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Il se leva d’un bond, écarta le rideau de bambou qui servait de porte et passa la tête au-dehors. Une pluie glacée lui fouetta le visage. Tout était noir à l’exception des montagnes de l’ouest, illuminées par la foudre. Un éclair zébra soudain le ciel, aussitôt suivi d’un assourdissant claquement de tonnerre. Burton se mit à courir. Il venait d’entrevoir, devant la hutte de Goering, deux silhouettes spectrales en train de lutter. Ou plutôt, l’Allemand avait les mains nouées autour du cou de sa compagne, qui se débattait vainement pour lui échapper.

L’herbe mouillée était glissante. Burton tomba. En se relevant, il vit, à la faveur d’un autre éclair, que la femme était à genoux, penchée en arrière, et que Goering, le visage déformé par la haine, continuait à l’étrangler. Pendant que Burton se remettait à courir, Collop apparut sur le seuil de sa hutte, en train d’ajuster un pagne autour de sa taille. Quand Burton arriva auprès de Karla, Goering avait disparu. L’explorateur s’agenouilla et colla son oreille contre le cœur de la jeune femme. Il avait cessé de battre. Un nouvel éclair révéla son visage, à la bouche béante et aux yeux révulsés.

— Goering ! hurla Burton en se redressant. Montrez-vous, si vous êtes un homme !

Quelque chose le frappa alors derrière la tête et il tomba en avant.

Bien qu’étourdi, il réussit à se redresser à demi mais un second coup le terrassa aussitôt. Il eut encore la force de rouler sur le dos et de se protéger à l’aide de ses bras et de ses jambes. Un éclair lui montra Goering, une énorme massue à la main, qui le dominait de toute sa hauteur. Son expression était celle d’un dément.

A la lueur d’un nouvel éclair, Burton vit une forme pâle et imprécise qui se jetait sur Goering et le faisait tomber en arrière. Les deux adversaires roulèrent dans l’herbe en grognant comme des chats sauvages.

Burton fit une tentative pour se relever, mais reçut dans ses bras le corps de Collop, violemment projeté en arrière par Goering. Collop se releva et chargea. Il y eut un craquement sourd. Collop s’affaissa, hors de combat. Burton essaya de marcher vers Goering, mais ses jambes refusaient de lui obéir. Il tituba et vit, comme une scène fixée par le flash d’un photographe, Goering en train de brandir sa massue.

L’impact lui paralysa le bras gauche, désormais inutilisable. Dans un effort surhumain, il lança son poing droit en direction de Goering. Un nouveau craquement retentit. Burton eut l’impression que ses côtes lui enfonçaient soudain les poumons. Il était à court de respiration. Une fois de plus, il s’écroula dans l’herbe.

Quelque chose tomba à côté de lui. Malgré la douleur qui le tenaillait, il tâtonna. Sa main rencontra la massue. Goering avait dû la laisser tomber. Gémissant de douleur à chaque mouvement, il parvint à mettre un genou en terre. Où était donc ce fou ?

Deux ombres brouillées dansaient devant ses yeux, à moitié confondues. Il voyait double ! Son cerveau était peut-être atteint. A la lueur des éclairs, il y avait deux Goering. Celui de gauche avait les pieds sur terre, mais le second semblait marcher sur l’air.

Ils avaient tous les deux les mains tendues sous la pluie, comme pour les laver. Quand ils s’approchèrent de lui, Burton comprit que c’était précisément ce qu’ils étaient en train de faire. Ils crièrent en allemand (mais avec une seule voix) :

— Ôte ce sang de mes mains, ô Seigneur ! Lave-moi de mes crimes !

Burton s’avança en titubant vers lui, la massue levée. Juste au moment où il allait l’abattre, Goering fit soudain volte-face et s’enfuit. Burton le poursuivit tant bien que mal dans les collines, puis à travers la plaine. A un moment, la pluie cessa. Le tonnerre et les éclairs disparurent. Cinq minutes plus tard, comme à l’accoutumée, les nuages se dispersèrent et les étoiles recommencèrent à diffuser leur clarté laiteuse comme si rien ne s’était passé.

Comme un fantôme blafard, Goering filait droit devant lui, en direction du Fleuve. Burton le suivit, curieux de voir ce qu’il allait faire. L’explorateur avait recouvré une partie de ses forces et sa vision était redevenue normale. Quand il arriva à hauteur de Goering, il vit que ce dernier était à quatre pattes au bord de l’eau et contemplait le reflet miroitant des étoiles.

— Ça va mieux, à présent ? lui demanda-t-il.

Goering eut un sursaut. Il commença à se redresser, mais se ravisa et se prit soudain la tête à deux mains.

— Je savais ce que je faisais, mais je ne savais pas pourquoi, murmura-t-il d’une voix éteinte. Karla venait de m’annoncer qu’elle me quitterait ce matin parce qu’elle ne supportait plus mon attitude bizarre et mes terreurs nocturnes. Je l’ai suppliée de rester. Je lui ai dit que je l’aimais et que je mourrais si elle m’abandonnait. Elle a répondu qu’elle avait – ou plutôt, qu’elle avait eu – beaucoup d’affection pour moi, mais qu’elle ne m’avait jamais aimé. Tout à coup, j’ai eu l’impression que si je voulais la garder, il fallait que je la tue. Elle s’est enfuie en courant de la hutte. Le reste, vous le connaissez.

— J’aurais pu vous tuer, dit Burton, mais il est clair que vous n’êtes plus responsable de vos propres actes. Cependant, les autorités locales n’accepteront pas ce genre de circonstances atténuantes. Vous n’ignorez pas ce qui vous attend. Ils vous pendront par les pieds à la plus haute branche d’un arbre et vous laisseront crever comme une bête.

— Je ne comprends pas ce qui m’arrive ! sanglota Goering. Pourquoi tous ces cauchemars ? Croyez-moi, Burton, mes péchés, je les ai déjà payés au centuple. Pourquoi faut-il que je souffre encore ? Mes nuits sont un enfer, et bientôt mes jours seront un enfer aussi. Je n’aurai alors plus qu’un seul moyen de trouver la paix : je me tuerai ! Mais à quoi bon, si c’est pour tout recommencer à des millions de kilomètres de là ?

— Laissez tomber la gomme à rêver, suggéra Burton. Je sais que c’est difficile, mais vous pouvez le faire. Vous m’avez dit que, sur la Terre, vous aviez vaincu la morphine.

Goering se releva et fit face à Burton.

— Vous ne comprenez pas ! Je n’ai pas une seule fois touché à la gomme depuis que je suis ici !

— Comment ! Mais j’aurais juré que…

— Vous avez cru que j’étais sous l’influence de la drogue parce que vous m’avez vu me conduire bizarrement. Mais c’est là le problème, justement. Drogué ou pas, le résultat est exactement le même !

Malgré tout le mépris qu’il éprouvait pour Goering, Burton ne pouvait s’empêcher d’avoir pitié de lui.

— Vous avez ouvert une boîte de Pandore que vous ne pouvez plus refermer. J’ignore comment cela finira, mais je n’aimerais pas être à votre place. Ceci dit, admettez que vous n’avez pas tout à fait volé ce qui vous arrive.

— Je réussirai à les vaincre, fit brusquement Goering d’une voix calme et décidée.

— Vous voulez dire que vous triompherez de vous-même, déclara Burton en se tournant pour s’en aller.

Il ajouta cependant un dernier mot :

— Que comptez-vous faire, maintenant ?

Goering, théâtralement, fit un geste en direction du Fleuve :

— Me noyer. Prendre un nouveau départ. Peut-être qu’au prochain endroit, je serai mieux armé pour résister. N’importe comment, je ne vais pas attendre d’être pendu comme une carcasse de veau à la devanture d’un boucher !

— Eh bien, adieu. Et bonne chance !

— Merci. Vous n’êtes pas un mauvais bougre, dans le fond. Laissez-moi vous donner un conseil.

— Lequel ?

— Vous feriez mieux de ne plus jamais toucher à la gomme. Jusqu’à présent, vous avez eu de la chance, mais prenez garde qu’elle ne s’empare de vous comme elle s’est emparée de moi. Vos démons ne seront pas les miens, mais ils seront pour vous tout aussi terrifiants et monstrueux.