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À ces mots, moi-même qui avais cependant vu et touché l’Australie, je ne pus m’empêcher de frissonner en regardant presque avec apitoiement Robert Darzac, comme on regarde un pauvre homme sur le point de devenir la victime de quelque effroyable erreur judiciaire. Et tous les autres, autour de moi, frissonnèrent également pour lui ou à cause de lui, car les arguments de Rouletabille devenaient si terriblement possibles que chacun se demandait comment, après avoir si bien établi la possibilité de la culpabilité, il allait pouvoir conclure à l’innocence. Quant à Robert Darzac, après avoir monté la plus sombre agitation, il s’était à peu près calmé, écoutant le jeune homme, et il me sembla qu’il ouvrait ces yeux étonnants, extravagants, au regard affolé, mais très intéressé, qu’ont les accusés au banc d’assises quand ils entendent M. le procureur général prononcer un de ces admirables réquisitoires qui les convainquent eux-mêmes d’un crime que, quelquefois, ils n’ont pas commis! La voix avec laquelle il parvint à prononcer les mots suivants n’était plus une voix de colère, mais de curieux effroi, la voix d’un homme qui se dit: «Mon Dieu! à quel danger, sans le savoir, ai-je bien pu échapper!»

«Mais, puisque vous n’avez plus ces soupçons, monsieur, fit-il, retombé à un calme singulier, je voudrais bien savoir, après tout ce que vous venez de me dire, ce qui a bien pu les chasser?…

– Pour les chasser, monsieur, il me fallait une certitude! Une preuve simple, mais absolue, qui me montrât d’une façon éclatante laquelle était Larsan des deux manifestations Darzac! Cette preuve m’a été fournie heureusement par vous, monsieur, à l’heure même où vous avez fermé le cercle, le cercle dans lequel s’était trouvé «le corps de trop!» le jour où, ayant affirmé – ce qui était la vérité – que vous aviez tiré les verrous de votre appartement aussitôt rentré dans votre chambre, vous nous avez menti en ne nous dévoilant pas que vous étiez entré dans cette chambre vers six heures et non point, comme le père Bernier le disait et comme nous avions pu le constater nous-mêmes, à cinq heures! Vous étiez alors le seul avec moi à savoir que le Darzac de cinq heures, dont nous vous parlions comme de vous-même n’était point vous-même! Et vous n’avez rien dit! Et ne prétendez pas que vous n’attachiez aucune importance à cette heure de cinq heures, puisqu’elle vous expliquait tout, à vous, puisqu’elle vous apprenait qu’un autre Darzac que vous était venu dans la Tour Carrée à cette heure-là, le vrai! Aussi, après vos faux étonnements, comme vous vous taisez! Votre silence nous a menti! Et quel intérêt le véritable Darzac aurait-il eu à cacher qu’un autre Darzac, qui pouvait être Larsan, était venu avant vous se cacher dans la Tour Carrée? Seul, Larsan avait intérêt à nous cacher qu’il y avait un autre Darzac que lui! DES DEUX MANIFESTATIONS DARZAC LA FAUSSE ÉTAIT NÉCESSAIREMENT CELLE QUI MENTAIT! Ainsi mes soupçons ont-ils été chassés par la certitude! LARSAN C’ÉTAIT VOUS! ET L’HOMME QUI ÉTAIT DANS LE PLACARD, C’ÉTAIT DARZAC!

– Vous mentez!» hurla en bondissant sur Rouletabille celui que je ne pouvais croire être Larsan.

Mais nous nous étions interposés et Rouletabille, qui n’avait rien perdu de son calme, étendit le bras et dit:

«Il y est encore!…»

Scène indescriptible! Minute inoubliable! Au geste de Rouletabille, la porte du placard avait été poussée par une main invisible, comme il arriva le terrible soir qui avait vu le mystère du «corps de trop»…

Et le «corps de trop» lui-même apparut! Des clameurs de surprise, d’enthousiasme et d’effroi remplirent la Tour Carrée. La Dame en noir poussa un cri déchirant:

«Robert!… Robert!… Robert!»

Et c’était un cri de joie. Deux Darzac étaient devant nous, si semblables que toute autre que la Dame en noir aurait pu s’y tromper… Mais son cœur ne la trompa point, en admettant que sa raison, après l’argumentation triomphante de Rouletabille, eût pu hésiter encore. Les bras tendus, elle allait vers la seconde manifestation Darzac qui descendait du fatal placard… Le visage de Mathilde rayonnait d’une vie nouvelle; ses yeux, ses tristes yeux dont j’avais vu si souvent le regard égaré autour de l’autre, fixaient celui-ci avec une joie magnifique, mais tranquille et sûre. C’était lui! C’était celui qu’elle croyait perdu, et qu’elle avait osé chercher sur le visage de l’autre, et qu’elle n’avait pas retrouvé sur le visage de l’autre, ce dont elle avait accusé, pendant des jours et des nuits, sa pauvre folie!