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Je me roulai sur le flanc et tentai de relever les jambes. Elles étaient trop raides et douloureuses. Avec un effort considérable, je parvins à m’asseoir. Je restai un moment immobile, dans l’espoir qu’il s’agissait seulement d’une crampe.

— C’est toujours la même chose avec vous, les gosses de la ville, observa Malchuskin, mais sans méchanceté. Vous venez ici bouillants d’impatience, je le sais. Une journée de boulot et vous voilà raides, inutiles. Ne faites-vous donc jamais d’exercice en ville ?

— Seulement au gymnase.

— Bon. Descendez prendre votre petit déjeuner. Après quoi vous feriez mieux de retourner à la ville. Prenez un bain chaud et tâchez de trouver quelqu’un pour vous masser. Ensuite vous reviendrez me voir.

Je le remerciai et descendis tant bien que mal de ma couchette. Ce ne fut ni plus facile ni plus douloureux que mes efforts précédents. Je m’aperçus que j’avais des courbatures un peu partout, bras, cou, épaules et jambes.

Une demi-heure après, je quittai la cabane alors que Malchuskin tempêtait pour faire lever les hommes. Je retournai vers la ville à pas lents, en boitant.

C’était la première fois que je me trouvais livré à moi-même hors de la cité. Accompagné, on ne voit jamais autant de choses que seul. La ville était à cinq cents mètres de la baraque de Malchuskin et cette distance permettait de recueillir une impression d’ensemble. Toute la journée précédente, je n’avais pas trouvé le moyen de lui accorder plus qu’un coup d’œil de temps à autre. C’était simplement une grande masse grisâtre qui dominait le paysage.

Maintenant, en boitillant tout seul sur le terrain, j’avais tout loisir de l’examiner en détail.

Satisfait de l’expérience limitée que j’avais eue de l’intérieur de la cité, je ne m’étais jamais demandé sérieusement de quoi elle pouvait avoir l’air, vue du dehors. Elle était en réalité beaucoup moins grande que je ne l’avais imaginée. À son point le plus élevé, du côté nord, elle atteignait environ 70 mètres de haut, mais le reste n’était qu’un amas de rectangles et de cubes disposés sans ordre apparent à des hauteurs variables. Les couleurs en étaient le brun terne et le gris, et elle était bâtie, autant que je pouvais en juger, en bois de diverses espèces. Il semblait qu’il n’entrât dans sa construction que peu de béton et de métal, et rien n’était peint. L’apparence extérieure contrastait singulièrement avec l’aspect intérieur – du moins les quelques coins que j’en connaissais – où tout était propre et très décoré. Comme le logis de Malchuskin était juste à l’ouest de la ville, il m’était impossible d’en évaluer la largeur tandis que je m’en approchais, mais j’en estimai la longueur à cinq cents mètres environ. J’étais surpris de sa laideur et de sa vieillesse apparente. Il s’y dépensait beaucoup d’activité, surtout au nord.

Je marchais toujours quand il me vint à l’esprit que j’ignorais totalement comment entrer. La veille, le Futur Denton m’avait fait faire le tour des murs, mais j’avais eu l’esprit si accaparé par des impressions neuves que je n’avais retenu que de rares détails. Tout me semblait alors si différent !

Seul souvenir précis : il existait une porte derrière la plate-forme d’où nous avions assisté au lever du soleil. Je me dirigeai donc vers ce point. Ce n’était pas aussi facile que je le pensais.

Je me rendis au sud de la ville, enjambant les voies auxquelles j’avais travaillé la veille, puis je me rabattis vers le côté est où j’étais certain de trouver les échelles de métal que j’avais descendues avec le Futur Denton. Après de longues recherches, je découvris un échafaudage complexe et ce ne fut qu’après de pénibles rétablissements sur des passerelles et de non moins malaisées ascensions par des échelles que je retrouvai la plate-forme. La porte était fermée à clé.

Je n’avais plus qu’à me renseigner. Je redescendis au sol et repartis pour le sud de la ville où Malchuskin et son équipe avaient repris les travaux de démantèlement de la voie.

Avec un air de patience chagrine, Malchuskin laissa le soin des travaux à Rafaël pour me montrer ce qu’il fallait faire. Il me conduisit par l’étroit passage entre les deux voies intérieures jusque sous le rebord de la ville. Il y faisait sombre et frais.

On s’arrêta près d’un escalier de métal.

— Là-haut, il y a un ascenseur, me dit-il. Vous savez ce que c’est ?

— Oui.

— Vous avez une clé de la guilde ?

Je fouillai dans ma poche et montrai un morceau de métal taillé de façon irrégulière que m’avait remis Clausewitz pour ouvrir la serrure de la porte de la crèche :

— Ceci ?

— Oui. L’ascenseur est muni d’une serrure. Montez au quatrième niveau, trouvez un administrateur et demandez-lui l’usage de la salle de bains.

Me sentant parfaitement stupide, je fis ce qu’il avait dit. J’entendis son rire tandis qu’il retournait vers la lumière du jour. Je découvris l’ascenseur sans difficulté, mais les portes refusèrent de s’ouvrir quand je me servis de ma clé. J’attendis. Au bout de quelques instants, les battants s’ouvrirent brusquement et deux membres de guilde en sortirent. Ils ne firent pas attention à moi et descendirent jusqu’au sol par les degrés.

Les portes commencèrent à se refermer d’elles-mêmes et je fonçai dans la cabine. Avant que j’aie découvert le moyen de contrôler l’appareil, il se mit à monter. Sur la paroi près de la porte, je vis une rangée de boutons à clé numérotés de un à sept. Je plantai ma clé dans le numéro quatre, en espérant avoir visé juste. L’ascenseur me parut poursuivre longtemps sa course, puis il s’arrêta brutalement. Les portes s’ouvrirent, je sortis. Au moment où je pénétrais dans le couloir, trois hommes des guildes entrèrent dans la cabine.

J’aperçus des caractères peints sur le mur en face : SEPTIÈME NIVEAU. J’étais monté trop haut. À l’instant où les portes se refermaient, je me précipitai à l’intérieur.

— Où allez-vous, apprenti ? me demanda un des hommes.

— Au quatrième niveau.

— C’est bon. Calmez-vous.

Il mit sa propre clé dans le bouton à fente marqué quatre et cette fois quand la cabine s’immobilisa, c’était au bon niveau. Je marmonnai mes remerciements à l’homme qui m’avait parlé et je sortis.

Depuis quelques minutes, mes diverses préoccupations m’avaient fait oublier les souffrances de mon corps, mais à présent je me sentais de nouveau fatigué et mal à l’aise. Dans cette partie de la ville, l’activité semblait fiévreuse : une foule se pressait dans les couloirs, j’entendais des conversations, des portes qui s’ouvraient et se refermaient. C’était différent de l’extérieur, car le calme du paysage y faisait oublier le temps : bien que les gens y fussent au travail et sans cesse en mouvement, l’atmosphère y était plus tranquille. Les travaux d’hommes comme Malchuskin et ses manœuvres avaient leur raison d’être, une qualité primitive, mais ici au cœur des niveaux supérieurs qui m’étaient restés si longtemps interdits, tout était mystérieux et compliqué.

Me rappelant les instructions de Malchuskin, je choisis une porte au hasard et entrai. Il y avait deux femmes à l’intérieur ; mes explications les amusèrent, mais elles me vinrent en aide.

Quelques minutes plus tard, je plongeai mon corps endolori dans une baignoire pleine d’eau très chaude. Je fermai les yeux.

Il m’avait fallu tant de temps et d’efforts pour obtenir ce bain que je m’étais demandé s’il me ferait le moindre bien. Cependant, quand je me fus séché et rhabillé, mes membres étaient déjà beaucoup moins raides. Il y avait encore des traces de courbatures, mais la fatigue m’avait quitté.