— Juju, cinquante hommes peuvent le faire. C’est une question de volonté, d’habileté, et d’armement.
— Merde ! Mais nous avons conclu une trêve, Don. Et si elle est violée, c’en est fini de nous. C’est la seule chose qui nous permet encore de tenir. Quand le vaisseau reviendra de Prestno et verra ce qui s’est passé, peut-être décideront-ils de balayer les créates. On ne sait pas. Mais, selon toute apparence, les créates ont l’intention de respecter la trêve, c’était leur idée, après tout, et nous l’avons acceptée. Ils peuvent nous éliminer tous rien que par leur nombre, à n’importe quel moment, comme ils l’ont fait à Centralville. Ils étaient des milliers. Tu ne comprends pas ça, Don ?
— Écoute, Juju, bien sûr que je comprends. Si vous avez peur d’utiliser les trois puces qui vous restent, vous pourriez les envoyer ici, avec quelques gars qui voient les choses à notre façon. Si je dois vous libérer tout seul, quelques puces de plus ne seraient pas inutiles pour faire ce boulot.
— Tu ne vas pas nous libérer, tu vas nous incinérer, espèce de foutu crétin. Ramène tout de suite la dernière puce à Central : ce sont les ordres personnels que le colonel te donne en tant qu’Officier faisant fonction de chef de camp. Utilise-la pour ramener tes hommes ici ; douze voyages, cela ne te prendra pas plus de quatre journées locales. Maintenant obéis à ces ordres, et exécute-les.
Clic, terminé – ils avaient peur de discuter davantage avec lui.
Finalement, il craignit qu’ils n’envoient leurs trois puces pour bombarder ou mitrailler le camp de la Nouvelle Java ; car, techniquement, Davidson désobéissait aux ordres, et le vieux Dongh n’était pas très tolérant à l’égard des éléments indépendants. Il suffisait de voir comment il s’en était déjà pris à Davidson, à cause de cet insignifiant raid de représailles sur l’île Smith. L’initiative était punie. Ce qu’aimait Ding Dong, c’était la soumission, comme la plupart des officiers. Le danger d’une telle attitude est qu’elle peut amener l’officier lui-même à se soumettre. Davidson se rendit finalement compte, avec un véritable choc, que les puces n’étaient pas une menace pour lui, parce que Dongh, Sereng, Gosse, et même Benton avaient peur de les envoyer. Les créates leur avaient ordonné de garder les puces à l’intérieur de la Réserve Humaine : et ils obéissaient.
Mon Dieu, cela le rendait malade. Il était temps d’agir. Il y avait maintenant près de deux semaines qu’ils se morfondaient ici. Son camp était bien défendu ; ils avaient renforcé la palissade et l’avaient consolidée pour qu’aucun de ces petits hommes-singes verts n’ait une chance de la franchir, et ce petit malin d’Aabi avait fabriqué des tas de mines artisanales très correctes et les avait semées tout autour de la palissade en formant une ceinture large d’une centaine de mètres. Il était temps maintenant de montrer aux créates qu’ils avaient pu vaincre les moutons de Central, mais que sur la Nouvelle Java ils auraient affaire à des hommes. Il fit décoller la puce et s’en servit pour guider un peloton d’infanterie composé d’une quinzaine d’hommes jusqu’à un terrier de créates situé au sud du camp. Il avait appris à repérer les choses depuis l’appareil ; c’étaient les vergers qui les trahissaient, des concentrations de certaines espèces d’arbres, bien qu’ils ne fussent pas plantés en ligne comme des humains l’auraient fait. C’était incroyable le nombre de terriers qu’on remarquait, une fois qu’on avait appris à les repérer. La forêt en était pleine. Le groupe d’attaque incendia le terrier à la main, et en revenant vers la base avec quelques-uns de ses gars, il en remarqua un autre, situé à moins de quatre kilomètres du camp. Sur celui-là, il lâcha une bombe, rien que pour y laisser clairement sa signature afin que chacun puisse la reconnaître. Juste une bombe incendiaire, pas une grosse, mais bon sang ! elle a fait sacrément voltiger cette fourrure verte. Elle laissa dans la forêt une grande clairière dont les bords brûlaient.
Ce serait bien entendu son arme principale quand viendrait le moment de lancer des représailles massives. Le feu de forêt. Il pouvait incendier une de ces îles tout entière, avec des bombes et du flambe lâchés de la puce. Il n’y avait plus qu’à attendre un mois ou deux, quand serait terminée la saison des pluies. Allait-il incendier King, ou Smith, ou Central ? King d’abord, peut-être, comme premier avertissement, puisqu’il n’y restait plus d’hommes. Puis Central s’ils ne rentraient pas dans le rang.
— Qu’est-ce que vous essayez de faire ? demanda une voix dans la radio, et cela le fit grimacer, le ton était tellement angoissé, comme une vieille femme qu’on dévaliserait. Savez-vous ce que vous faites, Davidson ?
— Ouais.
— Vous croyez que vous allez soumettre les créates ?
Ce n’était pas Juju, cette fois-ci, ce pouvait être cet enflé de Gosse, ou n’importe lequel d’entre eux ; aucune différence ; ils bêlaient tous la même chose.
— Oui, c’est exact, répondit-il avec une légèreté ironique.
— Vous croyez que si vous continuez à brûler les villages, ils viendront se rendre à vous – tous les trois millions. C’est ça ?
— Peut-être.
— Écoutez, Davidson, ajouta au bout d’un moment la radio plaintive et bourdonnante ; ils utilisaient une quelconque installation de secours, puisqu’ils avaient perdu le gros transmetteur en même temps que le faux ansible, ce qui n’était pas une grosse perte. Écoutez, y a-t-il près de vous quelqu’un d’autre à qui nous pourrions parler ?
— Non ; ils sont tous très occupés. Dites, c’est vraiment très chouette ici, mais il nous manque le dessert, vous savez, des cocktails de fruits, des pêches, ce genre de merde. Quelques-uns des gars en ont vraiment envie. Nous avions droit à une cargaison de marijane quand vous avez été attaqués. Si on passe au-dessus de vous en puce, vous pourriez nous refiler quelques caisses de douceurs et d’herbe ?
Une pause.
— D’accord, envoyez-la.
— Magnifique. Préparez le truc dans un filet, et les gars pourront l’accrocher sans avoir besoin d’atterrir.
Il sourit.
Le transmetteur de Central émit quelques bruits, et d’un seul coup le vieux Dongh se trouva en ligne ; c’était la première fois qu’il parlait à Davidson. Portée par les petites ondes gémissantes, sa voix paraissait faible et haletante.
— Écoutez, Capitaine, je voudrais savoir si vous comprenez pleinement quelles formes d’actions vont m’obliger à prendre vos agissements à la Nouvelle Java, si vous continuez à désobéir à mes ordres. Je tente de vous raisonner comme un soldat loyal et raisonnable. Si je veux assurer la sécurité du personnel qui se trouve sous mon commandement à Central, je vais être mis en position d’être obligé de dire aux indigènes qui sont ici que nous ne pouvons plus assumer la moindre responsabilité envers vos agissements.
— C’est correct, Monsieur.
— Ce que je m’efforce de vous faire comprendre, c’est que cela signifie que nous allons être mis en position de devoir leur dire que nous ne pouvons plus vous empêcher de violer la trêve sur la Nouvelle Java. Votre personnel est de soixante-six hommes, n’est-ce pas, eh bien je veux que ces hommes soient sains et saufs à Central, avec nous, pour attendre l’arrivée du Shackleton et pour que nous puissions nous occuper tous ensemble de la Colonie. Vous effectuez une opération suicide, et je suis responsable des hommes qui se trouvent avec vous.