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Elle arriva dans la chaleur du jour et trouva le village plongé dans l’indifférence et la léthargie. Elle chercha Luiz ; il était assis à l’ombre de l’église en compagnie de deux autres hommes.

— Les étrangers sont-ils revenus ? demanda-t-elle.

— Pas aujourd’hui, Menina Khan.

— Quand ont-ils dit qu’ils reviendraient ?

Luiz haussa les épaules. Un jour ou l’autre.

Demain ou après-demain.

— Avez-vous essayé ce… ?

Elle se tut, irritée contre elle-même. Elle avait eu l’intention d’emporter le prétendu engrais au QG pour le faire analyser – trop préoccupée, elle avait oublié.

— Faites-moi savoir s’ils viennent.

Elle alla rendre visite à Maria et au bébé, mais elle n’avait pas l’esprit à son travail. Plus tard, elle surveilla l’organisation d’un repas servi à tous ceux qui avaient faim, puis elle bavarda avec le père Dos Santos dans l’atelier. Mais tout le temps elle gardait l’oreille tendue, attendant un bruit de sabots.

Sans plus se chercher d’excuses, elle descendit à l’écurie, sella son cheval et quitta le village en direction de la rivière. Elle s’efforça de ne pas s’attarder à ses propres pensées, de ne pas sonder ses motivations profondes, mais sans y parvenir. Les dernières vingt-quatre heures avaient été lourdes de sens, d’une certaine façon. Elle était venue travailler dans ce pays parce qu’elle avait eu l’impression que sa vie chez elle n’avait pas de but… et tout cela pour n’éprouver que de nouvelles déceptions parmi ces pauvres paysans. Ce qu’elle pouvait leur offrir était trop peu et venait trop tard. Quelques poignées de semences avancées par le gouvernement, quelques piqûres, une église réparée ; c’était peut-être mieux que rien… mais le fond du problème demeurait l’échec de l’économie centraliste. Il n’y avait rien d’autre dans le pays que ce que les habitants eux-mêmes pouvaient en retirer.

La venue de Helward dans sa vie était le premier événement intéressant depuis son arrivée. Tout en chevauchant dans la broussaille vers les arbres, elle savait bien que ses motivations étaient ambiguës. Curiosité, oui, mais aussi quelque chose de plus profond.

Les hommes stationnés dans ce coin – ses collègues – étaient pleins d’eux-mêmes et de ce qu’ils imaginaient être leur mission. Ils discouraient abstraitement de la psychologie de groupe, de la réadaptation sociale, des schémas de comportement… Quand elle était d’humeur cynique, elle trouvait tout juste pitoyable cette manière de voir. Ce pauvre Tony Chappell mis à part, elle n’avait ressenti aucun sentiment particulier envers l’un ou l’autre… et ce n’était pas du tout ce qu’elle avait pensé avant de s’engager dans cette entreprise.

Helward était différent. Elle se refusait à l’admettre, mais elle savait bien qu’elle allait à sa rencontre.

Elle parvint à leur petit coin sur la berge et elle fit boire son cheval. Puis elle l’attacha à l’ombre et s’assit au bord de l’eau pour attendre. De nouveau elle tenta de contenir le bouillonnement de son esprit : pensées, désirs, questions. Tout en se concentrant de son mieux sur ce qui l’entourait, elle s’allongea au soleil et ferma les yeux. Elle écoutait le bruit de l’eau sur les cailloux du fond, les soupirs du vent dans les branches, le bourdonnement des insectes. Elle respirait une odeur de taillis secs, de terre chaude, de jour de chaleur. Un long temps s’écoula. Derrière elle, le cheval remuait la queue de temps à autre pour chasser les mouches importunes.

Elle ouvrit les yeux dès qu’elle entendit les pas de l’autre cheval et s’assit.

Helward était sur l’autre rive. Il agita la main en signe de salut et elle lui répondit.

Il mit immédiatement pied à terre ; elle sourit intérieurement. Il paraissait d’humeur plaisante et, pour l’amuser, il essaya un équilibre sur les mains. Après deux tentatives, il réussit, puis chavira en criant dans la rivière et souleva de grandes éclaboussures.

Elisabeth se leva d’un bond et courut dans l’eau jusqu’à lui.

— Vous ne vous êtes pas fait mal ?

Il lui sourit :

— J’y arrivais, quand j’étais gosse.

— Moi aussi.

Il se remit debout, examinant tristement ses vêtements trempés.

— Ils seront vite secs, dit-elle.

— Je vais chercher mon cheval.

Ils traversèrent ensemble le cours d’eau et Helward plaça sa monture près de celle d’Elisabeth. Elle se rassit sur la berge et Helward s’installa à côté d’elle, jambes tendues au soleil pour faire sécher ses vêtements.

Derrière eux, les chevaux, naseau contre naseau, s’éventaient mutuellement, éloignant les mouches.

Des questions, encore des questions… mais elle se contenait. Elle appréciait ce petit mystère et ne souhaitait pas le percer trop vite. L’explication rationnelle serait sans doute que, comme elle, il appartenait à une station et se livrait à ses dépens à quelque farce compliquée et bien inutile. Aucune importance, sa présence lui suffisait et elle refoulait elle-même ses émotions depuis assez longtemps pour savourer la rupture qu’il apportait dans sa vie routinière.

Le seul lien qu’il y eût entre eux, à sa connaissance, c’était qu’il n’avait jamais montré ses dessins qu’à elle seule. Elle demanda à les revoir. Ils en parlèrent un moment et il manifesta des enthousiasmes divers… Elle fut intriguée en voyant que tous les croquis étaient exécutés sur le même vieux papier d’impression pour ordinateur.

Il finit par lui dire :

— Je vous avais prise pour une took.

Il prononçait le mot très long : tououk.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Les gens qui vivent par ici. Mais ils ne parlent pas l’anglais.

— Mais si, quelques-uns… pas très bien… seulement quand nous le leur enseignons.

— Qui ça, « nous » ?

— Les gens pour qui je travaille.

— Vous n’êtes pas de la ville… fit-il soudain – puis il détourna les yeux.

Elisabeth fut un peu inquiète. Il avait eu le même air la veille et il était parti brusquement. Elle ne voulait pas que cela se reproduise.

— Parlez-vous devotre ville ?

— Non… bien sûr que vous n’en êtes pas. Qui êtes-vous ?

— Vous connaissez mon nom, répondit-elle.

— Oui, mais d’où êtes-vous ?

— D’Angleterre. Je suis venue ici il y a deux mois environ.

— L’Angleterre… c’est sur la Terre, n’est-ce pas ?

Il la regardait avec intensité, complètement oublieux de ses dessins, maintenant.

Elle rit en réaction nerveuse, devant l’étrangeté de la question.

— Elle était en effet sur la Terre la dernière fois que je m’y suis trouvée, dit-elle, en s’efforçant de plaisanter.

— Mon Dieu ! Alors…

— Quoi donc ?

Il se leva d’un bond et lui tourna le dos. Il fit quelques pas et se tourna de nouveau, les yeux baissés :

— Vous êtes venue de la Terre ?

— Que voulez-vous dire ?

— Êtes-vous originaire de la Terre… de la planète ?

— Naturellement… mais je ne vous comprends pas.

— Vous nous cherchez, dit-il.

— Non ! Ou plutôt… je ne sais pas.

— Vous nous avez trouvés !

Elle se leva et s’écarta de lui à reculons.

Elle attendait près des chevaux. Le jeu insolite avait fait place à la folie pure et elle savait qu’elle devait partir. C’était à lui de faire un premier mouvement.

— Elisabeth… ne partez pas.

— Lise, le reprit-elle.

— Lise… savez-vous qui je suis ? Je suis de la cité Terre. Vous devez savoir ce que cela signifie.