Выбрать главу

« Les Grands Seigneurs des Gdemiar ! »

Ils étaient sept et tous la regardaient avec une telle expression d’arrogance sur leurs grosses faces grises qu’elle eut envie de rire.

« Je suis venue parmi vous en quête du trésor perdu par ma famille, ô Seigneurs du Royaume des Ténèbres ! leur dit-elle gravement. Je cherche le joyau conquis par Leynen, l’Œil de la mer. » Dans le tintamarre de l’immense salle voûtée sa voix était à peine perceptible.

« C’est ce que nous ont dit nos messagers, dame Semlé. »

Cette fois-ci, elle put identifier son interlocuteur : il était encore plus petit que les autres, atteignant à peine la poitrine de la jeune femme, et il avait un visage blanc, énergique, farouche.

« Nous n’avons pas ce que vous cherchez.

— Mais vous l’avez eu jadis, dit-on.

— On dit beaucoup de choses là-haut, là où papillote le soleil.

— Et les paroles sont emportées par les vents, là où soufflent les vents. Je ne vous demande pas comment le collier nous a quittés pour revenir à vous qui en fûtes les artisans dans les temps anciens. Ce sont là de vieilles histoires, de vieilles rancunes. Je veux le retrouver, et c’est tout. Vous ne l’avez pas maintenant, mais peut-être savez-vous où il se trouve ?

— Il n’est pas ici.

— Il est donc ailleurs.

— Il se trouve en un lieu où vous ne pourrez jamais aller, du moins sans notre aide.

— Alors aidez-moi. Je fais appel à votre hospitalité.

— Vous connaissez le dicton : Les Angyar prennent, les Fiia donnent, les Gdemiar donnent et prennent. Si nous faisons cela pour vous, que nous donnerez-vous ?

— Mes remerciements, Seigneur de la Nuit. »

Souriante, d’une beauté éclatante, Semlé dominait les Argiliens de sa haute taille. Tous la regardaient avec de grands yeux fascinés où l’émerveillement se nuançait de rancœur, de hargne et de désir.

« Écoute, Angya, c’est là nous demander une grande faveur. Une faveur dont tu ne saurais évaluer ni comprendre l’importance. Tu es d’une race qui ne veut pas comprendre, qui n’a de goût que pour le vol à tire-d’aile, les travaux des champs, les combats à l’épée et les vaines palabres. Mais vos épées d’acier poli, qui les a faites ? Nous, les Gdemiar ! Vos seigneurs viennent ici, ils vont à nos argilières, achètent leurs épées et s’en vont sans avoir rien vu, rien compris. Mais toi, tu es ici maintenant et tu vas pouvoir regarder, tu vas pouvoir admirer quelques-unes de nos merveilles sans bornes, les lumières qui brûlent sans fin, la voiture qui se meut toute seule, les machines qui fabriquent nos vêtements, cuisent nos aliments, assainissent l’air que nous respirons et nous rendent tous les services possibles. Sache que tout cela dépasse ta compréhension. Et sache ceci : nous, les Gdemiar, sommes les amis de ceux que vous appelez les Seigneurs des Étoiles ! Nous les avons accompagnés à Hallan, à Reohan, à Hul-Orren, à tous vos châteaux, pour les aider à se faire comprendre de vous. Les seigneurs à qui vous payez un tribut, vous les fiers Angyar, eh bien, ce sont nos amis. Ils nous font des faveurs comme nous leur faisons des faveurs ! Alors que valent pour nous tes remerciements ?

— C’est à vous qu’il appartient de répondre à cette question, dit Semlé, et non pas à moi. J’ai posé ma question. À vous de me répondre, Seigneurs. »

Les Sept conférèrent un moment, avec des silences aussi lourds de sens que leurs paroles. Ils glissaient un regard sur elle, puis détournaient les yeux et tour à tour marmottaient et se tenaient cois. Une foule se forma autour d’eux, les nains arrivant là les uns après les autres, lentement et silencieusement, si bien que Semlé finit par être entourée d’une centaine de tignasses noires ; à l’exception d’un petit cercle autour d’elle, ils remplissaient toute la caverne résonnante. Son destrier tressaillait de peur et d’une irritation trop longtemps contenue ; ses yeux avaient pâli et s’étaient dilatés comme il arrive à ces animaux lorsqu’on les oblige à voler la nuit. Elle caressa le poil chaud de sa tête en murmurant : « Tout doux, mon brave, mon fringant ami, seigneur des vents…

— Angya, dit l’Argilien à la face pâle et au crâne coiffé d’une couronne de fer, nous te conduirons à l’endroit où se trouve le trésor. C’est tout ce que nous pouvons faire. Il faut que tu viennes avec nous pour réclamer le collier à ceux qui le détiennent. La bête volante ne doit pas t’accompagner. Tu dois être seule.

— Est-ce un long voyage, Seigneur ? »

Les lèvres de l’Argilien n’en finissaient pas de se retrousser.

« Un très long voyage, madame. Pourtant il ne durera qu’une seule longue nuit.

— Je vous remercie de votre courtoisie. Mon coursier sera-t-il bien soigné pendant cette longue nuit ? Je ne veux pas qu’il lui arrive malheur.

— Il dormira jusqu’à ton retour. Avant de revoir cet animal tu vas chevaucher un autre coursier – beaucoup plus grand ! Voudras-tu t’abstenir de nous demander où nous allons te conduire ?

— Je voudrais partir le plus vite possible pour ne pas être trop longtemps absente de chez moi.

— Oui, très vite. » Et de nouveau les lèvres grises de l’Argilien s’ouvrirent largement tandis qu’il levait les yeux vers la jeune femme pour la regarder fixement.

Ce qui se passa les heures suivantes, Semlé n’aurait su le dire clairement ; ce n’était que précipitation, confusion, bruit, étrangeté. Tandis qu’elle tenait la tête de son destrier, un Argilien plongea une longue aiguille dans sa croupe zébrée d’or. Elle faillit en pleurer, mais l’animal réagit par une simple contraction nerveuse, puis s’endormit en ronronnant. Il fut emmené par un groupe d’Argiliens qui, visiblement, durent s’armer de tout leur courage pour toucher son chaud pelage. Il lui fallut ensuite se laisser enfoncer une aiguille dans son propre bras ; elle pensa que c’était pour mettre son courage à l’épreuve car cette piqûre ne l’endormit pas, du moins lui sembla-t-il, elle n’aurait pu en jurer.

Et elle fut lancée dans des chariots sur rail qui franchirent des portes de fer et des cavernes voûtées par centaines ; il arrivait que le chariot parcoure une caverne qui s’étendait à l’infini dans les ténèbres, devant et derrière elle, ces ténèbres étant remplies de troupeaux de hérilor. Elle entendait le rauque roucoulement de leurs appels et les entrevoyait dans la lumière que projetait devant lui le chariot ; puis elle en vit quelques-uns plus nettement dans le jet de lumière blanche : ils étaient tous sans ailes et aveugles. C’était trop cruel à voir, et Semlé ferma les yeux. Encore des tunnels, encore des cavernes, encore des corps gris balourds, et des visages farouches, et des voix ronflantes, et puis tout à coup elle se retrouva en plein air. Il faisait nuit et elle leva les yeux avec allégresse vers les étoiles et la lune, qui seule brillait dans le ciel, la petite Héliki dont l’éclat s’avivait à l’ouest. Mais les Argiliens étaient encore tous là autour d’elle, la faisant entrer dans quelque chose – une nouvelle sorte de chariot ? une nouvelle caverne ? C’était petit, plein de lumières papillotantes comme celles des chandelles à mèche de jonc ; après les grandes cavernes humides et le ciel étoilé, cela paraissait très étroit et brillamment éclairé. On lui enfonça une autre aiguille dans la peau et on lui annonça qu’il allait falloir la ligoter sur une sorte de chaise longue, tête, pieds et poings liés. Elle s’y refusa, puis se soumit lorsque l’exemple lui en fut donné par les quatre Argiliens qui devaient l’accompagner. Les autres s’en allèrent. Un grondement de tonnerre, un long silence ; sur Semlé pesait un grand poids qu’elle ne pouvait voir. Puis il n’y eut plus ni poids ni le moindre bruit, il n’y avait plus rien.

« Suis-je morte ? demanda Semlé.