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Je ne pus m’empêcher de lui demander:

«Mais, qu’est-ce qu’elle a?…

– Quoi?… qu’est-ce qu’elle a?… Tu ne vois donc pas qu’elle est sèche maintenant! Tu ne vois donc pas que c’est du sang!…»

Non! je ne voyais pas cela, car j’étais bien sûr que ce n’était pas du sang. C’était de la peinture rouge bien naturelle.

Mais je n’eus garde, dans un tel moment, de contrarier Rouletabille. Je m’intéressai ostensiblement à cette idée de sang.

«Du sang de qui? fis-je… le savez-vous?… du sang de qui?… du sang de Larsan?…

– Oh! Oh! fit-il, du sang de Larsan!… Qui est-ce qui connaît le sang de Larsan?… Qui en a jamais vu la couleur? Pour connaître la couleur du sang de Larsan, il faudrait m’ouvrir les veines, Sainclair!… C’est le seul moyen!…»

J’étais tout à fait, tout à fait étonné.

«Mon père ne se laisse pas prendre son sang comme ça!…»

Voilà qu’il reparlait, avec ce singulier orgueil désespéré, de son père… «Quand mon père porte perruque, ça ne se voit pas!» «Mon père ne se laisse pas prendre son sang comme ça!»

«Les mains de Bernier en étaient pleines, et vous en avez vu sur celles de la Dame en noir!…

– Oui! oui!… On dit ça!… On dit ça!… Mais on ne tue pas mon père comme ça!…»

Il paraissait toujours très agité et il ne cessait de regarder le petit lavis bien propret. Il dit, la gorge gonflée soudain d’un gros sanglot:

«Mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu! Ayez pitié de nous! Cela serait trop affreux.»

Et il dit encore:

«Ma pauvre maman n’a pas mérité cela! ni moi non plus! ni personne!…»

Ce fut alors qu’une grosse larme, glissant au long de sa joue, tomba dans le godet:

«Oh! fit-il… il ne faut pas allonger la peinture!»

Et, disant cela d’une voix tremblante, il prit le godet avec un soin infini et l’alla enfermer dans une petite armoire.

Puis il me prit par la main et m’entraîna, cependant que je le regardais faire, me demandant si réellement il n’était point, tout à coup, devenu vraiment fou.

«Allons!… Allons!… fit-il… Le moment est venu, Sainclair! Nous ne pouvons plus reculer devant rien… Il faut que la Dame en noir nous dise tout… tout ce qui s’est passé dans le sac… Ah! si M. Darzac pouvait rentrer tout de suite… tout de suite… Ce serait moins pénible… Certes! je ne peux plus attendre!…»

Attendre quoi?… attendre quoi?… Et encore une fois, pourquoi s’effrayait-il ainsi? Quelle pensée lui faisait ce regard fixe? Pourquoi se remit-il nerveusement à claquer des dents?…

Je ne pus m’empêcher de lui demander à nouveau:

«Qu’est-ce qui vous épouvante ainsi?… Est-ce que Larsan n’est pas mort!…»

Et il me répéta, me serrant nerveusement le bras:

«Je vous dis, je vous dis que sa mort m’épouvante plus que sa vie!…»

Et il frappa à la porte de la Tour Carrée devant laquelle nous nous trouvions. Je lui demandai s’il ne désirait point que je le laissasse seul en présence de sa mère. Mais, à mon grand étonnement, il me répondit qu’il ne fallait, en ce moment, le quitter pour rien au monde, «tant que le cercle ne serait point fermé».

Et il ajouta, lugubre:

«Puisse-t-il ne l’être jamais!…»

La porte de la Tour restait close; il frappa à nouveau; alors elle s’entrouvrit et nous vîmes réapparaître la figure défaite de Bernier. Il parut très fâché de nous voir.

«Qu’est-ce que vous voulez? Qu’est-ce que vous voulez encore? fit-il… Parlez tout bas, madame est dans le salon du vieux Bob… Et le vieux n’est toujours pas rentré.

– Laissez-nous entrer, Bernier…», commanda Rouletabille.

Et il poussa la porte.

«Surtout ne dites pas à madame…

– Mais non!… Mais non!…»

Nous fûmes dans le vestibule de la Tour. L’obscurité était à peu près complète.

«Qu’est-ce que madame fait dans le salon du vieux Bob? demanda le reporter à voix basse.

– Elle attend… elle attend le retour de M. Darzac… Elle n’ose plus rentrer dans la chambre… ni moi non plus…

– Eh bien, rentrez dans votre loge, Bernier, ordonna Rouletabille, et attendez que je vous appelle!»

Rouletabille poussa la porte du salon du vieux Bob. Tout de suite, nous aperçûmes la Dame en noir, ou plutôt son ombre, car la pièce était encore fort obscure, à peine touchée des premiers rayons du jour. La grande silhouette sombre de Mathilde était debout, appuyée à un coin de la fenêtre qui donnait sur la Cour du Téméraire. À notre apparition, elle n’eut pas un mouvement. Mais Mathilde nous dit tout de suite, d’une voix si affreusement altérée que je ne la reconnaissais plus:

«Pourquoi êtes-vous venus? Je vous ai vus passer dans la cour. Vous n’avez pas quitté la cour. Vous savez tout. Qu’est-ce que vous voulez?»

Et elle ajouta sur un ton d’une douleur infinie:

«Vous m’aviez juré de ne rien voir.»

Rouletabille alla à la Dame en noir et lui prit la main avec un respect infini:

«Viens, maman! dit-il, et ces simples paroles avaient dans sa bouche le ton d’une prière très douce et très pressante… Viens! Viens!… Viens!…»

Et il l’entraîna. Elle ne lui résistait point. Sitôt qu’il lui eût pris la main, il sembla qu’il pouvait la diriger à son gré. Cependant, quand il l’eut ainsi conduite devant la porte de la chambre fatale, elle eut un recul de tout le corps.

«Pas là!» gémit-elle…

Et elle s’appuya contre le mur pour ne point tomber. Rouletabille secoua la porte. Elle était fermée. Il appela Bernier qui, sur son ordre, l’ouvrit et disparut ou plutôt se sauva.

La porte poussée, nous avançâmes la tête. Quel spectacle! La chambre était dans un désordre inouï. Et la sanglante aurore qui entrait par les vastes embrasures rendait ce désordre plus sinistre encore. Quel éclairage pour une chambre de meurtre! Que de sang sur les murs et sur le plancher et sur les meubles!… Le sang du soleil levant et de l’homme que Toby avait emporté on ne savait où… dans le sac de pommes de terre! Les tables, les fauteuils, les chaises, tout était renversé. Les draps du lit auxquels l’homme, dans son agonie, avait dû désespérément s’accrocher, étaient à moitié tirés par terre et l’on voyait sur le linge la marque d’une main rouge. C’est dans tout cela que nous entrâmes, soutenant la Dame en noir qui paraissait prête à s’évanouir, pendant que Rouletabille lui disait de sa voix douce et suppliante: «Il le faut, maman! Il le faut!» Et il l’interrogea tout de suite après l’avoir déposée en quelque sorte sur un fauteuil que je venais de remettre sur ses pieds. Elle lui répondait par monosyllabes, par signes de tête ou par une désignation de la main. Et je voyais bien que, au fur et à mesure qu’elle répondait, Rouletabille était de plus en plus troublé, inquiet, effaré visiblement; il essayait de reconquérir tout le calme qui le fuyait et dont il avait plus que jamais besoin, mais il n’y parvenait guère. Il la tutoyait et l’appelait: «Maman! Maman!» tout le temps pour lui donner du courage… Mais elle n’en avait plus; elle lui tendit les bras et il s’y jeta; ils s’embrassèrent à s’étouffer, et cela la ranima; et, comme elle pleura tout à coup, elle fut un peu soulagée du poids terrible de toute cette horreur qui pesait sur elle. Je voulus faire un mouvement pour me retirer, mais ils me retinrent tous les deux et je compris qu’ils ne voulaient pas rester seuls dans la chambre rouge. Elle dit à voix basse: