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«Oh! fit-elle, qu’est-ce qu’il me veut encore? Ma foi, Monsieur Sainclair, j’ai trop peur! Je vais tout dire à mon oncle vieux Bob, et nous verrons bien ce qui arrivera.»

Nous avions pénétré sous la voûte, et les autres nous regardaient venir sans faire un pas au-devant de nous. Leur immobilité était étonnante, et je leur dis d’une voix qui sonna étrangement à mes oreilles, sous cette voûte:

«Qu’est-ce que vous faites ici?»

Alors, comme nous étions arrivés à côté d’eux, sur le seuil de la Cour du Téméraire, ils nous firent tourner le dos à cette cour pour que nous puissions voir ce qu’ils regardaient. C’était, au sommet de l’arc, un écusson, le blason des La Mortola barré du lambel de la branche cadette. Cet écusson avait été sculpté dans une pierre maintenant branlante et qui manquait de choir sur la tête des passants. Rouletabille avait sans doute aperçu ce blason suspendu si dangereusement sur nos têtes, et il demandait à Mrs. Edith si elle ne voyait point d’inconvénient à le faire disparaître, quitte à le remettre en place ensuite plus solidement.

«Je suis sûr, dit-il, que si l’on touchait à cette pierre du bout de sa canne, elle tomberait.»

Et il passa sa canne à Mrs. Edith:

«Vous êtes plus grande que moi, dit-il, essayez vous-même.»

Mais nous essayions en vain les uns et les autres d’atteindre la pierre; elle était trop haut placée et j’étais en train de me demander à quoi rimait ce singulier exercice, quand tout à coup, dans mon dos, retentit le cri de la mort!

Nous nous retournâmes d’un seul mouvement en poussant tous les trois une exclamation d’horreur. Ah! ce cri! ce cri de la mort qui passait dans le soleil de midi après avoir traversé nos nuits, quand donc cesserait-il? Quand donc l’affreuse clameur que j’entendis retentir pour la première fois dans les nuits du Glandier aura-t-elle fini de nous annoncer qu’il y a autour de nous une victime nouvelle? que l’un de nous vient d’être frappé par le crime, subitement et sournoisement et mystérieusement, comme par la peste? Certes! la marche de l’épidémie est moins invisible que cette main qui tue! Et nous sommes là, tous quatre, frissonnants, les yeux grands d’épouvante, interrogeant la profondeur de la lumière toute vibrante encore du cri de la mort! Qui donc est mort? Ou qui donc va mourir? Quelle bouche expirante laisse maintenant échapper ce gémissement suprême? Comment nous diriger dans la lumière? On dirait que c’est la clarté du jour elle-même qui se plaint et soupire.

Le plus effrayé est Rouletabille. Je l’ai vu dans les circonstances les plus inattendues garder un sang-froid au-dessus des forces humaines; je l’ai vu, à cet appel du cri de la mort, se ruer dans le danger obscur et se jeter comme un sauveur héroïque dans la mer des ténèbres; pourquoi aujourd’hui tremble-t-il ainsi dans la splendeur du jour? Le voilà, devant nous, pusillanime comme un enfant qu’il est, lui qui prétendait agir comme le maître de l’heure. Il n’avait donc point prévu cette minute-là? cette minute où quelqu’un expire dans la lumière de midi? Mattoni, qui passait à ce moment dans la baille, et qui a entendu, lui aussi, est accouru. Un geste de Rouletabille le cloue sur place, sous la poterne, en immuable sentinelle; et le jeune homme, maintenant, s’avance vers la plainte, ou plutôt marche vers le centre de la plainte, car la plainte nous entoure, fait des cercles autour de nous, dans l’espace embrasé. Et nous allons derrière lui, retenant notre respiration et les bras étendus, comme on fait quand on va à tâtons dans le noir, et que l’on craint de se heurter à quelque chose que l’on ne voit pas. Ah! nous approchons du spasme, et quand nous avons dépassé l’ombre de l’eucalyptus, nous trouvons le spasme au bout de l’ombre. Il secoue un corps à l’agonie. Ce corps, nous l’avons reconnu. C’est Bernier! c’est Bernier qui râle, qui essaye de se soulever, qui n’y parvient pas, qui étouffe, Bernier dont la poitrine laisse échapper un flot de sang, Bernier sur qui nous nous penchons, et qui, avant de mourir, a encore la force de nous jeter ces deux mots: Frédéric Larsan!

Et sa tête retombe. Frédéric Larsan! Frédéric Larsan! Lui partout et nulle part! Toujours lui, nulle part! Voilà encore sa marque! Un cadavre et personne, raisonnablement, autour de ce cadavre!… Car la seule issue de ces lieux où l’on a assassiné, c’est cette poterne où nous nous tenions tous les quatre. Et nous nous sommes retournés, d’un seul mouvement, tous les quatre, aussitôt le cri de la mort, si vite, si vite, que nous aurions dû voir le geste de la mort! Et nous n’avons rien vu que de la lumière!… Nous pénétrons, mus, il me semble, par le même sentiment, dans la Tour Carrée, dont la porte est restée ouverte; nous entrons sans hésitation dans les appartements du vieux Bob, dans le salon vide; nous ouvrons la porte de la chambre. Le vieux Bob est tranquillement étendu sur son lit, avec son chapeau haut de forme sur la tête, et près de lui, veille une femme: la mère Bernier! En vérité! comme ils sont calmes! Mais la femme du malheureux a vu nos figures et elle jette un cri d’effroi dans le pressentiment immédiat de quelque catastrophe! Elle n’a rien entendu! elle ne sait rien!… Mais elle veut sortir, elle veut voir, elle veut savoir, on ne sait quoi! Nous tentons de la retenir!… C’est en vain. Elle sort de la tour, elle aperçoit le cadavre. Et c’est elle, maintenant, qui gémit atrocement, dans l’ardeur terrible de midi, sur le cadavre qui saigne! Nous arrachons la chemise de l’homme étendu là et nous découvrons une plaie au-dessous du cœur. Rouletabille se relève avec cet air que je lui ai connu quand il venait au Glandier d’examiner la plaie du cadavre incroyable.

«On dirait, fit-il, que c’est le même coup de couteau! C’est la même mesure! Mais où est le couteau?»

Et nous cherchons le couteau partout sans le trouver. L’homme qui a frappé l’aura emporté. Où est l’homme? Quel homme? Si nous ne savons rien, Bernier, lui, a su avant de mourir et il est peut-être mort de ce qu’il a su!… Frédéric Larsan! Nous répétons en tremblant les deux mots du mort.

Tout à coup, sur le seuil de la poterne, nous voyons apparaître le prince Galitch, un journal à la main. Le prince Galitch vient à nous en lisant le journal. Il a un air goguenard. Mais Mrs. Edith court à lui, lui arrache le journal des mains, lui montre le cadavre et lui dit:

«Voilà un homme que l’on vient d’assassiner. Allez chercher la police.»

Le prince Galitch regarde le cadavre, nous regarde, ne prononce pas un mot, et s’éloigne en hâte; il va chercher la police. La mère Bernier continue à pousser des gémissements. Rouletabille s’assied sur le puits. Il paraît avoir perdu toutes ses forces. Il dit à mi-voix à Mrs. Edith: