tabou. Je vais quand même vous dire ce que je pense et j’espère que vous pourrez vous contrôler suffisamment pour ne pas me tuer.

Les grandes mains de Kerk se serrèrent sur les bras de son fauteuil, seul signe extérieur de l’attention qu’il prêtait à Jason. Ce dernier parla calmement, mais ses mots pénétrèrent aussi facilement et profondément que le bistouri d’un chirurgien.

— Je pense que les êtres humains sont en train de perdre la guerre sur Pyrrus. Après des centaines d’années d’occupation, vous n’avez qu’une ville sur la planète – et elle est à moitié en ruine. On dirait qu’elle a connu une population plus importante par le passé. Le tour de force que nous avons effectué pour obtenir ce chargement de matériel de guerre n’était qu’une acrobatie. Il ne fait que retarder l’échéance. Vous marchez sur un volcan et vous ne voulez pas l’admettre.

Tous les muscles de Kerk étaient tendus, son visage couvert de petites gouttes de sueur. Encore quelques mots, et il allait exploser. Jason chercha le moyen de faire tomber la tension.

— Cela ne m’amuse pas de vous en parler. Je le fais, car je pense que vous connaissez déjà ces choses-là. Vous ne pouvez pas admettre ces faits parce que ce serait reconnaître que cette guerre et ces morts sont absolument inutiles. Si votre population diminue régulièrement, votre bataille n’est qu’une forme particulièrement sanglante de suicide racial. Vous pourriez quitter cette planète, mais ce serait reconnaître votre défaite. Et il semble que les Pyrrusiens préfèrent la mort à la défaite.

Lorsque Kerk se souleva de son siège, Jason se dressa lui aussi, criant ses mots à travers le brouillard de colère de son interlocuteur.

— Je cherche à vous aider. Comprenez-vous cela ? Rejetez l’hypocrisie qui encombre votre esprit, elle vous détruit. Vous êtes en ce moment même en train de vous battre pour une bataille qui est déjà perdue. Ceci n’est pas une guerre réelle, mais le traitement désastreux de ses symptômes. Vous coupez les doigts cancéreux l’un après l’autre. Le seul résultat possible est un échec complet. Vous vous refusez à l’admettre. C’est pourquoi vous préféreriez me tuer plutôt que de me laisser dire ce qui ne doit pas être dit.

Kerk était sorti de son fauteuil maintenant et dominait Jason comme un aigle prêt à s’abattre. Il n’était retenu que par la force des mots de Jason.

— Vous devez commencer à affronter la réalité. Vous ne pouvez vous satisfaire d’une guerre éternelle. Vous devez commencer à vous rendre compte qu’il vous faut traiter les causes de cette guerre et y mettre fin pour toujours.

Le choc des mots apaisa la colère de Kerk et leur signification le pénétra. Il retomba dans son fauteuil, le visage empreint d’étonnement.

— Que diable voulez-vous dire ? Vous parlez comme un bon sang de grubber !

Jason ne demanda pas ce qu’était un grubber, mais retint le mot.

— Vous dites des idioties, poursuivit Kerk. Nous sommes simplement entourés d’un monde étranger contre lequel il nous faut nous battre. Les causes sont des faits assez évidents en eux-mêmes.

— Non, pas du tout, insista Jason. Réfléchissez une seconde. Lorsque vous avez quitté votre planète pendant quelque temps, il faut que vous vous recycliez. Afin de voir de quelle façon les choses ont empiré pendant votre absence. C’est donc une progression linéaire. Si la situation s’aggrave à mesure que vous avancez dans le futur, on peut postuler que le processus serait inversé. Si vous faites un retour dans le passé, rien n’interdit de penser qu’il fut une époque pendant laquelle la paix régnait sur Pyrrus.

Kerk restait muet, subissant les arguments logiques que lui assenait Jason.

— J’ai un argument à l’appui de cette théorie. Vous admettez vous-même que, si je ne peux pas me défendre parfaitement dans la vie pyrrusienne, j’en ai maintenant une bonne connaissance. Et j’ai remarqué que la flore et la faune de Pyrrus avaient au moins une chose en commun. Elles ne cherchent pas à se nuire mutuellement. Leurs toxines ne semblent pas dirigées contre les autres espèces. Elles ne sont bonnes qu’à répandre la mort chez l’homme. Et c’est là une impossibilité physique. Au cours des trois cents ans pendant lesquels les hommes ont vécu sur cette planète, les formes de vie ne peuvent avoir évolué naturellement de cette manière.