Il hésita, regarda Naxa, puis revint vers Jason.
Vue d’aussi près, cette bête était un chien de cauchemar. La corne de protection, les petits yeux bordés de rouge et les dents innombrables, la bave qui s’écoulait de ses babines n’inspiraient qu’une confiance limitée. Pourtant, Jason ne ressentit aucune peur. Il existait une entente tacite entre l’homme et l’animal. Presque inconsciemment, il se pencha et flatta le chien sur le dos, à l’endroit où il savait que cela grattait.
— Savais pas que vous étiez parleur, dit Naxa d’un ton presque amical.
— Je ne le savais pas non plus, jusqu’à cet instant, dit Jason.
Il regarda l’animal dans les yeux, lui fit une dernière caresse et commença à comprendre.
Les parleurs devaient avoir des dons de rayonnement développés, cela devenait évident. Il n’existe plus de barrières de race ou de forme de vie lorsque deux créatures partagent les mêmes émotions. Les parleurs devaient avoir été les premiers à briser la barrière de haine sur Pyrrus et à avoir appris à vivre avec la vie originelle. D’autres pouvaient avoir suivi leur exemple et cela pouvait expliquer la formation de la communauté des grubbers.
Maintenant qu’il se concentrait, Jason avait conscience d’un doux va-et-vient de pensées autour de lui. La conscience du dorym s’accordait à d’autres formes semblables au fond de la grange. Il sut sans y aller voir qu’il y avait de grands animaux dans le champ voisin.
— Cela est très nouveau pour moi, dit Jason. Y avez-vous jamais réfléchi, Naxa ? Quel effet cela vous fait-il d’être parleur ? Je veux dire, savez-vous pourquoi vous pouvez faire obéir les animaux alors que d’autres personnes n’y arrivent pas ?
Cette question troubla Naxa. Il passa ses doigts dans son épaisse chevelure et esquissa une grimace.
— J’y ai jamais pensé. Je le fais, c’est tout. Suffit de bien connaître l’animal et on peut deviner ce qu’il va faire. C’est simple.
Il était évident que Naxa n’avait jamais réfléchi à l’origine de sa faculté de commander aux animaux. Et s’il en était ainsi, personne d’autre n’y avait probablement réfléchi. Les gens devaient accepter simplement le don des parleurs comme un fait parmi d’autres.
— À quelle distance sommes-nous de la ville ? demanda Jason. Savez-vous combien de temps il nous faudrait pour y aller avec les doryms ?
— Une demi-journée pour y aller, une autre pour revenir. Pourquoi ? Voulez y aller ?
— Je ne veux pas entrer dans la ville, pas encore, mais j’aimerais m’en approcher, répondit Jason.
— Faut voir Rhes, répondit Naxa.
Rhes accorda la permission instantanément, sans poser de questions. Ils partirent immédiatement afin d’être revenus avant la nuit.
Ils étaient en route depuis moins d’une heure lorsque Jason ressentit une sorte de malaise indéfinissable. Cette sensation devint de plus en plus forte de minute en minute. Naxa la ressentait aussi, il remuait sur sa selle en proie à une agitation incompréhensible. Il leur fallait rassurer leurs montures qui devenaient nerveuses.
— Ça suffit, dit Jason. Retournons.
L’esprit de Jason percevait comme une résistance dans la direction de la cité invisible. Naxa et les doryms réagissaient de la même façon, nerveusement, mal à l’aise, mais sans savoir pourquoi.
Maintenant, une chose était évidente. Les animaux de Pyrrus étaient sensibles aux radiations psi – et les plantes et formes de vie inférieures l’étaient aussi probablement. Cela leur permettait peut-être de communiquer entre elles, puisqu’elles obéissaient aux hommes. Et il ressentait à cet endroit une nappe de radiations telle qu’il n’en avait jamais rencontré précédemment. Bien qu’il se fût personnellement spécialisé dans la psychokinésie (le contrôle mental de la matière inerte), il était resté sensible à la plupart des phénomènes mentaux. En regardant une rencontre sportive, il avait souvent ressenti l’accord unanime d’esprits exprimant la même pensée. Ce qu’il éprouvait maintenant était très semblable.
C’était aussi terriblement différent. Une foule exulte pour un succès ou grogne devant un échec. Ici, la nappe de pensées n’avait pas de fin et était forte et effrayante. On ne pouvait pas la traduire facilement par des mots. Elle était composée en partie de haine, en partie de peur, et le tout signifiait destruction.
TUEZ L’ENNEMI était la meilleure approximation que Jason pût trouver. Mais il y avait plus que ça.
— Nous pouvons repartir, dit Jason, ébranlé et soudain bouleversé par les sensations qu’il avait laissées le traverser.
Alors qu’ils reprenaient le chemin du retour, il commença à comprendre un grand nombre de choses.
Sa peur soudaine et inexplicable lorsque l’animal pyrrusien l’avait attaqué le premier jour sur cette planète. Et les cauchemars incessants qui n’avaient jamais complètement disparu, même avec les drogues.
Rhes dormait lorsqu’ils arrivèrent et Jason ne put lui parler avant le lendemain matin. Malgré les fatigues nerveuses du voyage, il resta éveillé tard dans la nuit, réfléchissant aux découvertes de la journée. Pouvait-il parler à Rhes de tout ce qu’il avait décelé ? Difficilement. S’il le faisait, il devrait expliquer l’importance de sa découverte et l’usage qu’il comptait en faire. Ce qui pourrait servir aux citadins ne plairait pas du tout à Rhes. Il était préférable de ne rien lui dire jusqu’à ce que tout fût terminé.
18
Après le petit déjeuner, il annonça à Rhes qu’il voulait retourner en ville.
— Alors vous en avez assez de notre monde barbare et souhaitez rejoindre vos amis. Peut-être pour les aider à nous anéantir ?
Rhes avait dit cela légèrement, mais il y avait un fond de froide méchanceté derrière ses mots.
— J’espère que vous ne pensez pas ce que vous dites, répondit Jason. J’aimerais que cette guerre civile se termine et que votre peuple puisse bénéficier de tous les apports de la science et de la médecine dont vous êtes privés. Je ferai tout mon possible pour y arriver.
— Ils ne changeront jamais, dit Rhes tristement, ne perdez pas votre temps. Mais il y a une chose que vous devez faire, pour votre protection et pour la nôtre. N’admettez pas, et ne laissez même pas supposer que vous avez jamais parlé aux grubbers !
— Pourquoi pas ?
— Pourquoi pas ? Bon sang, êtes-vous stupide ? Ils feront tout ce qu’ils peuvent pour que nous ne nous élevions pas trop ; ils préféreraient nous voir morts. Pensez-vous qu’ils hésiteraient à vous tuer, ne serait-ce que s’ils suspectaient que vous avez pris contact ? Ils ne se rendent pas compte – même si ce n’est pas votre cas – que vous pouvez modifier l’équilibre de puissance de cette planète à vous tout seul. Le citadin ordinaire peut ne voir en nous que des animaux légèrement améliorés, mais pas leurs chefs. Ils savent ce qu’il nous faut et ce que nous voulons. Ils devineraient certainement ce que je vais vous demander. Aidez-nous, Jason dinAlt. Retournez chez ces porcs humains et mentez. Dites que vous ne nous avez jamais parlé, que vous vous êtes caché dans la forêt et que nous vous avons attaqué et que vous avez dû tirer afin de vous défendre. Nous vous fournirons des cadavres récents afin de rendre crédible cette partie de votre histoire. Faites qu’ils vous croient et, même lorsque vous penserez les avoir convaincus, continuez à jouer ce rôle, car ils vous surveilleront. Puis dites-leur que vous avez fini votre travail et que vous êtes prêt à partir. Quittez Pyrrus, rejoignez une autre planète, et je vous promets que vous aurez tout ce que vous voulez dans l’univers. La puissance, l’argent – tout.
» Cette planète est riche. Les gens de la cité ont des mines et vendent le métal, mais nous pourrions le faire au moins aussi bien qu’eux. Ramenez un vaisseau ici et posez-vous n’importe où sur ce continent. Nous n’avons pas de ville, mais notre peuple a des fermes partout, il vous trouvera. Nous organiserons alors nos propres échanges et notre propre commerce. C’est ce que nous voulons tous et nous travaillerons dur pour l’obtenir. Et c’est vous qui l’aurez permis. Nous vous donnerons tout ce que vous voudrez. C’est une promesse et nous tenons toujours nos promesses.