Выбрать главу

Je demandai à mon prêtre quand le Dormeur avait dévoré la terre.

Il avait le teint très hâlé, mais même ainsi je vis le sang lui quitter le visage. « Il y a longtemps, répondit-il. Avant que les hommes ne viennent sur Ushas.

— Alors comment le savent les hommes ?

— Le dieu Odilo nous l’a enseigné. Êtes-vous en colère ? »

Odilo avait donc surpris ma conversation avec Eata ; j’avais cru qu’il dormait. « Non, dis-je. Je souhaite seulement savoir ce que vous en connaissez. Est-ce vous qui êtes venus sur Ushas ? »

Il secoua la tête. « Non, le père de mon père et la mère de ma mère. Ils sont tombés du ciel, éparpillés comme des graines par la main du Dieu de tous les dieux.

— Sans connaître le feu ni rien d’autre », dis-je ; et tandis que je parlais, je me souvins de ce que le jeune officier avait rapporté : que les hiérodules avaient déposé un homme et une femme dans le périmètre du Manoir Absolu. Avec cet élément, il était assez facile de deviner qui avaient été les ancêtres de mon prêtre – les marins mis en déroute par mes souvenirs avaient payé leur défaite de leur passé, tout comme j’aurais payé celle de mon passé de l’avenir de mes descendants.

Ce n’était pas très loin du village. Quelques bateaux d’apparence fragile étaient tirés sur la grève, des embarcations sans peinture qui me parurent essentiellement construites à partir de bois de flottage. À une aune ou un peu plus de la ligne de plus haute marée, se dressait un quadrilatère de huttes parfaitement alignées. Ce quadrilatère devait être l’œuvre d’Odilo, j’en étais sûr ; il manifestait cet amour de l’ordre pour l’ordre si caractéristique d’un domestique de haut rang. Puis j’en vins à me dire que les bateaux faits de bric et de broc devaient sans doute beaucoup à son inspiration ; après tout, c’était lui qui avait construit notre radeau.

Deux femmes et une volée d’enfants sortirent du quadrilatère pour nous regarder passer, tandis qu’un homme équipé d’un maillet cessa de forcer de l’herbe sèche dans les joints d’un bateau ; mon prêtre, qui marchait à un demi-pas derrière moi, hocha la tête dans ma direction et fit un geste trop rapide pour que je pusse le comprendre. Les villageois tombèrent à genoux.

Inspiré par ce sens du théâtre que j’ai dû, bon gré mal gré, souvent cultiver, je levai les bras, mains tendues, et leur donnai ma bénédiction, leur disant d’être bons les uns pour les autres, et aussi heureux qu’ils le pourraient. C’est là la seule bénédiction que nous, dieux mineurs, pouvons réellement donner, bien que sans aucun doute l’Incréé puisse faire davantage.

Dix pas de plus, et le village se trouvait derrière nous, pas suffisamment loin cependant pour m’empêcher d’entendre le calfat qui reprenait son martèlement ou les enfants leurs jeux et leurs pleurs. Je demandai à mon prêtre si Odilo vivait loin d’ici.

« Non, pas très », me répondit-il avec un geste.

Nous nous dirigeâmes vers l’intérieur des terres et entreprîmes l’ascension d’une petite colline. De sa crête on pouvait voir le sommet de la suivante, sur laquelle se dressaient trois « tonnelles côte à côte, et comme la mienne décorées de lupins entrelacés, de salicaires mauves, et de rues des prairies blanches.

« Là, fit mon prêtre avec un geste. Là dorment les autres dieux. »

APPENDICE

Le miracle d’Apu-Punchau

Il n’est pas de miracles plus convaincants pour l’esprit primitif que ceux qui affectent les mécanismes présumés immuables du ciel. La prolongation de la nuit par Sévérian, cependant, peut laisser les esprits crédules intrigués quant à la manière dont il a pu accomplir une telle merveille sans entraîner de cataclysme plus grand que celui qui a accompagné l’arrivée du Nouveau Soleil.

On peut avancer au moins deux hypothèses plausibles à ce sujet. Les historiens invoquent les phénomènes d’hypnose de masses pour expliquer les multiples événements merveilleux qui restent irréductibles à toute logique ; mais c’est là quelque chose que les hypnotiseurs ne nous proposent jamais de reproduire.

Si l’on rejette l’hypnose de masse, reste une seule autre hypothèse, celle d’une éclipse au sens large du terme, à savoir le passage d’un vaste corps opaque entre le Vieux Soleil et Teur.

Dans ce contexte, on remarquera que les étoiles que l’on voit dans le ciel de l’empire en hiver se lèvent au printemps au-dessus de la ville de pierre (phénomène probablement dû à la précession des équinoxes) ; mais que, durant la prolongation de la nuit, Sévérian voit les étoiles de printemps auxquelles il est accoutumé. Ce qui semble peser en faveur de la deuxième explication, comme la manifestation immédiate du Vieux Soleil, déjà plus haut que le toit des maisons, après la capitulation des autochtones. Rien de ce qu’écrit Sévérian n’indique ce qu’aurait pu être ce corps opaque ; mais le lecteur avisé n’aura pas de difficulté à avancer au moins une hypothèse plausible.

G.W.

FIN LIVRE VI

Gene Wolfe

Le nouveau soleil de Teur 2

Cinquième partie du Livre du Nouveau Soleil

roman traduit de l’américain par William Desmond

DENOËL

Titre originaclass="underline" THE URTH OF THE NEW SUN

(Tor Books, New York)

© 1987, by Gene Wolfe

Et pour la traduction française © 1989, par Éditions Denoël, 30, rue de l’Université, 75007 Paris

ISBN : 2-207-30489-2