- Chacune a un orifice sur la face avant qui permet de glisser la main, mais pas de la retirer avant plusieurs secondes. C'est comme un petit piège pour les curieux. Imagine que chaque boîte contient la vie d'un de tes amis, Ben. En réalité, c'est bien le cas, car chacune renferme une tablette avec un nom. Tu peux introduire la main et la ressortir. Pour chaque boîte dans laquelle tu mettras la main et d'où tu retireras le sauf-conduit d'un de tes amis, je libérerai celui-ci. Mais, bien entendu, il y a un risque. Une de ces boîtes, au lieu de la vie, contient la mort.
- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
- Tu as déjà vu une vipère, Ben ? Une petite bête à l'humeur versatile. Tu t'y connais en serpent ?
- Je sais ce qu'est une vipère, répliqua Ben en sentant ses genoux se dérober sous lui.
- Alors, je t'épargnerai les détails. Il te suffit de savoir qu'une de ces boîtes abrite une vipère.
- Ben, ne le fais pas ! s'écria Ian.
Jawahal lui lança un coup d'œil amusé.
- Ben, j'attends. Je crois que personne ne peut t'offrir de conditions plus généreuses, dans toute la ville de Calcutta. Sept vies et une seule possibilité d'erreur.
- Comment je peux savoir que vous ne mentez pas ?
Jawahal leva un long index et fit longuement non de la tête devant le visage de Ben.
- Mentir est une des rares choses que je ne fais pas, Ben. Maintenant, décide-toi. Si tu n'oses pas affronter le jeu et démontrer que tes amis te sont aussi chers que tu veux nous le faire croire, dis-le, et nous passerons ton tour à un autre qui aura plus de courage que toi.
Ben finit par acquiescer.
- Ben, non ! répéta Ian.
- Prie ton ami de se taire, Ben, ou c'est moi qui l'y contraindrai.
Le garçon adressa un regard suppliant à Ian.
- Ne me rends pas les choses plus difficiles, Ian.
- Ian a raison, dit Isobel. S'il veut nous tuer, il n'a qu'à le faire lui-même. Ne te laisse pas embobiner.
Ben leva la main pour réclamer le silence et fit face à Jawahal.
- J'ai votre parole ?
Jawahal le dévisagea longuement et finit par hocher affirmativement la tête.
- Ne perdons pas davantage de temps, conclut Ben en se dirigeant vers la rangée de boîtes qui l'attendaient.
Ben contempla soigneusement les sept boîtes de bois peintes de différentes couleurs et tenta d'imaginer laquelle contenait le serpent caché par Jawahal. Vouloir déchiffrer l'esprit dans lequel elles avaient été disposées revenait à reconstituer un puzzle sans connaître ce qu'il représentait. La vipère pouvait être dissimulée aux extrémités comme au centre, dans un coffret peint d'une couleur vive ou dans celui qui était revêtu d'un vernis noir. Toute supposition était superflue, et Ben découvrit que son cerveau était vide face à la décision qu'il devait prendre sur-le-champ.
- La première fois est la plus difficile, chuchota Jawahal. Choisis sans réfléchir.
Ben examina les yeux insondables et n'y trouva que le reflet de son propre visage, blême et apeuré. Il compta mentalement jusqu'à trois, ferma les paupières et introduisit brusquement la main dans une boîte. Les deux secondes qui suivirent furent interminables : il s'attendait à sentir le contact rugueux du corps couvert d'écailles et la piqûre mortelle des crocs de la vipère. Rien de cela n'arriva. Après cet atroce moment d'attente, ses doigts rencontrèrent une plaque de bois, et Jawahal lui adressa un sourire sportif.
- Bon choix. Le noir. La couleur de l'avenir.
Ben retira la tablette et lut le nom écrit dessus :
Siraj. Il adressa un regard interrogateur à Jawahal, qui confirma. Le déclic des menottes qui retenaient le chétif adolescent fut clairement audible.
- Siraj, ordonna Ben. Descends de ce train et va-t'en.
Siraj frotta ses poignets endoloris et contempla, abattu, ses camarades.
- Fais ce que Ben te dit, indiqua Ian en essayant de rester maître de sa voix.
Siraj refusa d'un signe de la tête. Isobel eut un faible sourire.
- Siraj, pars d'ici, supplia-t-elle. Fais-le pour moi.
Le garçon hésita, déconcerté.
- Nous n'avons pas toute la nuit ! lança Jawahal. Tu pars ou tu restes. Seuls les imbéciles ne profiteraient pas de ta chance. Cette nuit, tu as épuisé ta réserve de chance pour le reste de ton existence.
- Siraj ! ordonna Ben d'un ton tranchant. Pars immédiatement. Aide-moi un peu.
Siraj lui adressa un coup d'œil désespéré, mais son ami ne modifia pas d'un pouce son expression sévère et impérative. Finalement, Siraj baissa la tête et se dirigea vers la porte du wagon.
- Ne t'arrête pas avant d'être arrivé au fleuve, recommanda Jawahal, ou tu t'en repentiras.
- Il ne le fera pas, répondit Ben pour lui.
- Je vous attendrai, gémit Siraj depuis la marche du wagon.
- À tout de suite, Siraj, dit Ben. Va-t'en, maintenant.
Les pas du garçon s'éloignèrent dans le tunnel.
Jawahal haussa les sourcils pour indiquer que le jeu continuait.
- J'ai tenu ma promesse, Ben. Maintenant, c'est à toi. Il y a un coffret en moins. Ça facilite ton choix. Décide vite, et un autre de tes amis aura la vie sauve.
Ben posa son regard sur la boîte voisine de celle qu'il venait de choisir. Autant celle-là qu'une autre. Lentement, il tendit la main vers elle et s'arrêta à un centimètre de l'orifice.
- Tu es sûr, Ben ? questionna Jawahal.
Ben le regarda, exaspéré.
- Réfléchis bien. Ton premier choix a été parfait. Ne va pas commettre une erreur maintenant.
Ben lui adressa un sourire méprisant et, sans le quitter des yeux, introduisit la main dans la boîte qu'il avait choisie. Les pupilles de Jawahal se rétrécirent comme celle d'un fauve affamé. Ben retira une tablette et lut un nom.
- Seth. Sors d'ici.
Les menottes de Seth s'ouvrirent à l'instant et le garçon se leva, nerveux.
- Ça ne me plaît pas, Ben, déclara-t-il.
- À moi encore moins. Pars, et assure-toi que Siraj ne s'est pas perdu.
Seth hocha gravement la tête, conscient que tout autre comportement, s'il ne suivait pas les instructions de Ben, mettrait en danger leur vie à tous. Il adressa un geste d'adieu à ses amis et gagna la porte. Une fois là, il se retourna et contempla encore une fois les membres de la Chowbar Society.
- On s'en sortira. D'accord ?
Ses amis acquiescèrent avec autant de conviction que les y autorisait la loi des probabilités.
- Quant à vous, dit Seth en s'adressant à Jawahal, vous n'êtes qu'un gros tas de fumier.
Jawahal se passa la langue sur les lèvres d'un air approbateur.
- C'est facile d'être un héros quand on sort sur ses deux jambes et qu'on abandonne ses amis à une mort certaine, hein, Seth ? Tu peux encore m'insulter si ça te fait envie, mon garçon. Je ne te toucherai pas. Ça t'aidera sûrement à mieux dormir quand tu te rappelleras cette nuit et quand plusieurs de ceux qui sont ici serviront de pâture aux vers. Tu pourras toujours raconter que toi, le courageux Seth, tu as insulté le méchant, pas vrai ? Mais au fond, toi et moi, nous connaissons la vérité, hein, Seth ?
La colère enflamma le visage de Seth et ses yeux lancèrent un éclair de haine. Il fit un pas en direction de Jawahal, mais Ben s'interposa violemment.
- S'il te plaît, Seth, lui chuchota-t-il à l'oreille. Pars tout de suite. S'il te plaît.
Seth regarda Ben une dernière fois et céda en lui serrant fortement le bras. Ben attendit qu'il soit descendu du wagon pour faire de nouveau face à Jawahal.
- Ça ne faisait pas partie de notre accord, protesta-t-il. J'arrête tout si vous ne me promettez pas de cesser de martyriser mes amis.
- Tu continueras, que tu le veuilles ou non. Tu n'as pas d'autre solution. Mais pour te prouver ma bonne volonté, je garderai mes commentaires sur tes amis pour moi. Et maintenant, la suite.