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Chen m’a fourni l’inventaire des matières fissiles que je lui avais demandé. Tout n’est que résidu ! Avec le générateur translat, plus besoin ! N’ai rien dit à L. Les discussions avec lui font ma joie… Pourquoi y mettre fin maintenant ? Les générations futures auront chaud.

Aujourd’hui la température extérieure est de — 23°C. Et nous continuons la route au nord.

Plus loin :

Des ennuis avec l’une des chenilles. T. m’a conseillé d’autoriser leur suppression. Il dit que Sturner signale du nord qu’il aurait découvert ce qui lui semble être les restes d’une voie de chemin de fer. Il a quelque plan incroyable pour faire rouler sur les voies tout notre établissement, d’une manière ou d’une autre. T. prétend que cela marcherait très bien.

Plus loin :

Décidé de créer un système de guildes. Agréable archaïsme que tous approuvent. Une façon de structurer l’organisation sans changer brutalement la façon de vivre. Mais je pense que cela pourrait imposer à l’établissement une forme qui nous survivra à tous.

L’enlèvement des systèmes de chenilles se poursuit avec succès. Cela a causé un long retard. Espérons que nous pourrons le rattraper.

Natasha a mis un bébé au monde aujourd’hui : un garçon.

Le Dr S. m’a donné d’autres pilules. Il dit que je travaille trop et devrais me reposer. Plus tard, peut-être.

Vers la fin de la Directive, le ton devenait plus didactique :

Ce que j’écris ici ne sera communiqué qu’à ceux qui s’aventurent au-dehors… Inutile de rappeler aux habitants de notre colonie l’horreur de nos perspectives. Nous sommes suffisamment organisés : nous avons assez de puissance mécanique et d’initiative humaine pour nous maintenir en sureté sur ce monde, à jamais. Ceux qui nous suivront devront apprendre à la dure ce qui arrivera si nous cessons d’exploiter notre puissance ou notre initiative, et cette connaissance suffira à maintenir vivantes chez eux ces deux qualités.

Un jour, quelqu’un de la Terre nous retrouvera forcément, par la grâce de Dieu. Jusqu’alors, notre maxime doit être : la survie à n’importe quel prix.

Désormais il est convenu et par la présente ordonné :

Que la responsabilité suprême est aux mains du Conseil. Ces hommes feront naviguer notre établissement et on les appellera Navigateurs. Leur nombre, qui ne sera en aucun cas inférieur à douze, sera choisi parmi les membres des guildes ci-après :

Guilde des Voies : qui aura la responsabilité des voies sur lesquelles l’établissement se déplace.

Guilde de la Traction : qui aura la responsabilité de l’entretien du pouvoir moteur de l’établissement.

Guilde du Futur : qui aura la responsabilité de relever la topographie des sols qui se situent dans le temps futur de notre établissement.

Guilde des Bâtisseurs de Ponts : qui aura la responsabilité du franchissement sûr des obstacles quand il n’y aura pas d’autre route praticable.

En outre, s’il devenait nécessaire de créer d’autres guildes à l’avenir, ce ne pourrait être qu’à la suite d’un vote unanime des membres du Conseil.

Francis Destaine.

La masse de la Directive se composait de brèves notes datées en succession chronologique, du 23 février 1987 au 19 août 2023. La dernière était datée du 24 août 2023.

Il y avait encore deux feuillets. L’un était un codicille notant la constitution de la Guilde des Échanges et de la Guilde de la Milice. Sans date. Le second feuillet était une courbe dessinée à la main. Elle montrait l’hyperbole résultant de l’équationy = l/x, suivie de quelques signes mathématiques incompréhensibles pour moi. Telle était donc la Directive de Destaine.

7

À l’extérieur de la ville, les travaux des voies progressaient de façon satisfaisante.

Quand je rejoignis les équipes, la plupart des rails derrière la ville avaient été enlevés. D’autres équipes les reposaient déjà de l’entrée du col jusque dans la vallée en pente douce. L’atmosphère s’était améliorée… je pense que c’était surtout parce que le remorquage de la ville au-delà de la rivière s’était déroulé avec succès, sans incident. Pour le prochain tronçon, la pente nous était favorable. Cependant il faudrait utiliser les câbles et leurs supports car la pente n’était pas assez accentuée pour compenser les effets de la force centrifuge, encore sensible en ce point.

Sensation étrange que de se tenir debout près de la ville et de voir le terrain s’étendre dans toutes les directions à l’horizontale. Je savais maintenant que cette platitude n’était qu’apparente ; à l’optimum qui, étant donnée la vaste échelle de ce monde, n’était pas éloigné du tout, le sol était en réalité relevé selon une pente de quarante-cinq degrés vers le nord. Mais était-ce tellement différent de la vie sur un monde sphérique tel que la Terre ? Je me rappelais un livre lu à la crèche, écrit en Angleterre et traitant du pays ainsi nommé. Le livre avait été destiné aux jeunes enfants et dépeignait la vie d’une famille qui envisageait d’émigrer vers une autre contrée appelée Australie. Les enfants s’imaginaient que là où ils iraient, ils seraient à l’envers et l’auteur s’était donné quelque peine pour expliquer que tous les points d’une sphère paraissaient être verticaux à cause des effets de la gravité. Ainsi en était-il sur ce monde-ci. J’avais voyagé au sud et au nord de l’optimum et le terrain m’avait toujours paru horizontal.

Les travaux de la voie me plaisaient, car c’était bon de se fatiguer le corps sans avoir le temps de penser.

Une question restait en suspens : Victoria.

Il fallait que je la voie, si déplaisante que puisse être l’entrevue, et je voulais régler la situation au plus vite. Tant que je ne lui aurais pas parlé, et quel que dût en être le résultat, je ne me sentirais pas à l’aise dans la ville.

J’avais maintenant fermement accepté le milieu physique où évoluait la ville. Très peu de questions restaient encore sans réponse. Je comprenais comment et pourquoi la ville se déplaçait et j’avais connaissance des nombreux et subtils périls qui la menaçaient si sa progression au nord prenait fin. Je la savais vulnérable, et en ce moment même dans un danger pressant, mais je sentais que ses problèmes seraient bientôt résolus.

Toutefois, ces considérations générales n’allaient pas mettre un terme à mes soucis personnels… J’étais devenu un étranger pour une fille que j’avais aimée l’espace de ce qui me semblait à peine quelques jours.

Je découvris que, en ma qualité de membre d’une guilde, il m’était permis d’assister aux réunions du Conseil des Navigateurs. Je ne pouvais pas y prendre une part active, mais en tant que spectateur, aucun aspect des débats ne m’était interdit.

On m’annonça qu’une réunion allait se tenir et je résolus de m’y rendre.

Les membres du Conseil se réunissaient dans une petite salle derrière les quartiers principaux de la Navigation. La séance s’embarrassait si peu de cérémonie que j’en fus tout surpris : je m’étais attendu à quelque chose d’un peu solennel. Il est vrai que ces réunions étaient d’une importance capitale pour le bon fonctionnement de toute la ville, aussi les débats prirent-ils un tour très pratique dès que les Navigateurs se furent assis autour de leur table.