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— Moi, si, répliqua-t-il.

— Moi, non ! C’est la chose la plus dégoûtante au monde et je n’en dirai pas plus. Parlez-en à Krannon, mais pas à moi.

Elle lui avait saisi le bras en parlant, et il fut traîné jusqu’au couloir. La porte claqua derrière lui et il murmura « catcheuse » dans sa barbe. Il ne lui restait plus qu’à trouver qui était Krannon.

Le panneau du personnel mentionnait un homme nommé Krannon et indiquait son lieu de travail. Ce n’était pas loin et Jason s’y rendit. Un grand bâtiment public, sans fenêtres, avec les mots NOURRITURE-ALIMENTATION inscrits de chaque côté des entrées étanches. Le passage qu’il utilisa consistait en une série de chambres automatiques qui le firent passer dans des ultrasons, des ultraviolets, une douche antibiologique, des brosses rotatives et enfin trois rinçages. Il fut finalement admis, humide mais propre, dans la zone centrale. Des hommes et des robots entassaient des caisses et il se renseigna sur Krannon. L’homme l’inspecta de haut en bas froidement et cracha sur ses chaussures avant de répondre.

Krannon travaillait seul dans un vaste hall d’emmagasinage. C’était un individu trapu en combinaison rapiécée, dont l’expression indiquait une profonde tristesse. Lorsque Jason s’approcha, il s’arrêta de transporter les caisses et s’assit sur la plus proche. Jason lui expliqua ce qu’il cherchait. Tout ce qui concernait l’histoire du passé de Pyrrus l’ennuyait et il bâilla ouvertement. Lorsque Jason eut terminé, il bâilla encore et ne daigna même pas répondre.

Jason attendit un moment, puis insista encore :

— Je vous ai demandé si vous aviez en votre possession de vieux livres, des journaux, des archives ou quelque chose de ce genre ?

— Vous avez bien choisi le type à ennuyer, étranger, fut la seule réponse. Après m’avoir parlé, vous allez avoir beaucoup d’ennuis.

— Et pourquoi donc ?

— Pourquoi ? (Pour la première fois il fut animé par autre chose que de la mélancolie.) Je vais vous dire pourquoi ! J’ai fait une faute une fois, une seule, et on m’a puni pour toujours. Je dois rester seul pendant toute ma vie. Il me faut même recevoir des ordres des grubbers.

Jason sursauta, mais se contrôla immédiatement.

— Des grubbers ? Que sont les grubbers ?

L’énormité de la question secoua Krannon ; il lui semblait impossible qu’il existât un homme vivant n’ayant jamais entendu parler des grubbers. Il fut heureux de se rendre compte qu’il avait sous la main quelqu’un à qui raconter ses ennuis.

— Les grubbers sont des traîtres à l’Humanité, voilà ce qu’ils sont et on devrait les détruire. Ils vivent dans la jungle. Et tout ce qu’ils font avec les animaux…

— Vous voulez dire que ce sont des gens, des Pyrrusiens comme vous ? L’interrompit Jason.

— Pas comme moi, monsieur. Ne commettez plus jamais cette erreur si vous voulez continuer à vivre. Je me suis peut-être assoupi une fois lorsque j’étais de garde et on m’a envoyé ici. Ça ne veut pas dire que j’aime ce travail ni les grubbers. Ils puent, ils puent vraiment et si ce n’était pas pour la nourriture qu’ils nous fournissent, ils seraient tous morts. C’est le genre de tuerie pour laquelle je serais volontaire avec joie.

— S’ils vous fournissent de la nourriture, vous devez leur donner quelque chose en échange ?

— On leur amène des marchandises, de la verroterie, des couteaux, des choses courantes. Le service d’approvisionnement nous les envoie en cartons et je me charge de la livraison.

— Comment ?

— Par camion blindé jusqu’à l’endroit de livraison. Puis j’y retourne plus tard pour prendre la nourriture qu’ils ont laissée en échange.

— Puis-je aller avec vous à la prochaine livraison ?

Pendant une minute, Krannon réfléchit en fronçant les sourcils.

— Ouais, je suppose que vous pourriez venir si vous êtes assez stupide pour le faire. Vous pourrez m’aider à charger. Ils sont entre deux moissons maintenant, le prochain voyage n’aura pas lieu avant huit jours…

— Mais c’est trop tard, le vaisseau sera déjà reparti. Ne pouvez-vous pas y aller plus tôt ?

— Ne me parlez pas de vos ennuis, monsieur, grommela Krannon en se remettant debout. J’y vais dans huit jours et la date ne changera pas à cause de vous.

Jason se rendit compte qu’il n’obtiendrait rien de plus de cet homme aujourd’hui. Il se dirigea vers la porte, puis se retourna.

— Une dernière chose, demanda-t-il. À quoi ressemblent ces sauvages – les grubbers ?

— Je n’en sais rien ! Je fais du commerce avec eux, pas l’amour. Si j’en voyais jamais un, je le descendrais immédiatement.

Jason sortit calmement.

Allongé sur son lit, reposant son corps fatigué par la pesanteur, il chercha un moyen pour que Krannon change la date de livraison. Ses millions lui étaient inutiles dans ce monde sans monnaie. Puisque l’homme ne pouvait être convaincu, il fallait l’acheter. Avec quoi ? Les yeux de Jason tombèrent sur le placard dans lequel se trouvaient ses vêtements d’étranger et il eut une idée.

Il ne put retourner à l’entrepôt que le lendemain matin. Krannon ne s’arrêta même pas de travailler lorsque Jason s’approcha de lui.

— Voulez-vous ceci ? demanda Jason en lui tendant un étui plat en or, orné d’un gros diamant.

Krannon grommela et le retourna dans ses mains.

— Un jouet, dit-il. À quoi ça sert ?

— Eh bien, si vous appuyez ici, cela fait une flamme.

Et une flamme apparut par un trou situé sur la tranche. Krannon fit le geste de le lui rendre.

— Pourquoi aurais-je besoin d’un briquet ? Tenez, gardez-le.

— Attendez. Ce n’est pas tout. Lorsque vous enfoncez cette pierre centrale, voici ce qu’il en sort.

Une pastille noire de la taille d’un ongle tomba dans sa main.

— Une grenade, avec de l’ultranite solide. Serrez-la entre vos doigts et lancez. Trois secondes plus tard elle explose avec une force suffisante pour éventrer ce bâtiment.

Cette fois, Krannon sourit presque en reprenant l’étui. Des armes destructives comme celle-ci étaient un délice pour un Pyrrusien. Pendant qu’il regardait l’objet, Jason lui fit sa proposition.

— Les grenades et l’étui sont à vous si vous avancez la date de votre prochaine livraison à demain, et si vous m’emmenez avec vous.

— Soyez ici demain matin à 5 heures, lui dit Krannon. Nous partirons très tôt.

15

Le camion arriva à la porte du périmètre et s’arrêta. Krannon fit un signe au garde par la fenêtre avant, puis rabattit la plaque de blindage. Lorsque les portes s’ouvrirent, le camion – en réalité un char blindé géant – s’avança lentement. Il y avait une seconde porte après la première, qui ne s’ouvrait que lorsque la porte intérieure était fermée. Jason regarda dans le périscope lorsque la deuxième porte s’ouvrit. Des lance-flammes automatiques se déclenchèrent et ne s’arrêtèrent que lorsque le camion arriva à leur hauteur. Une zone brûlée environnait la porte. Au delà, la jungle commençait.

Toutes les plantes et les animaux dont Jason n’avait vu que des spécimens existaient ici à profusion. Des branches hérissées d’épines et des lianes s’entrelaçaient pour former un tissu serré où fourmillait la vie sauvage. Des chocs et des grattements se firent entendre sur le blindage. Krannon rit et commanda l’électrification de la grille extérieure.

On avançait à petite vitesse, à travers la jungle. Krannon avait enfoncé son visage dans le masque du périscope et s’occupait silencieusement des commandes. Après quelques kilomètres, la progression était plus facile, et il releva le périscope et ouvrit le blindage de la fenêtre. La jungle était encore touffue et hostile, mais relativement moins que dans la zone qui entourait le périmètre immédiat. Pour quelle raison ? Pourquoi cette haine planétaire intense et centralisée ?