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Après un automne doux et brillant, l’hiver tomba comme une tuile. C’est un fait assez commun dans nos climats; mais le nez de Mr L’Ambert fit preuve en cette occasion d’une sensibilité peu commune. Il rougit un peu, puis beaucoup; il s’enfla par degrés, au point de devenir presque difforme. Après une partie de chasse égayée par le vent du nord, le notaire éprouva des démangeaisons intolérables. Il se regarda dans un miroir d’auberge et la couleur de son nez lui déplut. Vous auriez dit une engelure mal placée.

Il se consolait en pensant qu’un bon feu de fagots lui rendrait sa figure naturelle, et, de fait, la chaleur le soulagea et le déteignit en peu d’instants. Mais la démangeaison se réveilla le lendemain, et les tissus se gonflèrent de plus belle, et la couleur rouge reparut avec une légère addition de violet. Huit jours passés au logis, devant la cheminée, effacèrent la teinte fatale. Elle reparut à la première sortie, en dépit des fourrures de renard bleu.

Pour le coup, Mr L’Ambert prit peur; il manda Mr Bernier en toute hâte. Le docteur accourut, constata une légère inflammation et prescrivit des compresses d’eau glacée. On rafraîchit le nez, mais on ne le guérit point. Mr Bernier fut étonné de la persistance du mal.

– Après tout, dit-il, Dieffenbach a peut-être raison. Il prétend que le lambeau peut mourir par excès de sang et qu’on y doit appliquer des sangsues. Essayons!

Le notaire se suspendit une sangsue au bout du nez. Lorsqu’elle tomba, gorgée de sang, on la remplaça par une autre et ainsi de suite, durant deux jours et deux nuits. L’enflure et la coloration disparurent pour un temps; mais ce mieux ne fut pas de longue durée. Il fallut chercher autre chose. Mr Bernier demanda vingt-quatre heures de réflexion, et en prit quarante-huit.

Lorsqu’il revint à l’hôtel de la rue de Verneuil, il était soucieux et même timide. Il dut faire un effort sur lui-même avant de dire à Mr L’Ambert:

– La médecine ne rend pas compte de tous les phénomènes naturels, et je viens vous soumettre une théorie qui n’a aucun caractère scientifique. Mes confrères se moqueraient peut-être de moi si je leur disais qu’un lambeau détaché du corps d’un homme peut rester sous l’influence de son ancien possesseur. C’est votre sang, lancé par votre cœur, sous l’action de votre cerveau, qui afflue si malheureusement à votre nez. Et pourtant je suis tenté de croire que cet imbécile d’Auvergnat n’est pas étranger à l’événement.

Mr L’Ambert se récria bien haut. Dire qu’un vil mercenaire que l’on avait payé, à qui l’on ne devait rien, pouvait exercer une influence occulte sur le nez d’un officier ministériel, c’était presque de l’impertinence!

– C’est bien pis, répondit le docteur, c’est de l’absurdité. Et pourtant je vous demande la permission de chercher le Romagné. J’ai besoin de le voir aujourd’hui, ne fût-ce que pour me convaincre de mon erreur. Avez-vous gardé son adresse?

– À Dieu ne plaise!

– Eh bien, je vais me mettre en quête. Prenez patience, gardez la chambre, et ne vous traitez plus.

Il chercha quinze jours. La police lui vint en aide et l’égara durant trois semaines. On mit la main sur une demi-douzaine de Romagné. Un agent subtil et plein d’expérience découvrit tous les Romagné de Paris, excepté celui qu’on demandait. On trouva un invalide, un marchand de peaux de lapin, un avocat, un voleur, un commis de mercerie, un gendarme et un millionnaire. Mr L’Ambert grillait d’impatience au coin du feu, et contemplait avec désespoir son nez écarlate. Enfin, l’on découvrit le domicile du porteur d’eau, mais il n’y demeurait plus. Les voisins racontèrent qu’il avait fait fortune et vendu son tonneau pour jouir de la vie.

Mr Bernier battit les cabarets et autres lieux de plaisir, tandis que son malade restait plongé dans la mélancolie.

Le 2 février, à dix heures du matin, le beau notaire se chauffait tristement les pieds et contemplait en louchant cette pivoine fleurie au milieu de son visage, lorsqu’un tumulte joyeux ébranla toute la maison. Les portes s’ouvrirent avec fracas, les valets crièrent de surprise, et l’on vit paraître le docteur, traînant Romagné par la main.

C’était le vrai Romagné, mais bien différent de lui-même! Sale, abruti, hideux, l’œil éteint, l’haleine fétide, puant le vin et le tabac, rouge de la tête aux pieds comme un homard cuit: c’était moins un homme qu’un érysipèle vivant.

– Monstre! lui dit Mr Bernier, tu devrais mourir de honte. Tu t’es ravalé au-dessous de la brute. Si tu as encore le visage d’un homme, tu n’en as déjà plus la couleur. À quoi as-tu employé la petite fortune que nous t’avions faite? Tu t’es roulé dans les bas-fonds de la débauche, et je t’ai trouvé au delà des fortifications de Paris, vautré comme un porc au seuil du plus immonde des cabarets!

L’Auvergnat leva ses gros yeux sur le docteur et lui dit avec son aimable accent, embelli d’une intonation faubourienne:

– Eh bien, quoi! J’ai fait la noche! Ch’est pas une raigeon pour me dire des chottiges.

– Qui est-ce qui te dit des sottises? On te reproche tes turpitudes, voilà tout. Pourquoi n’as-tu pas placé ton argent au lieu de le boire?

– Ch’est lui qui m’a dit de m’amuger.

– Drôle! s’écria le notaire, est-ce moi qui t’ai conseillé de te soûler à la barrière avec de l’eau-de-vie et du vin bleu?

– On ch’amuse comme on peut… je chuis été avec les camarades.

Le médecin bondit de colère…

– Ils sont jolis, tes camarades! Comment! je fais une cure merveilleuse qui répand ma gloire dans Paris, qui m’ouvrira un jour ou l’autre les portes de l’Institut, et tu vas, avec quelques ivrognes de ton espèce, gâter mon plus divin ouvrage! S’il ne s’agissait que de toi, parbleu! Nous te laisserions faire. C’est un suicide physique et moral; mais un Auvergnat de plus ou de moins n’importe guère à la société. Il s’agit d’un homme du monde, d’un riche, de ton bienfaiteur, de mon malade! Tu l’as compromis, défiguré, assassiné par ton inconduite. Regarde dans quel état lamentable tu as mis la figure de monsieur!

Le pauvre diable contempla le nez qu’il avait fourni, et se mit à fondre en larmes.

– Ch’est bien malheureux, mouchu Bernier; mais j’attechte le bon Dieu que ch’est pas ma faute. Le nez ch’est gâté tout cheul. Chaprichti! Je chuis un honnête homme, et je vous jure que je n’y ai pas cheulement touché!