34. Contrepoint 528
... deux ou plusieurs chants dont les lignes mélo diques se superposent...
35. Le big bang 549
... nous aussi sommes poussière d'étoiles...
Index 561
Lejardin d'Éden
// a bien fallu qu'à un moment donné quelque chose surgisse du néant...
Sophie Amundsen rentrait de l'école. Elle avait d'abord fait un bout de chemin avec Jorunn. Elles avaient parlé des robots. Pour Jorunn, le cerveau humain était un ordinateur sophistiqué. Sophie sentait qu'elle n'était pas tout à fait de son avis. On ne pouvait pas réduire l'être humain à une machine, non?
En arrivant près du centre commercial, chacune était partie de son côté. Sophie habitait un pavillon au fond d'un quartier résidentiel et mettait presque deux fois plus de temps que Jorunn pour aller à l'école. Sa maison était comme au bout du monde car derrière lejardin commençait déjà la forêt.
Elle tourna dans l'allée des Trèfles. Tout au fond, il y avait un virage à angle droit, le « virage du capitaine ». On n'y ren contrait jamais personne sauf le samedi ou le dimanche.
On était dans les premiers jours du mois de mai. Dans cer tains jardins, des jonquilles se pressaient au pied des arbres fruitiers et les bouleaux s'étaient couverts de vert tendre, léger comme un voile.
N'était-ce pas étrange de voir comme tout se mettait à pousser à cette époque de l'année? Qu'est-ce qui permettait à l'ensemble de la végétation de jaillir de la terre inanimée dès qu'il se mettait à faire beau et que disparaissaient les der nières traces de neige ?
En poussant le portail du jardin, Sophie jeta un coup d'œil dans la boîte aux lettres. En règle générale, c'était bourré de prospectus plus quelques grandes enveloppes adressées à sa mère. Elle déposait habituellement tout ça sur la table de la cuisine avant de monter dans sa chambre faire ses devoirs.
Il arrivait de temps à autre que des relevés de banque arri vent au nom de son père, mais il faut dire qu'il n'était pas un papa comme les autres. Capitaine sur un grand pétrolier, il était absent presque toute l'année. Quand il passait quelques semaines à terre, il traînait en pantoufles et cherchait à se rendre utile. Mais quand il naviguait, il devenait un person nage assez lointain.
Aujourd'hui, il n'y avait qu'une petite lettre dans la boîte et elle était adressée à Sophie.
La lettre était simplement adressée à :
Sophie Amundsen 3, allée des Trèfles
Rien d'autre. Aucune mention d'expéditeur et même pas de timbre.
Sophie se hâta de refermer le portail et ouvrit l'enveloppe. Elle ne trouva à l'intérieur qu'un petit bout de papier guère plus grand que l'enveloppe avec juste écrit dessus : Qui es- tu?
Rien d'autre. Le bout de papier ne disait ni bonjour ni de la part de qui, juste ces trois mots griffonnés suivis d'un grand point d'interrogation.
Elle regarda à nouveau l'enveloppe. Mais si, la lettre lui était bien adressée... Qui avait bien pu la glisser dans la boîte aux lettres ?
Sophie courut vers la maison en bois rouge et referma la porte à clé. Comme d'habitude le chat Sherekan surgit des buissons, filajusqu'au perron et parvint à se faufiler à l'inté rieur avant qu'elle n'ait eu le temps de tourner la clé.
— Minou, minou !
Quand la maman de Sophie était de mauvaise humeur pour une raison ou pour une autre, il lui arrivait de qualifier la mai son de véritable ménagerie. Une ménagerie, c'était une col lection de divers animaux et en ce sens, oui, Sophie était plu tôt fière de la sienne. On lui avait d'abord donné un bocal avec trois poissons rouges : Boucle d'or, le Petit Chaperon rouge et Pierre le Pirate. Puis elle eut les deux perruches Cricri et Grigri, la tortue Govinda et pour finir Sherekan, un chat roux tigré. On lui avait offert tous ces animaux pour compenser en quelque sorte les absences de sa mère qui tra vaillait si tard et de son père toujours à l'autre bout du monde.
Sophie se débarrassa de son cartable et donna à manger à Sherekan. Puis elle s'assit dans la cuisine avec la mystérieuse lettre à la main.
Qui es-tu ?
Quelle question idiote ! comme si elle ne savait pas qu'elle était Sophie Amundsen ! Mais qui était cette Sophie en défi nitive ? Elle ne savait pas trop au juste.
Et si elle s'était appelée autrement? Anne Knutsen, par exemple. Aurait-elle été alors quelqu'un d'autre?
Elle se rappela tout à coup que Papa avait d'abord voulu l'appeler SynnOve. Sophie essaya de s'imaginer tendant la main et se présentant sous le nom de SynnOve Amundsen, mais non, ça n'allait pas. C'était chaque fois une fille com plètement différente qui surgissait.
Elle descendit de son tabouret et alla à la salle de bains en tenant toujours l'étrange lettre à la main. Elle se plaça devant le miroir et se regarda droit dans les yeux.
Je suis Sophie Amundsen, dit-elle.
La fille dans la glace ne répondit rien, même pas une gri mace. Sophie avait beau faire, l'autre faisait exactement pareil. Sophie tenta bien de la prendre de court en bougeant très vite, mais l'autre fut aussi rapide qu'elle.
Qui es-tu ? demanda-t-elle.
Elle n'eut pas plus de réponse que tout à l'heure, mais une fraction de seconde elle n'aurait su dire qui du miroir ou d'elle avait posé la question.
Sophie appuya son index sur le nez qu'elle voyait dans la glace en disant :
Tu es moi.
N'obtenant toujours pas de réponse, elle retourna la phrase :
Je suis toi.
Sophie Amundsen n'avait pas toujours accepté son image. On lui répétait souvent qu'elle avait de beaux yeux en amande, sans doute pour ne pas faire remarquer que son nez était trop petit et sa bouche un peu trop grande. Ses oreilles étaient en outre beaucoup trop rapprochées de ses yeux. Mais le pire, c'était ses cheveux raides comme des baguettes de tambour et impossibles à coiffer. Son père lui passait parfois la main dans les cheveux en l'appelant sa « fille aux cheveux de lin », faisant allusion à un morceau de musique de Claude Debussy. C'était facile à dire pour lui qui n'était pas condamné toute sa vie à ces longs cheveux qui tombaient tout droit. Aucune laque ni aucun gel ne tenait sur la chevelure de Sophie.