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Mission de contrôle et de taxation auprès des espèces I-A et II sous les auspices de la Fondation de la zone VIII sise à Kerguelen, N. G. S., en 254, 258, 262, 266, 270 ; en 275 la planète est mise en interdit par les hautes autorités ethnologiques de la Ligue de Tous les Mondes préalablement à une étude plus satisfaisante de ses espèces intelligentes.

Première mission ethnographique en 321.

Directeur : G. Rocannon.

Un grand arbre de lumière blanche aveuglante s’éleva rapidement et sans bruit dans le ciel. Il avait jailli derrière la crête sud. Sur les tours du château de Hallan les gardes lancèrent leurs cris d’alarme et firent retentir leurs gongs de bronze – bruits dérisoires noyés dans le tonnerre qui éclata, l’assaut du vent, le choc qui fit chanceler la forêt.

Mogien, seigneur de Hallan, accueillit son hôte, le Seigneur des Étoiles, qui courait en direction de la cour d’envol du château.

« Votre vaisseau se trouvait-il derrière la crête sud, Seigneur ? dit Mogien.

— Oui, répondit son hôte, le visage très pâle mais la voix aussi calme que d’habitude.

— Venez. » Et Mogien l’emmena en croupe sur le coursier ailé qui attendait tout sellé dans la cour d’envol. Planant au-dessus des mille marches du château, franchissant le pont du Gouffre, puis survolant les versants boisés du domaine de Hallan, le destrier était comme une feuille grise emportée par le vent.

Lorsqu’il eut franchi la crête sud, les cavaliers virent s’élever une fumée bleue dans les flèches d’or du soleil matinal. Un feu de forêt expirait en pétillant dans les fourrés humides et froids tapissant le lit d’un torrent.

Soudain ils virent se creuser un grand trou dans le flanc des collines, une fosse noire remplie de poussière fumante. Au bord du vaste cercle où tout était détruit gisaient des arbres carbonisés, longues formes fuligineuses dont les cimes abattues semblaient toutes fuir le gouffre ténébreux.

Le jeune seigneur de Hallan immobilisa son destrier gris sur le souffle d’air qui montait de la vallée dévastée et plongea le regard sur ce spectacle, sans mot dire. Il se rappelait les vieilles histoires du temps de son grand-père et de son arrière-grand-père sur la venue des Seigneurs des Étoiles, sur leurs armes redoutables qui détruisaient des collines par le feu et faisaient bouillonner la mer, et sur l’état de vassalité et les redevances qu’ils avaient imposées à tous les seigneurs d’Anginie. Et voilà que Mogien croyait à ces vieux contes pour la première fois. Pendant un instant la respiration lui manqua.

« Votre vaisseau était…

— Mon vaisseau était là. Je devais rejoindre les autres ici, aujourd’hui. Seigneur Mogien, dites à vos gens d’éviter cet endroit. Pour un certain temps. Jusque après la saison des pluies, la prochaine année froide.

— Un sortilège ?

— Un poison. Après les pluies, la terre en sera débarrassée. »

Le Seigneur des Étoiles parlait d’une voix calme, ses yeux plongeant dans le gouffre noir ; et tout à coup il se mit à parler non pas à Mogien mais au gouffre, que l’éclatant soleil du matin zébrait maintenant de ses rayons. Mogien ne comprenait pas un mot de ce qu’il disait car il parlait en sa propre langue, celle des Seigneurs des Étoiles ; et il n’était maintenant nul homme en Anginie, nul homme au monde, qui parlât ce langage.

Le jeune Angya maîtrisa sa monture devenue nerveuse. Derrière lui, le Seigneur des Étoiles soupira profondément et dit :

« Retournons à Hallan. Il n’y a plus rien ici. »

Le destrier pivota au-dessus des pentes enfumées.

« Seigneur Rokanan, si votre peuple est maintenant en guerre avec d’autres étoiles, les épées de Hallan seront, j’en prends l’engagement, vouées à votre défense.

— Je vous remercie, seigneur Mogien », dit le Seigneur des Étoiles, se cramponnant à la selle tandis qu’en leur vol le vent cinglait sa tête courbée aux cheveux grisonnants.

Une longue journée passa. Le vent de la nuit soufflait en rafales sur les croisées de sa chambre dans la tour du château de Hallan, faisant vaciller le feu dans l’âtre de la large cheminée. L’année froide touchait à sa fin ; on sentait dans l’air la turbulence du printemps. Lorsque Rocannon levait la tête, il sentait le doux parfum éventé des herbes tapissant les murs et le doux parfum frais des forêts dans la nuit. Il prit une fois de plus son émetteur : « Ici Rocannon, ici Rocannon. Pouvez-vous me répondre ? » Longtemps il écouta le silence du récepteur, puis régla de nouveau l’appareil sur la fréquence du vaisseau : « Ici Rocannon… » Lorsqu’il s’aperçut qu’il parlait tout bas, presque en un murmure, il se tut et coupa. Ils étaient tous morts, ces quatorze hommes qui étaient ses compagnons, ses amis. Ils se trouvaient tous dans le vaisseau parce qu’il les y avait convoqués. Ils étaient sur Fomalhaut II depuis une moitié d’année – d’une longue année de cette planète – et le temps était venu pour eux de se réunir et d’échanger leurs impressions. Smate et son équipe étaient donc partis du continent Est et, prenant en passant l’équipe de l’Antarctique, ils avaient abouti ici pour y retrouver Rocannon, directeur de la première mission ethnographique, l’homme qui les avait amenés sur cette planète. Et maintenant ils étaient tous morts.

Avec eux avait disparu le fruit de leur travail – toutes leurs notes, leurs photos, leurs bandes magnétiques, tout ce qui, à leurs propres yeux, aurait pu justifier leur mort – tout cela, comme eux, perdu, réduit en poussière.

Rocannon régla de nouveau sa radio sur la fréquence urgence ; mais il ne prit pas l’émetteur. Un appel n’aurait fait qu’informer l’ennemi de l’existence d’un survivant. Il se tenait immobile. Lorsqu’il entendit frapper à sa porte un coup retentissant, il dit : « Entrez ! » dans la langue étrangère qu’il aurait à parler désormais.

Mogien, seigneur de Hallan, entra de son long pas fier. C’était lui qui avait été pour Rocannon la principale source d’informations sur la civilisation et les mœurs de l’espèce II. À présent, il était maître du destin de l’ethnologue. Il était très grand, comme tous ceux de sa race, il avait la chevelure éclatante, la peau très brune, un beau visage qui s’était fait une expression d’austère sérénité, mais où éclatait parfois l’éclair d’une émotion intense : colère, ambition, joie.

Mogien était suivi de son serviteur Raho, un Olgyior, qui déposa une carafe jaune et deux coupes sur un coffre, remplit les coupes et se retira. L’héritier de Hallan dit à Rocannon :

« Je voudrais boire avec vous, Seigneur des Étoiles.

— Et que ma famille boive avec la vôtre et nos fils entre eux, Seigneur », répondit l’ethnologue, qui, pour avoir vécu sur neuf planètes différentes, avait puisé une leçon dans tout cet exotisme : l’importance des bonnes manières. Tous deux levèrent leurs coupes de bois plaqué d’argent et burent.

« La boîte à paroles, dit Mogien, regardant la radio, elle ne parle plus ?

— Pas avec la voix de mes amis. »

Le visage brun de Mogien, comme passé au brou de noix, restait impassible.

« Seigneur Rokanan, dit-il, l’arme qui les a tués dépasse l’imagination.

— De telles armes, la Ligue de Tous les Mondes en possède en vue de la Guerre À Venir, mais pas pour les utiliser contre des planètes alliées.

— Mais la Guerre est donc venue ?

— Je ne crois pas. Yaddam, que vous connaissiez, n’a pas quitté le vaisseau. Si la Guerre avait éclaté, il en aurait reçu la nouvelle sur l’ansible du vaisseau et m’aurait immédiatement prévenu par radio. Il doit s’agir d’une rébellion contre la Ligue. Justement, la révolte couvait sur un monde appelé Faradée lorsque j’ai quitté Kerguelen voilà neuf ans.