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Aussitôt arrivés au château, nous tombâmes sur Mrs. Edith qui semblait nous chercher.

«Mon oncle ne veut point de moi à son chevet, fit-elle en regardant Rouletabille avec un air d’anxiété que je ne lui avais jamais encore connu: c’est incompréhensible!

– Oh! madame! répliqua le reporter en adressant à notre gracieuse hôtesse son salut le plus cérémonieux, je vous affirme qu’il n’y a rien au monde d’incompréhensible, quand on veut un peu se donner la peine de comprendre!» Et il la félicita d’avoir retrouvé un si bon oncle dans le moment qu’elle le croyait perdu.

Mrs. Edith, tout à fait renseignée sur la pensée de mon ami, allait lui répondre, quand nous fûmes rejoints par le prince Galitch. Il venait chercher des nouvelles de son ami vieux Bob, ayant appris l’accident. Mrs. Edith le rassura sur les suites de l’équipée de son fantastique oncle et pria le prince de pardonner à son parent son amour excessif pour les plus vieux crânes de l’humanité. Le prince sourit avec grâce et politesse quand elle lui narra que le vieux Bob avait voulu le voler.

«Vous retrouverez votre crâne, dit-elle, au fond du trou de la grotte où il a roulé avec lui… C’est lui qui me l’a dit… Rassurez-vous donc, prince, pour votre collection…»

Le prince demanda encore des détails. Il semblait très curieux de l’affaire. Et Mrs. Edith raconta que l’oncle lui avait avoué qu’il avait quitté le fort d’Hercule par le chemin du puits qui communique avec la mer. Aussitôt qu’elle eut encore ajouté cela, comme je me rappelais l’expérience du seau d’eau de Rouletabille et aussi les ferrures fermées, les mensonges du vieux Bob reprirent dans mon esprit des proportions gigantesques; et j’étais sûr qu’il devait en être de même pour tous ceux qui nous entouraient, s’ils étaient de bonne foi. Enfin, Mrs. Edith nous dit que Tullio l’avait attendu avec sa barque à l’orifice de la galerie aboutissant au puits pour le conduire au rivage devant la grotte de Roméo et Juliette.

«Que de détours, ne pus-je m’empêcher de m’écrier, quand il était si simple de sortir par la porte!»

Mrs. Edith me regarda douloureusement et je regrettai aussitôt d’avoir pris aussi manifestement parti contre elle.

«Voilà qui est de plus en plus bizarre! fit remarquer encore le prince. Avant-hier matin, le Bourreau de la mer est venu prendre congé de moi, car il quittait le pays et je suis sûr qu’il a pris le train pour Venise, son pays d’origine, à cinq heures du soir. Comment voulez-vous qu’il ait conduit M. Vieux Bob sur sa barque la nuit suivante! D’abord il n’était plus là, ensuite il avait vendu sa barque… m’a-t-il dit, étant décidé à ne plus revenir dans le pays…»

Il y eut un silence et puis Galitch reprit:

«Tout ceci n’a que peu d’importance… pourvu que votre oncle, madame, guérisse rapidement de ses blessures, et aussi, ajouta-t-il avec un nouveau sourire encore plus charmant que tous les précédents, si vous voulez bien m’aider à retrouver un pauvre caillou qui a disparu de la grotte et dont je vous donne le signalement: caillou aigu de vingt-cinq centimètres de long et usé à l’une de ses extrémités en forme de grattoir; bref, le plus vieux grattoir de l’humanité… J’y tiens beaucoup, appuya le prince, et peut-être pourriez-vous savoir, madame, auprès de votre oncle vieux Bob, ce qu’il est devenu.»

Mrs. Edith promit aussitôt au prince, avec une certaine hauteur qui me plut, qu’elle ferait tout au monde pour que ne s’égarât point un aussi précieux grattoir. Le prince salua et nous quitta. Quand nous nous retournâmes, Mr Arthur Rance était devant nous. Il avait dû entendre toute cette conversation et semblait y réfléchir. Il avait sa canne à bec-de-corbin dans la bouche, sifflotait, selon son habitude, et regardait Mrs. Edith avec une insistance si bizarre que celle-ci s’en montra agacée:

«Je sais, fit la jeune femme… je sais ce que vous pensez, monsieur… et n’en suis nullement étonnée… croyez-le bien!…

Et elle se retourna, singulièrement énervée, du côté de Rouletabille:

«En tout cas!… s’écria-t-elle… Vous ne pourrez jamais m’expliquer comment, puisqu’il était hors de la Tour Carrée, il aurait pu se trouver dans le placard!…

– Madame, fit Rouletabille, en regardant bien en face Mrs. Edith comme s’il eût voulu l’hypnotiser… patience et courage!… Si Dieu est avec moi, avant ce soir, je vous aurai expliqué ce que vous me demandez là!»

XVIII Midi, roi des épouvantes.

Un peu plus tard, je me trouvais dans la salle basse de la Louve, en tête à tête avec Mrs. Edith. J’essayais de la rassurer, la voyant impatiente et inquiète; mais elle passa ses mains sur ses yeux hagards… Et ses lèvres tremblantes laissèrent échapper l’aveu de sa fièvre: «J’ai peur», dit-elle. Je lui demandai, de quoi elle avait peur et elle me répondit: «Vous n’avez pas peur, vous?» Alors, je gardai le silence. C’était vrai, j’avais peur, moi aussi. Elle dit encore: «Vous ne sentez pas qu’il se passe quelque chose? – Où ça? – Où ça! où ça! Autour de nous!» Elle haussa les épaules: «Ah! je suis toute seule! toute seule! et j’ai peur!» Elle se dirigea vers la porte: «Où allez-vous? – Je vais chercher quelqu’un, car je ne veux pas rester seule, toute seule. – Qui allez-vous chercher? – Le prince Galitch! – Votre Féodor Féodorowitch! m’écriai-je… Qu’en avez-vous besoin? Est-ce que je ne suis point là?»

Son inquiétude, malheureusement, grandissait au fur et à mesure que je faisais tout mon possible pour la faire disparaître, et je n’eus point de peine à comprendre qu’elle lui venait surtout du doute affreux qui était entré dans son âme au sujet de la personnalité de son oncle vieux Bob.

Elle me dit: «Sortons!» et elle m’entraîna hors de la Louve. On approchait alors de l’heure de midi et toute la baille resplendissait dans un embrasement embaumé. N’ayant point sur nous nos lunettes noires nous dûmes mettre nos mains devant nos yeux pour leur cacher la couleur trop éclatante des fleurs; mais les géraniums géants continuèrent de saigner dans nos prunelles blessées. Quand nous fûmes un peu remis de cet éblouissement, nous nous avançâmes sur le sol calciné, nous marchâmes en nous tenant par la main sur le sable brûlant. Mais nos mains étaient plus brûlantes encore que tout ce qui nous touchait, que toute la flamme qui nous enveloppait. Nous regardions à nos pieds pour ne pas apercevoir le miroir infini des eaux, et aussi peut-être, peut-être pour ne rien deviner de ce qui se passait dans la profondeur de la lumière. Mrs. Edith me répétait: «J’ai peur!» Et moi aussi, j’avais peur, si bien préparé par les mystères de la nuit, peur de ce grand silence écrasant et lumineux de midi! La clarté dans laquelle on sait qu’il se passe quelque chose que l’on ne voit pas est plus redoutable que les ténèbres. Midi! Tout repose et tout vit; tout se tait et tout bruit. Écoutez votre oreille: elle résonne comme une conque marine de sons plus mystérieux que ceux qui s’élèvent de la terre quand monte le soir. Fermez vos paupières et regardez dans vos yeux: vous y trouverez une foule de visions argentées plus troublantes que les fantômes de la nuit.

Je regardais Mrs. Edith. La sueur sur son front pâle coulait en ruisseaux glacés. Je me mis à trembler comme elle, car je savais, hélas! que je ne pouvais rien pour elle et que ce qui devait s’accomplir, s’accomplissait autour de nous, sans que nous puissions rien arrêter ni prévoir. Elle m’entraînait maintenant vers la poterne qui ouvre sur la Cour du Téméraire. La voûte de cette poterne faisait un arc noir dans la lumière et, à l’extrémité de ce frais tunnel, nous apercevions, tournés vers nous, Rouletabille et M. Darzac, debout sur le seuil de la Cour du Téméraire, comme deux statues blanches. Rouletabille avait à la main la canne d’Arthur Rance. Je ne saurais dire pourquoi ce détail m’inquiéta. Du bout de sa canne, il montrait à Robert Darzac quelque chose que nous ne voyions pas, au sommet de la voûte, et puis il nous désigna nous-mêmes du bout de sa canne. Nous n’entendions point ce qu’ils disaient. Ils se parlaient en remuant à peine les lèvres, comme deux complices qui ont un secret. Mrs. Edith s’arrêta, mais Rouletabille lui fit signe d’avancer encore, et il répéta le signe avec sa canne.