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— Oh ! je ne vous aime pas d’un profond amour, répondit Pilar, mais tout de même vous me plaisez. Je vous aime beaucoup, croyez-moi. Je sais que vous avez été méchant, mais cela ne m’ennuie pas du tout. Vous êtes plus vivant qu’aucune des autres personnes de cette maison et vous me racontez des choses intéressantes. Vous avez beaucoup voyagé et vous avez mené une vie aventureuse. Si j’étais homme, je vous ressemblerais.

— Je le crois volontiers, dit Siméon… On m’a toujours dit qu’il y avait un peu de sang gitan dans la famille. Mes enfants n’en ont pas hérité… si ce n’est Harry… En tout cas, il reparaît chez toi. De plus, je sais être patient, quand il le faut. Une fois, j’ai attendu quinze ans pour me venger d’une offense. C’est là un autre trait caractéristique des Lee… ils n’oublient jamais ! Un homme m’avait roulé. J’ai attendu quinze ans l’occasion propice pour assouvir ma vengeance. Je l’ai ruiné, cet homme… Je l’ai mis sur la paille ! »

Le vieillard ricanait doucement.

« Était-ce en Afrique du Sud ? demanda Pilar.

— Oui. Un pays splendide…

— Vous y êtes retourné depuis ?

— J’y suis retourné, pour la dernière fois, cinq ans après mon mariage.

— Mais avant cela ? Y avez-vous passé plusieurs années ?

— Oui.

— Parlez-moi de votre vie là-bas. »

Il commença le récit de son existence de prospecteur. Pilar, s’abritant derrière son éventail, l’écoutait.

Bientôt, la voix du vieillard se fit plus basse et il ajouta, l’air fatigué :

« Attends, je vais te montrer quelque chose. »

Avec mille précautions, il se leva et, s’appuyant sur sa canne, il traversa lentement la pièce. Il ouvrit le grand coffre-fort, se retourna et fit signe à Pilar d’approcher.

« Tiens, regarde-moi ça ! Touche-les, laisse-les couler entre tes doigts. »

Il éclata de rire en voyant l’air intrigué de Pilar.

« Sais-tu ce que c’est ? Des diamants, ma petite, des diamants ! »

Pilar ouvrit de grands yeux et dit en les regardant de plus près :

« Mais ce ne sont que des petits cailloux.

— Ce sont des diamants bruts, mon enfant. C’est ainsi qu’on les trouve. »

Incrédule, Pilar demanda :

« Et si on les taillait, ce seraient de vrais diamants ?

— Certainement.

— Ils brilleraient et lanceraient des feux ?

— Oui, ils lanceraient des feux. »

D’un air enfantin, Pilar déclara :

« Oh ! je ne puis le croire.

— C’est pourtant la vérité.

— Ces pierres ont-elles une grande valeur ?

— Une très grande valeur. Il est difficile de les estimer tant qu’elles ne sont pas taillées. Cependant, ce petit lot vaut plusieurs milliers de livres. »

Pilar répéta, laissant un intervalle entre les mots :

« Plusieurs… milliers… de… livres ?

— Mettons neuf ou dix mille livres… Ce sont des pierres assez grosses. »

Pilar écarquilla les yeux.

« Alors, pourquoi ne les vendez-vous pas ?

— Parce qu’il me plaît de les conserver ici.

— Mais tout cet argent ?

— Je n’en ai pas besoin.

— Je comprends, fit Pilar, impressionnée. Mais pourquoi ne les faites-vous pas tailler ? Elles seraient plus belles à regarder.

— Parce qu’elles me plaisent mieux ainsi. »

Il ajouta, se parlant à lui-même :

« Rien que de les toucher, de les sentir entre mes doigts, cela me reporte loin en arrière… Je revois le soleil, les bœufs… le vieux Eb… les camarades… je pense aux soirées… je sens l’odeur du veldt… »

On frappa discrètement à la porte.

Siméon dit à Pilar :

« Remets-les vite dans le coffre et ferme d’un coup sec. »

Puis il répondit : « Entrez ! »

Plein de douceur et de déférence, Horbury pénétra dans la pièce et annonça :

« Le thé est servi en bas. »

III

« Tiens ! te voilà, David ? dit Hilda à son mari. Je te cherchais partout. Ne restons pas dans cette pièce. Il y fait froid. »

David ne répondit pas tout de suite. Debout, il regardait un fauteuil, un fauteuil bas recouvert de satin, à la couleur passée. Soudain, il prononça :

« C’est son fauteuil… Elle prenait toujours ce fauteuil… il est toujours le même… seulement un peu fané… »

Le front de Hilda se plissa légèrement.

« Je comprends, fit-elle. Viens, David. Sortons d’ici, il y fait terriblement froid. »

Sans l’écouter, David jeta les yeux autour de la pièce.

« Elle s’asseyait dans ce petit salon et je me vois encore assis à ses pieds, sur ce tabouret, tandis qu’elle me lisait Jack, le tueur de géants… C’est bien cela : Jack, le tueur de géants. Je devais avoir sept ans, alors. »

Hilda passa une main ferme sous le bras de son mari.

« Viens au salon, chéri. Cette pièce n’est pas chauffée. »

Il la suivit docilement, mais elle sentit qu’il tremblait.

« Tout est resté comme avant… On dirait que le temps n’a pas bougé… »

Hilda paraissait soucieuse. Cependant, elle dit d’un ton gai et décidé :

« Je me demande où peuvent être les autres. Il doit être l’heure du thé. »

David se dégagea et ouvrit une autre porte.

« Il y avait un piano ici… Oh ! il y est encore… Je me demande s’il est toujours accordé. »

Il s’assit sur le tabouret, souleva le couvercle du piano et ses mains coururent légèrement sur les touches.

« Oui, il est bien accordé. »

Il se mit à jouer. L’instrument vibra sous ses doigts.

« Je connais ce morceau, dit Hilda, et je ne puis en dire le titre.

— Voilà des années que je ne l’ai pas joué, dit David. Elle le jouait souvent. C’est un chant sans paroles, de Mendelssohn. »

La mélodie, douce, très douce, remplit la pièce.

« Joue-moi du Mozart », demanda Hilda.

David secoua la tête et attaqua une autre mélodie de Mendelssohn.

Soudain, ses mains s’abaissèrent sur les touches en produisant un bruit discordant. Il se leva, tremblant de tous ses membres. Hilda alla vers lui.

« David… David… Qu’as-tu ?

— Ce n’est rien. »

IV

La clochette de la porte d’entrée retentit de façon agressive. Dans l’office, Tressilian se leva et, lentement, alla ouvrir.

La sonnette retentit de nouveau et Tressilian fronça le sourcil. À travers le carreau gelé de la porte, il entrevit la silhouette d’un homme portant un chapeau de feutre, aux bords rabattus.

Tressilian se passa la main sur le front. Quelque chose le tracassait. On eût dit que tout se reproduisait une seconde fois.

La même chose s’était, en effet, déjà produite dans le courant de la journée…

Il tira le verrou et ouvrit la porte.

À cet instant, le charme fut brisé. L’homme debout sur le seuil demanda :

« Est-ce ici que demeure Mr. Siméon Lee ?

— Oui, monsieur.

— Pourrais-je le voir, s’il vous plaît ? »

L’écho d’un vieux souvenir se réveilla dans la mémoire de Tressilian. Il se souvenait de cette intonation de voix… Elle le reportait loin dans le passé… à l’époque où Mr. Lee arrivait en Angleterre.

Tressilian hocha la tête d’un air de doute.

« Mr. Lee est un invalide, monsieur. Il ne reçoit guère. Si vous… »