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Alors que je me dirigeais vers la cabane, un homme sorti de la ville s’approcha de moi.

— Êtes-vous l’apprenti Mann ?

— Exact.

— Je suis Jaime Collings, de la guilde des Échanges. Voies Malchuskin m’a dit que vous aviez des hommes à payer.

— Exact.

— Combien ?

— Quinze dans notre équipe. Mais il y en a d’autres.

— Pas de réclamations ?

— Que voulez-vous dire ? m’étonnai-je.

— Des réclamations… des difficultés, des refus de travailler.

— Ils étaient un peu mous et Malchuskin devait sans cesse leur crier après.

— Ont-ils jamais refusé de travailler ?

— Non.

— Très bien. Connaissez-vous le chef d’équipe ?

— Un nommé Rafaël, qui parle anglais.

— Il fera l’affaire.

Nous allâmes ensemble aux baraquements, rejoindre les hommes qui se turent brusquement à la vue de Collings.

Je désignai Rafaël. Collings et lui s’entretinrent dans la langue des tooks. Presque aussitôt l’un des manœuvres se mit à protester violemment. Rafaël n’y prêta pas attention et continua de causer avec Collings, mais les choses s’envenimaient visiblement. Une fois encore un homme cria et bientôt d’autres se joignirent à lui. Ils entourèrent Collings et certains d’entre eux tentèrent de lui porter des coups.

— Avez-vous besoin d’aide ? lui lançai-je par-dessus les épaules des ouvriers.

Mais il ne m’entendit pas. Je me rapprochai et répétai ma question.

— Allez me chercher quatre miliciens ! me dit-il en anglais. Et dites-leur d’éviter la brutalité.

Je regardai encore un instant le groupe vociférant puis je filai. Il y avait encore un détachement de miliciens près des mâts. Ils avaient évidemment perçu les éclats de la querelle et lorgnaient déjà la foule des ouvriers. En me voyant courir, six d’entre eux vinrent spontanément à ma rencontre.

— Il réclame quatre miliciens, dis-je, haletant de ma course.

— Pas assez ! Laisse-moi faire, petit.

Celui qui parlait, un chef, siffla bruyamment et adressa un geste de la main à ses troupes. Quatre soldats quittèrent leur position proche de la ville et accoururent. Ce fut donc un groupe d’une bonne dizaine qui se précipita vers le lieu de la discussion. Je suivis le mouvement. Sans prendre le temps de se concerter avec Collings, qui était toujours au centre de la mêlée, les miliciens chargèrent, utilisant leurs arbalètes comme des massues. Collings pivota brusquement pour crier quelque chose aux soldats, mais un des ouvriers le saisit par-derrière. Il fut jeté à terre et les manœuvres se précipitèrent pour le piétiner.

Les miliciens étaient de toute évidence entraînés à ce genre d’intervention, car ils se déplaçaient rapidement et efficacement, maniant leurs armes avec précision. J’observai un moment la bagarre, puis plongeai dans la mêlée pour m’efforcer de parvenir jusqu’à Collings. Un des ouvriers me prit au visage, ses doigts se refermèrent sur mes yeux. Je voulus me dégager, mais il n’était pas seul. Soudain, je me retrouvai libéré… et vis tomber les deux tooks qui m’avaient assailli. Les miliciens qui m’avaient sauvé n’interrompirent pas un instant leur matraquage systématique.

La foule grossissait à présent ; d’autres indigènes venaient prêter main-forte à leurs camarades. Bravement, je replongeai dans la mêlée, toujours à la recherche de Collings. Un dos étroit se dressait devant moi, sous une mince chemise blanche que la sueur collait à la peau. Sans réfléchir, je passai brutalement le bras autour de la gorge de l’homme, tirai sa tête en arrière et lui assenai un violent coup de poing sur l’oreille. Il s’écroula. Un autre se trouva devant moi. J’essayai la même tactique, mais cette fois, avant d’avoir seulement assuré ma prise, je reçus un coup de pied sauvage qui m’expédia à terre.

À travers une forêt de jambes, j’aperçus le corps de Collings, que l’on continuait de piétiner. Il gisait sur le ventre, les bras ramenés sur la tête pour se protéger. Je voulus me traîner jusqu’à lui, mais je fus roué de coups à mon tour. Un pied me frappa au côté du visage et je perdis connaissance un bref instant. Revenu à moi je me couvris la tête comme je pus et me propulsai dans la direction où j’avais aperçu Collings.

Tout autour de moi, des jambes, des corps, le rugissement de voix furieuses. Je levai les yeux. Je n’étais plus qu’à quelques centimètres de Collings. Je m’allongeai près de lui. Je voulus me relever mais fus immédiatement rejeté à terre d’un coup de pied.

À ma grande surprise, Collings avait encore toute sa connaissance. Je sentis son bras se poser sur mes épaules.

— Quand je vous le dirai, me cria-t-il dans l’oreille, levez-vous !

Un moment s’écoula, et son bras me serra plus fort.

— Allons-y !

Du même effort, nous nous redressâmes. Il me lâcha aussitôt et se mit à cogner des deux poings. Il atteignit un des hommes en plein visage. Je n’étais pas aussi grand que lui et ne réussis qu’à planter mon coude dans un ventre. J’encaissai en retour un direct sur le cou et retombai au sol. Quelqu’un m’empoigna et me remit debout. C’était Collings.

— Du cran ! (Il passa ses bras autour de mon corps et me soutint.) Ça va, dit-il. Tenez bon.

Peu à peu, la bagarre cessa. Les hommes reculèrent. Je m’effondrai dans les bras de Collings.

J’étais abruti. À travers une brume rouge qui me montait devant les yeux, j’aperçus un cercle de miliciens, arbalètes armées et épaulées. Les hommes d’équipe s’écartaient. Je m’évanouis.

Je repris mes esprits une minute plus tard. J’étais étendu sur le sol et un milicien se tenait près de moi.

— Il n’a rien ! cria-t-il – puis il s’en alla.

Je roulai sur le côté avec difficulté et vis à quelque distance Collings et le chef des miliciens plongés dans une violente discussion. À une cinquantaine de mètres de moi, les manœuvres s’étaient rassemblés, encerclés par la milice.

Je tentai de me relever et y réussis au deuxième essai. Je chancelai un moment en observant Collings et l’autre qui discutaient toujours. Peu après l’officier se dirigea vers le groupe de prisonniers et Collings s’approcha de moi.

— Comment vous sentez-vous ? me demanda-t-il.

Je voulais sourire, mais j’avais le visage enflé et douloureux. Je dus me contenter de le regarder fixement. Il avait une grande marque rouge sur un côté de la figure et son œil commençait à se fermer. Je remarquai également qu’il tenait un bras replié contre sa taille.

— Ça va bien, répondis-je.

— Vous saignez.

— Où ?

Je portai la main à mon cou – qui me faisait un mal abominable – et sentis un liquide tiède. Collings vint examiner la blessure.

— Ce n’est qu’une mauvaise égratignure, dit-il. Voulez-vous rentrer à la ville vous faire soigner ?

— Non. Que diable s’est-il passé ?

— La milice y est allée un peu fort. Je croyais vous avoir dit de m’en ramener quatre.

— Ils ont refusé de m’écouter.

— Je sais… ils sont comme ça.

— Mais pourquoi tout cela ? demandai-je. Il y a déjà pas mal de temps que je travaille avec ces hommes et ils ne nous ont encore jamais attaqués.

— Des tas de rancunes accumulées. Plus particulièrement, dans le cas présent, le problème était que trois de ces hommes ont des épouses dans la ville. Ils refusaient de repartir sans elles.

— Ce sont des hommes de la ville ? m’enquis-je, croyant avoir mal compris.

— Non… j’ai seulement dit que leurs femmes s’y trouvent. Ces hommes sont tous des indigènes, embauchés dans un village proche.