Gardant ses deux mains nouées, Dyak parvint à ramper le long du cou pour s’assurer une meilleure position. Le dévoreur se cabra encore une fois, puis perdit l’équilibre sur la roche unie et glissa parmi les broussailles.
Dyak faillit être catapulté, mais il mit l’instant à profit pour se cramponner d’une seule main à la gorge de l’animal et sortir son poignard. Au moment où le dinosaurien se redressait d’un bond et retombait dans les fourrés, il frappa. Il avait visé l’œil et ce fut cet œil jaune, flamboyant, que la lame creva du premier coup.
La douleur galvanisa chaque muscle du reptile géant, et l’homme fut immédiatement projeté à plusieurs mètres. Il se retrouva au milieu des buissons, à demi assommé, les poumons vides. Le dévoreur faisait entendre des cris perçants, où se mêlaient la souffrance et la fureur. Il se mit à cogner contre un rocher le côté blessé de sa tête.
Dyak sentit que c’était pour lui l’occasion ou jamais d’en finir. Il s’extirpa des buissons, esquiva au passage le mouvement meurtrier de la queue qui fouettait l’air comme un fléau, et attaqua une nouvelle fois le dinosaure à la tête. Il ne se jugeait pas capable d’entamer la peau cuirassée d’écailles, mais les yeux offraient une cible facile.
En une sorte de plongeon, il atteignit l’œil intact du dévoreur. Il fit appel à toute la force de son bras droit, abattit le poignard ; la lame perça le globe jaune, et il poussa pour qu’elle pénètre à fond, toujours plus à fond, dans la pulpe et le sang, et c’était la fureur même de la vie qui soutenait sa main. Puis la queue gigantesque le faucha.
Quand Dyak reprit conscience, ce fut pour se retrouver la tête en bas dans un buisson de rhododendrons. Il lui fallut un certain temps avant de pouvoir remuer et se dégager. Il était couvert d’écorchures et une douleur emplissait son épaule à l’endroit où la queue l’avait frappé.
Le dévoreur gisait au centre d’un vaste espace de branches brisées, de broussailles écrasées, de sol labouré. Sa queue remuait encore par saccades, mais pour lui tout était fini. Le poignard l’avait atteint au cerveau.
Lentement, Dyak escalada un rocher. Le soleil couchant teintait le ciel en rouge, comme chaque soir, et le rouge se reflétait dans la rivière, de sorte que l’eau semblait être du sang. Alors il porta la main droite à sa bouche et appela Semarie.
Son appel fut d’abord discret, uniquement destiné à la femme. Puis la vie afflua de nouveau dans ses veines, et il abaissa son regard vers la créature formidable dont il était – lui seul ! – venu à bout. Une joie triomphale le submergea. Ignorant la douleur, il mit sa main gauche également devant sa bouche et poussa une suite de clameurs dont l’écho se répercuta à travers la vallée.
Et il n’arrêta pas quand Semarie déboucha en courant dans la clairière, quand elle fut là, immobile d’admiration devant la bête vaincue. Il fallait que l’univers sache son exploit ! Victoire qui surpassait toutes les autres, et dont le retentissement n’aurait pas de fin.