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Plus tard, la réserve des hommes parut se relâcher, peut-être sous l’effet de la fatigue.

— Pensez-vous que tout ceci soit encore nécessaire ? demanda l’un d’eux.

— Les échanges ?

— Oui… je veux dire qu’ils nous ont causé pas mal de difficultés dans le passé.

— Que suggéreriez-vous à la place ?

— Je n’en sais rien. Il ne m’appartient pas de décider. Mais si j’avais eu voix au chapitre, je ne serais pas ici en ce moment.

— Cette fois-ci, cela me paraît encore acceptable. Les dernières femmes ne sont pas encore parties et elles ne donnent pas l’impression d’en avoir envie. Peut-être n’aurons-nous plus à faire de transactions désormais.

— Mais si.

— On dirait que vous les désapprouvez ?

— Franchement, oui. Il m’arrive parfois de penser que tout notre système est insensé.

— Vous avez trop écouté les Terminateurs.

— Possible. Quand on les écoute, ce qu’ils disent est sensé. Non qu’ils connaissent toutes les réponses, mais ils ne sont pas aussi stupides que les Navigateurs le donnent à entendre.

— Vous perdez l’esprit.

— D’accord. Qui y échapperait par une chaleur pareille ?

— Mieux vaudrait ne pas répéter dans la ville ce que vous venez de me dire.

— Pourquoi pas ? Il y a déjà bien des gens à penser de même.

— Pas les membres des guildes. Vous êtes descendu dans le passé. Vous connaissez la situation.

— Je suis tout simplement réaliste. Il faut écouter l’opinion publique. Il y a dans la cité davantage de gens qui désirent s’arrêter qu’il n’y a d’hommes dans les guildes. Voilà tout.

— Bouclez-la, Norris, dit celui des hommes qui n’avait pas encore parlé, celui qui s’était adressé à la foule, au village.

Ils poursuivirent leur route.

La ville était en vue depuis un certain temps avant qu’Elisabeth la reconnût pour ce qu’elle était. En approchant, elle l’examinait attentivement, ne comprenant pas tout ce système de câbles et de voies. Elle pensa d’abord à une gare de triage, mais elle ne voyait pas de wagons et de toute façon les rails étaient trop courts pour avoir un usage pratique.

Plus tard elle remarqua des hommes qui, apparemment, patrouillaient le long des voies. Chacun d’eux portait soit un fusil, soit une arme qui ressemblait à une arbalète. C’était trop fou : elle se concentra de préférence sur la grande construction.

Elle avait entendu les hommes la désigner comme « la ville » – Helward avait parlé de même – mais à ses yeux ce n’était guère qu’un grand bloc d’immeubles de bureaux, mal façonné. Faite de bois en majeure partie, la ville avait la laideur de l’utilitarisme et pourtant la simplicité du dessin n’était pas déplaisante. Cela lui rappelait les images qu’elle avait vues des immeubles d’avant-Catastrophe, et bien que ces derniers eussent été construits presque tous en acier et en béton armé, ils avaient eu la même apparence carrée, la même simplicité, le même manque de décoration extérieure. Mais ces anciennes bâtisses avaient été très élevées, alors que cette structure étrange n’avait nulle part plus de sept étages de haut. La plus grande partie de ce qu’elle voyait avait été délavé par les intempéries, mais on apercevait aussi des constructions plus récentes.

On conduisit les femmes dans un passage sombre à la base de la structure. Elles mirent pied à terre et furent emmenées par un escalier. Puis elles franchirent une porte. Elles se trouvèrent alors dans un couloir bien éclairé.

Au bout se trouvait une autre porte, et leur escorte les quitta à cet endroit. Une pancarte sur le battant annonçait : QUARTIERS DE TRANSFERT.

À l’intérieur, elles furent accueillies par deux femmes qui leur parlèrent dans la langue du pays, avec un mauvais accent.

Maintenant qu’elle avait adopté un personnage, Elisabeth n’avait plus aucun moyen de l’abandonner. Dans les jours qui suivirent, elle fut soumise à une série d’examens et de traitements qu’elle aurait jugés – si elle n’en avait pas soupçonné la raison – extrêmement humiliants. On la baigna et on lui lava les cheveux. Des médecins l’examinèrent : les yeux, les dents. On lui chercha littéralement les poux dans la tête et on lui fit passer un test qui devait révéler, pensa-t-elle, si elle était atteinte ou non d’une maladie vénérienne.

Sans aucune surprise, les femmes qui dirigeaient le service lui délivrèrent un certificat de santé et la confièrent à deux autres femmes qui lui enseignèrent des rudiments d’anglais. Malgré tous ses efforts en vue de prolonger ce temps d’école, afin d’en apprendre davantage sur ce qui l’attendait – et qu’elle avait déjà deviné – on la considéra bientôt apte à sortir de cette première période d’adaptation.

Les premières nuits, elle avait couché dans un dortoir commun du centre de transfert, mais à présent elle se vit affecter une minuscule chambre pour elle seule. L’endroit était d’une propreté parfaite et sommairement meublé. Il y avait un lit étroit, une penderie – on lui avait remis deux jeux identiques de vêtements – un fauteuil et environ quatre pieds carrés d’espace libre.

Huit jours avaient passé depuis son arrivée et Elisabeth commençait à se demander à quoi elle avait espéré aboutir. Elle était employée aux cuisines où son travail était des plus routiniers. Ses soirées étaient libres, mais on lui avait dit qu’elle devait passer au moins une ou deux heures dans une certaine salle de réception où elle était censée entretenir des rapports sociaux avec les gens.

Cette salle comportait à une extrémité un petit bar où étaient servies quelques boissons, en choix très limité. La distraction était apportée par un ancien appareil vidéo. Lorsqu’elle le brancha sur un passeur de bande voisin, elle eut droit à un spectacle comique qu’elle n’apprécia nullement, bien qu’une assistance invisible éclatât de rire d’un bout à l’autre. Les allusions satiriques dataient évidemment d’une période plus ancienne et n’avaient à peu près aucun sens pour elle. Elle suivit néanmoins le programme jusqu’à la fin et, sur l’étiquette de droits d’auteur fixée au bout de la bande, elle apprit que l’émission avait été enregistrée en 1985. Plus de deux cents ans auparavant !

Elle fit la connaissance de quelques personnes dans cette salle. C’était une femme du centre de transfert qui tenait le bar. Quelques hommes venaient de temps à autre – vêtus du même uniforme sombre que Helward – et parfois aussi deux ou trois femmes qui, comme elle-même, étaient étrangères à la cité.

Un jour qu’elle travaillait aux cuisines, elle résolut par hasard un des problèmes qui continuaient à la hanter.

Elle empilait de la vaisselle propre dans un placard de métal qui retint soudain son attention. Il y avait eu des modifications qui le rendaient presque méconnaissable, ses éléments avaient été enlevés et remplacés par des étagères de bois, mais les lettres I.B.M. se distinguaient encore sous la couche de peinture d’une des portes.

Dès qu’elle en eut l’occasion, elle explora le reste de la ville. En dehors de ses heures de service, ses mouvements n’étaient nullement entravés. Elle bavardait avec les gens, et elle apprenait, pensait-elle.

Un jour, elle tomba sur une petite pièce réservée aux résidents pendant leurs moments de loisirs. Elle y trouva sur une table quelques feuillets imprimés bien agrafés ensemble. Elle y jeta un coup d’œil distrait et lut le titre sur la première page :Directive de Destaine.