Выбрать главу

— De quoi s’agit-il ?

— Je t’ai dit… je t’ai dit qu’on m’avait fait jurer de me taire. Tu avais raison, les guildes imposent le secret à leurs membres. Pour devenir apprenti, j’ai dû prêter serment et une partie des termes me faisait jurer que je ne révélerais pas l’existence du serment même. Je l’ai violé en t’en parlant.

— Cela a-t-il de l’importance ?

— Le châtiment est la peine de mort.

— Mais comment l’apprendraient-ils ?

— Si…

— Si je bavardais, n’est-ce pas ? fit Victoria. Pourquoi raconterais-je cela ?

— Je ne sais pas. Mais tes paroles d’aujourd’hui – ta rancœur de n’avoir pas la possibilité d’organiser ta vie à ta guise – j’ai pensé que tu te retournerais contre moi.

— Jusqu’à cet instant, cela ne voulait rien dire pour moi. Et je n’en ferais pas usage. Et puis, pourquoi une femme trahirait-elle son mari ?

— Tu veux toujours de moi ?

— Oui.

— Bien que ce mariage ait été arrangé sans nous consulter ?

— C’est un arrangement satisfaisant, dit-elle. (Elle se serra contre moi pendant quelques moments). Ne penses-tu pas comme moi ?

— Si.

Quelques minutes après, Victoria me demanda :

— Consentirais-tu à me révéler ce qui se passe hors de la ville ?

— Je ne peux pas.

— À cause du serment ?

— Oui.

— Mais tu l’as déjà rompu. Quelle importance désormais ?

— Surtout, il n’y a rien à en dire. J’ai passé dix jours à m’exténuer à des travaux manuels sans même en connaître le but.

— Quel genre de travaux ?

— Victoria… ne me pose pas de questions.

— Alors, parle-moi du soleil. Pourquoi n’est-il permis à aucun habitant de la ville de le voir ?

— Je l’ignore.

— Présente-t-il des anomalies ?

— Je ne pense pas…

Victoria formulait des questions que j’aurais dû me poser moi-même… et je n’en avais rien fait ! Dans l’accumulation de mes expériences nouvelles, j’avais à peine eu le temps de saisir le sens de tout ce que j’avais vu, pas celui d’en débattre. Je me surprenais maintenant à désirer moi aussi des réponses. Le soleil présentait-il des anomalies qui pouvaient mettre la ville en danger ? Et dans l’affirmative, était-ce encore une chose à garder secrète ? Pourtant j’avais bien vu le soleil et…

— Il n’y a rien qui cloche, finis-je par déclarer. Mais il n’a pas la forme que je croyais.

— C’est une sphère.

— Non. Ou du moins il n’en a pas l’apparence.

— Et alors ?

— Je suis sûr que je ne devrais pas t’en parler.

— Tu ne peux pas en rester là.

— Je ne pense pas que ce soit important.

— Moi, si.

— Bon. (J’en avais déjà trop raconté, mais que faire ?) On ne peut pas le voir distinctement pendant le jour parce qu’il est trop brillant. Mais à l’aube et au crépuscule, on peut le regarder durant quelques minutes. Je pense qu’il a la forme d’un disque. Mais il y a plus que cela et je ne trouve pas de mots pour le décrire. Au centre du disque, en haut et en bas, il y a une sorte de hampe.

— Qui fait partie du soleil ?

— Oui. C’est un peu comme une toupie. Mais il est difficile de distinguer les détails à cause de son éclat, même à ces heures particulières. L’autre nuit, j’étais dehors et le ciel était clair. Il y a une lune, et elle est de la même forme. Toutefois je n’ai pas eu non plus la possibilité de la distinguer nettement, parce que la phase n’était pas favorable.

— Es-tu certain de tout cela ?

— C’est ce que j’ai vu.

— Mais ce n’est pas ce qu’on nous enseigne.

— Je sais. C’est pourtant bien ainsi.

Je n’en dis pas plus. Victoria continua de me poser des questions, mais je les éludai. Elle chercha à m’arracher des renseignements sur mon travail, mais je réussis à garder le silence. Je me mis à mon tour à lui parler d’elle-même et bientôt la conversation s’écarta de ce qui était pour moi terrain dangereux. Le secret ne pourrait rester longtemps enterré, mais il me fallait le temps de réfléchir. Un peu plus tard, on fit l’amour et l’on s’endormit presque aussitôt après.

Le matin, Victoria prépara le café. Elle me laissa assis dans la chambre, tout nu, pendant qu’elle emportait mon uniforme au nettoyage. Pendant son absence, je me lavai et me rasai, puis je m’étendis sur le lit jusqu’à son retour.

Je remis mon uniforme. Il était frais et bien repassé, plus rien de commun avec cette seconde peau raide et malodorante qu’il était devenu à la suite de mes efforts pénibles au-dehors.

Nous passâmes le reste de la journée ensemble. Victoria me fit visiter l’intérieur de la cité, bien plus complexe que je ne l’avais soupçonné. Je n’avais jusqu’alors vu que les sections résidentielle et administrative, mais il y avait bien d’autres éléments. Au début, je me demandai comment on pouvait y retrouver son chemin, mais Victoria me fit remarquer qu’en divers endroits des plans étaient collés aux murs.

J’observai que ces plans avaient été souvent modifiés, et l’un d’eux notamment retint mon attention. Nous étions à l’un des niveaux inférieurs, et près d’un plan récent, révisé, on en avait laissé un beaucoup plus ancien, protégé par une feuille de plastique transparent. Je l’examinai avec le plus grand intérêt, car les instructions étaient imprimées en plusieurs langues. Je ne reconnus parmi elles que le français et l’anglais.

— Quelles sont ces autres langues ? demandai-je.

— Voici de l’allemand, et du russe et de l’italien, et… (Elle me montrait une écriture dessinée, idéographique :)… du chinois. Après un examen prolongé, j’entrepris de comparer les deux plans. Leur ressemblance n’était pas douteuse, mais il était non moins clair qu’on avait procédé, entre-temps, à des remaniements au sein de la ville.

— Pourquoi utilisait-on tellement de langues ?

— Nous descendons d’un mélange de nationalités. Je crois que l’anglais est devenu la langue normale depuis bien des milliers de kilomètres, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Ma propre famille est d’origine française.

— Vraiment ? dis-je.

Au même niveau, Victoria me fit visiter l’usine des produits synthétiques. On y fabriquait les substituts des protéines et d’autres ersatz à partir du bois et des végétaux. L’odeur était épouvantable et je remarquai que tous les employés portaient des masques. Victoria m’emmena rapidement dans la section voisine où se poursuivaient les recherches en vue d’améliorer la texture et la saveur des aliments. Victoria me répéta qu’elle travaillerait bientôt dans ce service.

Plus tard, elle m’exposa ses autres déceptions et ses craintes pour l’avenir. J’étais à présent mieux préparé et je parvins à la rassurer. Je lui conseillai de prendre exemple sur sa propre mère qui menait une vie bien remplie et utile. Je lui promis – elle m’avait convaincu ! — de lui reparler de ma vie et je lui affirmai que je ferais de mon mieux, une fois membre à part entière de la guilde, pour rendre le système plus ouvert, plus libéral. Cette promesse parut l’apaiser et nous passâmes ensuite une soirée et une nuit de détente.

7

Nous convînmes de nous marier dès que possible. Elle entreprit de se renseigner durant le kilomètre à venir sur les formalités à accomplir. Si possible, nous nous marierions pendant mon prochain congé, ou le suivant. En attendant, il me fallait retourner à mes occupations de l’extérieur.