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— Y a-t-il une chance… ?

— Le désires-tu ?

— Je ne sais pas trop, répondis-je.

— C’est impossible. Pour moi, du moins. Je ne peux pas concilier mes convictions avec l’acceptation de ton mode de vie. Nous l’avons tenté et cela nous a séparés. De toute façon, je vis avec…

— Je sais.

Elle me regarda, et je devinai combien la perte de son enfant l’avait choquée.

— Tu n’as donc aucune croyance, Helward ? demanda-t-elle.

— Je crois seulement que le système des guildes, malgré toutes ses imperfections, est bien fondé.

— Et tu voudrais que nous reprenions la vie commune, pour vivre séparés en esprit par nos croyances différentes. Cela ne marcherait jamais.

Nous avions beaucoup changé tous les deux, elle avait raison. Cela ne servait à rien d’épiloguer sur ce qui se serait passé en d’autres circonstances. Il était impossible d’établir des rapports personnels tout à fait distincts de l’organisation générale de la cité.

Je fis néanmoins un dernier effort, tentant d’expliquer clairement la brusquerie apparente de ce qui s’était produit, cherchant une formule qui pût faire revivre les premiers sentiments que nous avions éprouvés l’un pour l’autre.

En toute sincérité, je dois reconnaître que Victoria s’y employa de son mieux, elle aussi, mais je pense que nous avions abouti l’un et l’autre à la même conclusion, par nos voies propres. Je me sentais mieux, de l’avoir revue, et quand je la quittai pour regagner le quartier des Futurs, j’avais conscience que nous avions réussi à résoudre la partie la plus difficile du problème.

9

Le lendemain – quand je partis vers le nord en compagnie de Blayne pour entamer le relevé topographique du futur – fut une journée qui marqua le commencement d’une longue période de sécurité retrouvée et de modifications importantes pour la ville. Je pus voir les deux phénomènes se développer étape par étape, car mon propre sentiment du temps réel de la ville était déformé par mes voyages dans le nord. J’appris par l’expérience qu’une journée passée à une distance approximative de trente kilomètres au nord de l’optimum était l’équivalent d’une heure de temps passée dans la cité. Je me tenais de mon mieux au courant des événements en assistant au plus grand nombre possible de réunions des Navigateurs.

Le calme de l’existence citadine que j’avais connue lors de ma première sortie pour travailler à l’extérieur revenait plus rapidement que la plupart des gens ne l’auraient cru.

Les tooks ne nous attaquaient plus, bien que l’un des miliciens, en mission de renseignement, eût été capturé et tué. Peu après, les chefs de la milice annoncèrent que les tooks se dispersaient et repartaient vers leurs villages dans le sud.

Bien que la surveillance militaire ait été longtemps maintenue – et n’ait jamais été abandonnée totalement – les hommes de la milice furent progressivement libérés pour d’autres travaux.

Comme je l’avais appris à la première réunion des Navigateurs à laquelle j’avais assisté, la méthode de remorquage de la ville avait été modifiée. Après avoir surmonté diverses difficultés, on avait abouti à un système pratique de traction continue en utilisant un dispositif compliqué de changement des câbles et de pose de rails alternés. Un dixième de kilomètre en vingt-quatre heures, ce n’était pas après tout une distance bien considérable… et en peu de temps, la cité eut atteint l’optimum.

Ce gain donnait en fait davantage de liberté de mouvement à la ville. À partir de l’optimum, par exemple, il était possible de suivre des déviations considérables par rapport au nord vrai lorsqu’apparaissait un obstacle suffisamment important.

Mais en réalité le terrain était bon. Comme le montraient nos relevés, le sol était généralement en pente et les angles de déclivité nous étaient plutôt favorables.

Il y avait un peu trop de rivières à traverser pour le goût des Navigateurs, et les Constructeurs de Ponts étaient sans cesse occupés. Mais, du fait de la proximité de l’optimum, on disposait d’un temps plus long pour prendre les décisions et bâtir des ponts solides.

Après quelques hésitations, le système des Échanges fut remis en vigueur. Les négociations étaient menées plus scrupuleusement que naguère. La cité payait mieux les ouvriers – on en avait toujours besoin – et s’efforçait d’éviter les marchandages pour les femmes.

Je suivis les débats sur cette question au cours d’une longue succession de réunions des Navigateurs. Nous avions toujours dans nos murs les dix-sept femmes transférées avant la première attaque. Elles n’exprimaient nul désir de rentrer dans leurs villages. Toutefois les naissances d’enfants de sexe masculin restaient prédominantes et beaucoup de gens étaient en faveur de la reprise du système de transfert. Personne ne savait pourquoi nous souffrions de ce déséquilibre numérique entre les sexes, mais c’était une réalité. De plus, trois des femmes transférées avaient accouché pendant les quelques derniers kilomètres, et les trois bébés étaient des garçons. Quelqu’un avança la théorie que plus longtemps les femmes du dehors séjourneraient dans la cité, plus elles auraient d’enfants mâles, probablement. Ici encore personne ne comprenait pourquoi.

Au dernier recensement, on comptait soixante-seize garçons et quatorze filles au-dessous de l’âge de deux cents kilomètres. Comme l’écart allait en augmentant, la guilde des Échanges reçut finalement l’autorisation de reprendre les négociations pour les transferts. Cette décision servit à mettre en lumière les changements sociaux qui se manifestaient. Le régime « ville ouverte » subsistait et les gens qui n’étaient pas membres des guildes avaient le droit d’assister aux réunions des Navigateurs en qualité de spectateurs. Quelques heures après la décision, toute la ville sut que les achats de femmes allaient recommencer et il y eut de nombreuses protestations. La décision fut cependant mise en application.

Bien que l’on eût de nouveau embauché des ouvriers de l’extérieur, leur nombre était plus réduit et beaucoup d’habitants de la ville continuaient de travailler aux voies et à la traction. En conséquence, le fonctionnement de la cité n’était plus un bien grand mystère.

Mais le niveau d’instruction en ce qui concernait la nature réelle du monde sur lequel nous vivions restait très faible.

Au cours d’un débat, j’entendis prononcer pour la première fois le mot « Terminateur ». On expliqua que les Terminateurs étaient un groupe de personnes activement opposées au déplacement continuel de la cité et décidées à le faire cesser. Autant qu’on le sache, ce n’étaient pas des militants et ils n’entreprendraient aucune action violente. Mais ils comptaient des partisans de plus en plus nombreux dans la ville, aussi organisa-t-on un programme d’instruction complémentaire pour mettre en lumière la nécessité du mouvement de la structure vers le nord.

Lors de l’assemblée suivante du Conseil, il y eut une intervention violente : un groupe fit irruption dans la salle pour tenter de s’emparer de la tribune. Je ne fus pas surpris de voir Victoria parmi les émeutiers.

Après une bruyante querelle les Navigateurs firent appel à la milice et la réunion fut ajournée.

Cette violence eut cependant l’effet souhaité par le Mouvement Terminateur : les réunions des Navigateurs furent de nouveau interdites au public. La bipolarisation de l’opinion publique dans la cité s’accentua. Les Terminateurs avaient un nombre considérable de partisans, mais aucun pouvoir réel.