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— Oui.

— Si vous étiez allé plus loin, vous ne seriez plus ici maintenant pour vous en souvenir. Cette force est une fichue réalité.

— On m’a dit que rien ne pouvait se déplacer plus vite que la lumière.

— C’est vrai. Rien ne la dépasse. En théorie, la circonférence du monde est infiniment longue et se déplace à une vitesse infinie. Mais il y a – ou plutôt on suppose qu’il y a – un point où la matière cesse d’exister pour servir de circonférence effective. Ce point est celui où la rotation du monde transmet à la matière une vélocité équivalente à la vitesse-lumière.

— Donc elle n’est pas infinie.

— Pas tout à fait. Mais fichtrement élevée. Regardez le soleil.

— Je ne m’en suis pas privé.

— C’est la même chose. S’il ne pivotait pas, il serait – au sens propre – infiniment grand.

— Quand même, il ne peut avoir de telles dimensions qu’en théorie. Comment y aurait-il place pour plus d’un objet de dimensions infinies ?

— Il y a une réponse à cela. Mais elle ne vous plaira pas.

— Allez-y.

— Faites un tour à la bibliothèque et prenez un bouquin d’astronomie. Peu importe lequel. Ce sont tous des livres de la planète Terre, aussi partent-ils tous des mêmes hypothèses. Si nous étions en ce moment sur la planète Terre, nous habiterions un univers de dimensions infinies, qui serait occupé par une quantité de corps vastes mais finis. Ici l’inverse est la règle : nous vivons dans un univers vaste mais fini, occupé par une quantité de corps de dimensions infinies.

— Cela n’a aucun sens.

— Je sais, acquiesça Blayne. Je vous ai dit que cela ne vous plairait pas.

— Où sommes-nous ?

— Personne ne le sait.

— Où se trouve la planète Terre ?

— Personne ne le sait non plus.

— Il s’est passé quelque chose d’étrange, dans le passé, repris-je. J’accompagnais trois filles. Au fur et à mesure que nous avancions au sud, leurs corps se transformaient. Elles…

— Avez-vous rencontré des gens dans le futur ?

— Non. Nous sommes restés à l’écart des villages.

— Au nord de l’optimum les indigènes se modifient physiquement. Ils deviennent très grands et minces. Plus nous nous portons au nord, plus les facteurs physiques se modifient.

— Je ne suis guère allé qu’à une vingtaine de kilomètres dans le nord.

— Alors vous n’avez probablement rien remarqué de spécial. Au-delà de cinquante kilomètres au nord de l’optimum, tout devient extrêmement étrange.

Plus tard, je lui demandai :

— Pourquoi le sol bouge-t-il ?

— Je n’en suis pas certain.

— Quelqu’un le sait-il ?

— Non.

— Où va le sol ?

— Mieux vaudrait demander : d’oùs’éloigne-t-il ?

— Le savez-vous ?

— Destaine dit que le mouvement du sol est cyclique. Sa Directive affirme que le sol est réellement stationnaire au pôle Nord. Plus au sud, il se déplace très lentement en direction de l’équateur. Plus il en approche, plus sa vitesse grandit, vitesse angulaire – en raison de la rotation – et vitesse linéaire. À l’extrême, il se déplace dans deux directions à la fois à une vitesse infinie.

Je le regardai fixement.

— Mais…

— Attendez… je n’ai pas fini. Le monde a une partie sud, également. Si ce monde était une sphère, cette partie serait un hémisphère, alors Destaine a adopté ce même terme pour des raisons d’ordre pratique. Dans l’hémisphère Sud, c’est le contraire qui est vrai. C’est-à-dire que le sol s’éloigne de l’équateur vers le pôle Sud, en décélérant régulièrement. Au pôle Sud, il est de nouveau stationnaire.

— Vous ne m’avez toujours pas dit d’où le sol commence à partir.

— Destaine avance que les pôles Sud et Nord sont identiques. En d’autres termes, une fois qu’un point du sol atteint le pôle Sud, il réapparaît au pôle Nord.

— C’est une impossibilité !

— Pas selon Destaine. Il dit que le monde est constitué comme une hyperbole matérialisée – c’est-à-dire que toutes les limites tendent à l’infini. Si vous pouvez concevoir cela, les limites adoptent les caractéristiques de leur valeur opposée. Un infini négatif devient un infini positif… etvice versa.

— Me le citez-vous mot pour mot ?

— Je le crois. Mais vous devriez lire l’original.

— J’en ai bien l’intention, répondis-je.

Avant le départ de Blayne pour le nord, nous convînmes qu’une fois la crise résolue hors de la cité, nous voyagerions ensemble.

De nouveau seul, je lus d’un bout à l’autre la copie de la Directive de Destaine que Blayne avait empruntée pour moi à Clausewitz.

Elle comprenait plusieurs pages de texte imprimé serré, dont une grande partie me serait restée incompréhensible si je l’avais lue avant ma première sortie hors de la ville. Maintenant, mes propres expériences et idées s’ajoutant à ce que Blayne m’avait expliqué, elle ne constituait plus qu’une confirmation. Je compris que le système des guildes était partiellement fondé : l’expérience avait ouvert la voie de la compréhension.

Une part très importante de la Directive se composait de théories mathématiques coupées de nombreux calculs… que je ne fis que parcourir rapidement. Un journal tenu hâtivement me parut d’un tout autre intérêt. Certains paragraphes retinrent particulièrement mon attention.

Nous sommes bien loin de la Terre. Notre mère planète, je doute que nous ne la revoyions jamais, mais si nous devons survivre ici, il faut que ce soit sous la forme d’un microcosme de la Terre. Nous sommes dans la désolation et dans l’isolement. Nous sommes entourés d’un monde hostile qui menace chaque jour notre existence. Tant que nos constructions demeureront, l’homme survivra en ce lieu. La protection et la conservation de notre habitat sont donc d’une importance capitale.

Plus loin, il avait écrit :

J’ai calculé le taux de régression comme étant d’un dixième de kilomètre pendant une période de vingt-trois heures et quarante-sept minutes. Bien que cette dérive au sud soit lente, elle est inéluctable… l’installation sera donc déplacée d’au moins un kilomètre, pour toute période de dix jours.

Rien ne doit s’y opposer. Nous avons déjà rencontré une rivière et ne l’avons franchie qu’au prix de grands dangers. Sans nul doute, nous rencontrerons d’autres obstacles dans les jours et les kilomètres à venir, et par conséquent, nous devrons être prêts. Il faut concentrer nos efforts à trouver des matériaux locaux que nous puissions emmagasiner dans les bâtiments afin de nous en servir ultérieurement pour les constructions. Il ne devrait pas être trop difficile de construire un pont si nous sommes avertis en temps opportun.

Sturner est allé en exploration à l’avant et nous annonce une région marécageuse à quelques kilomètres devant nous. Nous avons déjà envoyé d’autres équipes au nord-est et au nord-ouest pour mesurer l’étendue de ce marécage. S’il n’est pas trop large, nous pourrons dévier un peu du nord exact et rattraper ensuite le temps perdu.

À la suite de ce paragraphe figuraient deux pages de la théorie que Blayne s’était efforcé de m’expliquer. Je la relus par deux fois, mais sans y trouver beaucoup plus de sens. Je passai donc à la suite :