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Les moteurs se turent et Krannon se leva en s’étirant.

— Nous sommes arrivés, dit-il. Déchargeons.

Le camion se trouvait au milieu de rocs arides, sur une petite colline qui faisait saillie dans la jungle, trop lisse et escarpée pour que la végétation pût s’y accrocher. Krannon ouvrit les trappes du camion et ils sortirent les boîtes et les caisses. Lorsqu’ils eurent terminé, Jason s’écroula sur la pile.

— Remontez, nous partons, dit Krannon.

— Vous partez, je reste ici.

Krannon le regarda froidement.

— Remontez dans le camion ou je vous tue. Personne ne reste ici. D’abord, vous ne pourriez pas survivre une heure tout seul. Ensuite, les grubbers vous attraperaient. Ils vous tueraient immédiatement, bien sûr, mais c’est sans importance. L’ennui, c’est que vous avez un équipement que nous ne pouvons pas laisser entre leurs mains. Vous voulez voir un grubber avec un pistolet ?

Pendant que le Pyrrusien parlait, Jason réfléchit très vite. Il espérait que la cervelle de Krannon était aussi lente que ses réflexes étaient rapides.

Jason regarda les arbres, et laissa son regard remonter parmi les branches épaisses. Bien que Krannon fût encore en train de parler, il eut automatiquement conscience de la direction du regard de Jason. Lorsque ses yeux s’écarquillèrent et que son pistolet lui sauta dans la main, Krannon se tourna dans la même direction, son propre pistolet au poing.

— Là ! Tout en haut ! Cria Jason en tirant dans les branches enchevêtrées.

Krannon tira à son tour. Aussitôt, Jason se jeta en arrière, roula en boule, se laissant descendre le long du rocher. Les coups de feu avaient couvert le bruit de ses mouvements et avant que Krannon ne se fût retourné, la pesanteur l’avait entraîné au bas du rocher et il pénétra dans les buissons épais. Des branches souples le frappèrent, mais ralentirent sa chute. Lorsqu’il se trouva immobile, il était perdu dans la masse. Les balles de Krannon arrivèrent trop tard pour le toucher.

Allongé là, fatigué et meurtri, Jason entendit le Pyrrusien jurer après lui. Il trépigna sur le rocher, tira quelques balles, mais n’osa pas pénétrer sous le fourré. Il abandonna finalement et retourna au camion. Le moteur démarra et les chenilles grincèrent sur le rocher.

Jason était seul. Jusqu’à ce moment il ne s’était pas rendu compte de ce que cela signifiait. Il dut se retenir pour ne pas courir après le camion. Ce qui était fait était fait.

Il avait choisi une solution hasardeuse mais c’était la seule manière de rencontrer les grubbers. C’étaient des sauvages, mais ils descendaient de l’homme. Il lui fallait les rencontrer, s’en faire des amis. Découvrir comment ils avaient réussi à vivre en sécurité dans ce monde délirant.

S’il y avait eu une autre solution pour résoudre le problème, il l’aurait choisie ; il n’aimait pas le rôle de héros martyr. Mais Kerk lui avait forcé la main.

Il s’approcha de la lisière des arbres. Aucune des plantes qui entouraient un arbre au tronc épais ne semblait vénéneuse, et il se glissa au milieu d’elles. Il n’y avait pas de danger en vue et cela le surprit. Il laissa son corps se détendre un peu, appuyé contre l’écorce rude.

Quelque chose de doux et d’étouffant lui tomba sur la tête ; son corps fut saisi dans un étau d’acier. Plus il se débattait, plus l’étau se resserrait ; le sang afflua à ses tempes et il suffoqua.

La pression se desserra lorsqu’il s’abandonna. Sa première panique se calma légèrement lorsqu’il se rendit compte qu’il n’avait pas été attaqué par un animal. Il ne savait rien des grubbers, mais ils tenaient de l’homme et il lui restait une chance de s’en sortir.

On lui attacha les bras et les jambes et le pistolet lui fut arraché. Il se sentit étrangement nu sans son arme. Des mains puissantes l’attrapèrent, il fut jeté en l’air et retomba la tête la première sur quelque chose de chaud et de doux. La peur le reprit, car ce devait être un gros animal. Et tous les animaux pyrrusiens étaient dangereux.

Lorsque l’animal se mit en marche, avec Jason sur le dos, la panique fut remplacée par une exaltation de plus en plus forte. Les grubbers avaient dû conclure un traité quelconque avec une forme de vie animale. Il lui fallait découvrir comment. S’il pouvait percer ce secret – et le rapporter à la cité – cela justifierait son travail et sa peine. Cela justifierait même peut-être la mort de Welf, si cette guerre pouvait être ralentie et stoppée. Ses membres fortement liés lui firent très mal au début, mais devinrent insensibles lorsque la circulation fut coupée. Il n’avait aucun moyen de mesurer le temps. Une averse le trempa, puis il sentit que ses vêtements fumaient lorsque le soleil reparut.

Enfin, le voyage se termina. On le souleva et il fut jeté à terre. Ses bras furent libérés et le retour de la circulation le submergea de douleur ; il resta allongé, se débattant pour bouger. Finalement, lorsque ses mains lui obéirent de nouveau, il se débarrassa de son masque, un sac de fourrure épaisse. La lumière l’aveugla et il aspira de l’air pur avec soulagement.

Il regarda autour de lui en clignant des yeux dans la lumière. Il était allongé sur un plancher de bois grossier, le soleil couchant l’éblouissait par l’entrée sans porte de la baraque. Il vit un champ labouré au-dehors, s’allongeant jusqu’à la limite de la jungle ; il faisait trop sombre pour bien y voir dans la hutte.

Quelque chose pénétra à cet instant dans la cabane : une grande silhouette qui ressemblait à un animal. Puis, regardant mieux, Jason réalisa que c’était un homme aux cheveux longs et à la barbe épaisse. Il était vêtu de fourrure ; même ses jambes étaient entourées de bandes de fourrure. Ses yeux étaient fixés sur le captif et sa main jouait avec une hache pendant à sa ceinture.

— Qui es-tu ? Que veux-tu ? demanda brusquement le barbu.

Jason choisit ses mots lentement, se demandant si ce sauvage avait le même tempérament et les réflexes aussi rapides que les citadins.

— Mon nom est Jason. Je ne suis animé d’aucune intention hostile. Je veux être votre ami…

— Menteur ! Grogna l’homme en tirant la hache de sa ceinture. Une feinte de filou. Je t’ai vu te cacher. Attendre pour me tuer. Je vais te supprimer.

Il leva la hache.

— Attendez ! dit Jason désespérément, vous ne comprenez pas.

La hache commença à s’abattre.

— Je suis un étranger et…

Une forte vibration le secoua lorsque la hache s’enfonça dans le bois, à côté de sa tête. Au dernier instant, l’homme l’avait détournée. Il attrapa Jason par ses habits et le souleva jusqu’à ce que leurs visages fussent tout proches.

— Vrai ? Cria-t-il. T’es étranger ?

Sa main s’ouvrit et Jason retomba avant de pouvoir répondre. Le sauvage sauta par-dessus lui en se dirigeant vers le fond sombre de la hutte.

— Rhes doit être mis au courant, dit-il en tâtonnant maladroitement sur le mur.

Une lumière s’alluma.

Jason ne put que fixer sur lui des yeux emplis d’étonnement. Le sauvage chevelu, couvert de fourrure, faisait fonctionner un interphone. Les doigts terreux et calleux ouvrirent rapidement des circuits et composèrent un numéro.

16

Cela n’avait aucun sens. Jason essaya de concilier l’appareil moderne avec le barbare, et n’y parvint pas. Qui appelait-il ? L’existence d’un interphone signifiait qu’il existait au moins un autre poste. Rhes était-il un homme civilisé ?

Il ferma les yeux, se protégeant des rayons aveuglants du soleil qui traversaient les arbres et reconsidéra les faits qu’il connaissait. Ils se séparaient en deux catégories : ceux qu’il avait observés de ses propres yeux et ceux qu’il avait appris des citadins. Il mit de côté cette dernière catégorie de « faits » afin de voir s’ils concordaient avec ce qu’il allait apprendre. Il y avait de grandes chances pour que tout ce qu’il avait assimilé jusqu’ici se révélât faux.