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«Nous sommes délivrés…»

Rouletabille avait glissé à ses genoux et, tout de suite, de sa voix de prière: «Pour en être sûre, maman… sûre… il faut que tu me dises tout… tout ce qui s’est passé… tout ce que tu as vu…»

Alors, elle put enfin parler… Elle regarda du côté de la porte qui était close; ses yeux se fixèrent avec une épouvante nouvelle sur les objets épars, sur le sang qui maculait les meubles et le plancher et elle raconta l’atroce scène à voix si basse que je dus m’approcher, me pencher sur elle pour l’entendre. De ses petites phrases hachées, il ressortait qu’aussitôt arrivés dans la chambre M. Darzac avait poussé les verrous et s’était avancé droit vers la table-bureau, de telle sorte qu’il se trouvait juste au milieu de la pièce quand la chose arriva. La Dame en noir, elle, était un peu sur la gauche, se disposant à passer dans sa chambre. La pièce n’était éclairée que par une bougie, placée sur la table de nuit, à gauche, à portée de Mathilde. Et voici ce qu’il advint. Dans le silence de la pièce, il y eut un craquement, un craquement brusque de meuble qui leur fit dresser la tête à tous les deux, et regarder du même côté, pendant qu’une même angoisse leur faisait battre le cœur. Le craquement venait du placard. Et puis tout s’était tu. Ils se regardèrent sans oser se dire un mot, peut-être sans le pouvoir. Ce craquement ne leur avait paru nullement naturel et jamais ils n’avaient entendu crier le placard. Darzac fit un mouvement pour se diriger vers ce placard qui se trouvait au fond, à droite. Il fut comme cloué sur place par un second craquement, plus fort que le premier et, cette fois, il parut à Mathilde que le placard remuait. La Dame en noir se demanda si elle n’était pas victime de quelque hallucination, si elle avait vu réellement remuer le placard. Mais Darzac avait eu lui aussi la même sensation, car il quitta tout à coup la table-bureau et fit bravement un pas en avant… C’est à ce moment que la porte… la porte du placard… s’ouvrit devant eux… Oui, elle fut poussée par une main invisible… elle tourna sur ses gonds… La Dame en noir aurait voulu crier; elle ne le pouvait pas… Mais elle eut un geste de terreur et d’affolement qui jeta par terre la bougie au moment même où du placard surgissait une ombre et au moment même où Robert Darzac, poussant un cri de rage, se ruait sur cette ombre…

«Et cette ombre… et cette ombre avait une figure! interrompit Rouletabille… Maman!… pourquoi n’as-tu pas vu la figure de l’ombre?… Vous avez tué l’ombre; mais qui me dit que l’ombre était Larsan, puisque tu n’as pas vu la figure!… Vous n’avez peut-être même pas tué l’ombre de Larsan!

– Oh! si! fit-elle sourdement et simplement: il est mort!» (Et elle ne dit plus rien…)

Et je me demandais en regardant Rouletabille: «Mais qui donc auraient-ils tué, s’ils n’avaient pas tué celui-là! Si Mathilde n’avait pas vu la figure de l’ombre, elle avait bien entendu sa voix!… elle en frissonnait encore… elle l’entendait encore. Et Bernier aussi avait entendu sa voix et reconnu sa voix… La voix terrible de Larsan… La voix de Ballmeyer qui, dans l’abominable lutte, au milieu de la nuit, annonçait la mort à Robert Darzac: «Ce coup-ci, j’aurai ta peau!» pendant que l’autre ne pouvait plus que gémir d’une voix expirante: «Mathilde!… Mathilde!…» Ah! comme il l’avait appelée!… comme il l’avait appelée du fond de la nuit où il râlait, déjà vaincu… Et elle… elle… elle n’avait pu que mêler, hurlante d’horreur, son ombre à ces deux ombres, que s’accrocher à elles au hasard des ténèbres, en appelant un secours qu’elle ne pouvait pas donner et qui ne pouvait pas venir. Et puis, tout à coup, ç’avait été le coup de feu qui lui avait fait pousser le cri atroce… Comme si elle avait été frappée elle-même… Qui était mort?… Qui était vivant?… Qui allait parler?… Quelle voix allait-elle entendre?…

… Et voilà que c’était Robert qui avait parlé!…

Rouletabille prit encore dans ses bras la Dame en noir, la souleva, et elle se laissa presque porter par lui jusqu’à la porte de sa chambre. Et là, il lui dit: «Va, maman, laisse-moi, il faut que je travaille, que je travaille beaucoup! pour toi, pour M. Darzac et pour moi!» – «Ne me quittez plus!… Je ne veux plus que vous me quittiez avant le retour de M. Darzac!» s’écria-t-elle, pleine d’effroi. Rouletabille le lui promit, la supplia de tenter de se reposer et il allait fermer la porte de la chambre quand on frappa à la porte du couloir. Rouletabille demandait qui était là. La voix de Darzac répondit. Rouletabille fit:

«Enfin!»

Et il ouvrit.

Nous crûmes voir entrer un mort. Jamais figure humaine ne fut plus pâle, plus exsangue, plus dénuée de vie. Tant d’émotions l’avaient ravagée qu’elle n’en exprimait plus aucune.

«Ah! vous étiez là, dit-il. Eh bien, c’est fini!…»

Et il se laissa choir sur le fauteuil qu’occupait tout à l’heure la Dame en noir. Il leva les yeux sur elle:

«Votre volonté est accomplie, dit-il… Il est là où vous avez voulu!…»

Rouletabille demanda tout de suite:

«Au moins, vous avez vu sa figure?

– Non! dit-il… je ne l’ai pas vue!… Croyez-vous donc que j’allais ouvrir le sac?…»

J’aurais cru que Rouletabille allait se montrer désespéré de cet incident; mais, au contraire, il vint tout à coup à M. Darzac, et lui dit:

«Ah! vous n’avez pas vu sa figure!… Eh bien! c’est très bien, cela!…»

Et il lui serra la main avec effusion…

«Mais, l’important, dit-il, l’important n’est pas là… Il faut maintenant que nous ne fermions point le cercle. Et vous allez nous y aider, monsieur Darzac. Attendez-moi!…»

Et, presque joyeux, il se jeta à quatre pattes. Maintenant, Rouletabille m’apparaissait avec une tête de chien. Il sautait partout à quatre pattes, sous les meubles, sous le lit, comme je l’avais vu déjà dans la Chambre Jaune, et il levait de temps à autre son museau, pour dire:

«Ah! je trouverai bien quelque chose! quelque chose qui nous sauvera!»

Je lui répondis en regardant M. Darzac:

«Mais ne sommes-nous pas déjà sauvés?

– … Qui nous sauvera la cervelle… reprit Rouletabille.

– Cet enfant a raison, fit M. Darzac. Il faut absolument savoir comment cet homme est entré…»

Tout à coup, Rouletabille se releva, il tenait dans la main un revolver qu’il venait de trouver sous le placard.

«Ah! vous avez trouvé son revolver! fit M. Darzac. Heureusement qu’il n’a pas eu le temps de s’en servir.»

Ce disant, M. Robert Darzac retira de la poche de son veston son propre revolver, le revolver sauveur et le tendit au jeune homme.

«Voilà une bonne arme!» fit-il.

Rouletabille fit jouer le barillet de revolver de Darzac, sauter le culot de la cartouche qui avait donné la mort; puis il compara cette arme à l’autre, celle qu’il avait trouvée sous le placard et qui avait échappé aux mains de l’assassin. Celle-ci était un bulldog et portait une marque de Londres; il paraissait tout neuf, était garni de toutes ses cartouches et Rouletabille affirma qu’il n’avait encore jamais servi.