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« Ce n’est pas vous qui l’en avez empêché, remarqua Aphéta.

— Un peu auparavant, sur le vaisseau, madame. C’est donc lui, hier soir, dans l’obscurité. Quelqu’un d’autre l’a arrêté, sans quoi je serais mort. J’étais incapable de me libérer moi-même.

— Tzadkiel », dit-elle.

Mes jambes avaient beau être plus longues que les siennes, je devais presser le pas pour rester à sa hauteur. « Vous avez dit qu’il n’était pas là, madame.

— Non. Simplement qu’il n’occupait pas son Siège de Justice, hier. Regardez donc autour de vous, autarque. » Elle s’arrêta, et je l’imitai. « N’est-ce pas une belle ville ?

— La plus belle que j’aie jamais vue, gente dame. Sans aucun doute cent fois plus belle que la plus belle ville de Teur.

— Ne l’oubliez pas ; il se peut que vous ne la revoyiez pas. Votre monde pourrait être aussi beau que celui-ci, si seulement vous le vouliez tous. »

Nous continuâmes de monter jusqu’à l’entrée de la Cour de Justice. Je m’étais imaginé obligé de fendre la foule, comme lors de nos procès publics, mais le silence du matin régnait sur le sommet de la colline.

Aphéta se tourna de nouveau et m’indiqua la mer. « Regardez, dit-elle à nouveau. Apercevez-vous les îles ? »

Je les vis. Elles étaient éparpillées – à l’infini, aurait-on dit – jusqu’à l’horizon, telles que je les avais déjà contemplées depuis le vaisseau.

« Savez-vous ce qu’est une galaxie, autarque ? Ce tourbillon d’étoiles innombrables, éloignées les unes des autres ? »

J’acquiesçai.

« Cette île sur laquelle vous vous tenez juge les mondes de votre galaxie. Chaque île que vous voyez en juge une autre. J’espère que de savoir cela vous aidera, car c’est tout ce que je peux faire pour vous. Si vous ne me revoyez pas, n’oubliez pas que moi je vous verrai. »

CHAPITRE XXI

Tzadkiel

On avait installé la veille les marins de face, dans la Salle d’Examen. La première chose que je remarquai en y pénétrant pour la deuxième fois fut leur absence à ces places. Ceux qui les occupaient étaient emmitouflés dans une chape de ténèbres qui semblait émaner d’eux, tandis que les marins se tenaient près de l’entrée et sur les bords de la salle.

Mon regard quitta les silhouettes sombres et suivit l’allée qui conduisait au Siège de Justice de Tzadkiel, et je vis Zak. Il était assis sur le trône. De chaque côté de lui, se déployait devant les murs de pierre blanche ce qui me parut être des tapisseries tissées dans les fils les plus fins, et ornées de motifs d’yeux aux couleurs resplendissantes. Ce n’est que lorsqu’elles bougèrent que je me rendis compte qu’il s’agissait de ses ailes.

Aphéta m’avait laissé au pied des marches et depuis lors j’avançai sans escorte. Comme je m’étais immobilisé, ne pouvant détacher mes yeux de Zak, deux marins vinrent me prendre chacun par un bras pour me conduire à lui.

Ils me laissèrent, et je restai au pied du trône, la tête baissée. Aucun discours du vieil autarque ne vint couler spontanément de ma bouche, cette fois ; mon esprit n’était que confusion. À la fin j’arrivai à balbutier : « Zak, je suis venu plaider la cause de Teur.

— Je sais, répondit-il. Sois le bienvenu. » Il avait une voix profonde et claire aux sonorités qui allaient s’épanouissant comme une trompe entendue au loin ; ce qui me rappela une certaine histoire insensée de Gabriel, qui portait la trompe de guerre céleste en travers du dos, suspendu à un arc-en-ciel. Ce qui me rappela à son tour le livre de Thécle, dans lequel je l’avais lue ; et finalement le grand volume de cuir irisé que m’avait montré le vieil autarque lorsque je lui avais demandé le chemin du jardin le jour où, ayant entendu parler de moi, il avait supposé que j’étais arrivé pour le remplacer et qu’il allait immédiatement partir plaider pour Teur.

Je sus alors que j’avais vu Tzadkiel avant d’aider Sidero et les autres à s’en emparer en tant que Zak, et que la forme masculine que je voyais n’était pas plus vraie (mais pas moins non plus) que la femme ailée dont le regard m’avait alors frappé de stupeur, et que ni l’une ni l’autre de ces formes n’était plus vraie, ou moins, que la forme animale qui m’avait sauvé la vie lorsque Purn avait essayé de me tuer à l’extérieur de sa cage.

Et je m’écriai : « S’gneur – Zak – Tzadkiel, puissant hiérogrammate – je ne comprends pas.

— Veux-tu dire par là que tu ne me comprends pas ? Et pourquoi le devrais-tu ? Je ne me comprends pas moi-même, Sévérian, et je ne te comprends pas. Cependant je suis comme je suis, ta propre race m’ayant créé ainsi avant l’apocatastase. Ne t’a-t-on pas dit qu’ils nous avaient formés à leur image ? »

J’essayai de parler, mais en fus incapable. Finalement, j’acquiesçai.

« La forme que tu as maintenant fut leur première, la forme qu’ils possédaient lorsqu’ils venaient de jaillir de l’animalité. Toutes les races se transforment, sous l’effet du temps. En as-tu conscience ? »

Je me souvins des hommes-singes de la mine et répondis : « Pas toujours en mieux.

— En effet. Mais les hiéros ont maîtrisé leur propre évolution, ainsi que la nôtre afin que nous puissions les suivre.

— S’gneur…

— Demande. Ton procès final ne va pas tarder à commencer et il ne peut pas être juste. Toutes les réparations que nous pourrons faire, nous les ferons. Maintenant ou plus tard. »

À ces mots, mon cœur se pétrifia ; derrière moi, tous ceux qui étaient installés sur les bancs murmurèrent, et leurs voix étaient comme les branches qui soupirent dans la forêt alors que je ne savais qui ils étaient.

Quand je pus de nouveau parler, je dis : « C’est une question ridicule, S’gneur. Mais j’ai entendu autrefois deux histoires de changeurs de forme et dans l’une d’elles un ange – et je crois que vous en êtes vous-même un – s’ouvrait la poitrine et donnait le pouvoir qu’il avait de se transformer à une oie de basse-cour. L’oie l’utilisa aussitôt pour se transformer pour toujours en une oie sauvage au vol rapide. La nuit dernière la dame Aphéta m’a déclaré que je ne serais peut-être pas toujours boiteux. Est-ce que cet homme, ce Mélito, S’gneur, avait pour instruction de me raconter cette histoire ? »

Un petit sourire vint jouer aux commissures des lèvres de Tzadkiel, me rappelant ceux que m’adressait Zak. « Qui pourrait le dire ? Pas moi, en tout cas. Tu dois comprendre que lorsqu’une vérité est connue, comme tant l’ont su pendant tant de millénaires, elle se répand partout et se transforme, empruntant de multiples aspects. Mais si tu me demandes de te transmettre mes talents, je ne le peux. Si nous pouvions les distribuer à volonté, nous les donnerions à nos propres enfants. Tu les as rencontrés, et ils sont toujours emprisonnés dans la forme qui est la tienne actuellement. As-tu une autre question avant que nous procédions ?

— Oui, S’gneur. Des milliers, en fait. Mais s’il ne m’en est permis plus qu’une, pour quelles raisons êtes-vous arrivé à bord du vaisseau comme vous l’avez fait ?

— Parce que je souhaitais te connaître. Quand tu étais jeune garçon sur ton propre monde, n’as-tu jamais ployé le genou devant le Conciliateur ?

— Le jour de la Sainte-Catherine, S’gneur.

— Et croyais-tu en lui ? Y croyais-tu de tout ton être ?

— Non, S’gneur. » J’avais l’impression d’être sur le point de subir une punition pour mon impiété et aujourd’hui encore je ne sais ce qu’il en était.