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Doigts terreux tremblants qui, désormais, apprenaient une science inutile pour eux, comme une musique seulement, désormais.

Et là était la justice: dans la réalité et la timidité de cette joie, à eux et à moi.

Je parus enrôlée pour toujours parmi ceux qui ont l´existence remplie ainsi, qui fondent des écoles et des hospices, échangent de pathétiques visites, ont foi en un avenir social ordonné.

Un fantôme surgit; il va nu-pieds, il a un geste charmant.

François, saint de "ma vallée".

Si cet esprit, le reçoit encore, les grises ironies sont encore toujours négligées.

Comme si j´étais à sa gauche, quand? qui le sait? et comme s´il eût mis avec ses bras en croix sa main droite sur ma tête, et m´eût dit, comme à son Bernard:

"Andando e stando".

En allant et en demeurant, amour.

Joie de donner, joie de recevoir, sans savoir rien de demain, sans rien attendre.

Là où il y avait eu matière de roche grise, uniforme et toute brûlante, voici de frais ruisseaux, des jeux de couleurs.

Avec Saint François se sont rendus sensibles les printemps d´Italie. Les murs se sont peints. Par les landes, on a chanté.

O Sienne! O Ravenne!

Liberté mystique. Sagesse d´espace de ma terre, réalité inépuisable et universelle.

Andando e stando.

Ce fut en ce temps-là que mon livre courut par le monde.

Et il y a une zone trouble-ai-je dit que je le défendais?-détachée de moi, ma valeur, et le chiffre obscur débattu âprement: moi qui m´étais mise à nu pour me plonger neuve dans les eaux et dans le vent, je restais presque sans souffle. Zone trouble qu'on appela presque glorieuse, zone amère, saveur ingrate.

Les femmes, celles qui écrivent, pourquoi ne comprenaient-elles pas?

Je n´ai pas oublié, mais qu´elles soient pardonnées je pleurai sur elles.

Où j'arrivais sans date, là seulement je vivais.

Postérité. Pages lues avec certitude d´esprit, lointain message, le nom importe peu, puisqu´on ne l´avait jamais entendu auparavant, parole qui s´inscrivit pour toujours. Je suis peut-être ensevelie depuis des siècles. Et quand je suis rencontrée sur les chemins de la vie par ceux qui m´ont lue ainsi, on me trouve réelle et lointaine comme la figure d´une fresque ou d´un sarcophage, ou l´héroïne d´un poème, Calipso ou Antigone ou Iseult. Des vieillards et des enfants me regardent avec un identique abandon. Des mères s´informent de mon enfant comme s´il devait avoir éternellement sept ans. Elles ont veillé avec mon livre sur les genoux. Elles ont cru. Combien t´ont bercé, mon fils?

Des hommes passaient, des hommes fiers, des hommes dégourdis, des hommes simples.

Ils me considéraient en silence dans ma fidélité inouïe à mon ami pauvre et difforme.

Un seul, une fois-il avait une voix qui vibrait intense et très belle, je n´en entendis jamais de pareille, suspendue dans l´air du soir, palpitante puissance-osa me dire: "Le bonheur que vous donnez ne vous fait-il pas peur? C´est un don terrible, et celui qui l´a obtenu ne le sait pas."

Où est-il? Comment est aujourd´hui sa voix, que je n´ai plus jamais entendue? Qu´est-ce que cette lucidité de mon souvenir, cette brise que je soulève si je veux à tant de temps de distance, paroles qui devant moi seule, alors, s´élevèrent dans le soir, et celui qui les prononça, s´il doit les retrouver ici, ne saura peut-être plus qu´elles furent de lui.

Tant de caravanes!

Longues lignes équivalentes.

Elles vont et il n´est pas vrai que la terre tourne: tout est rectiligne, il n´y a pas de tourbillon, tout est séparé, bien que tout s´équivaille, caravanes, tant de caravanes, sourd trépignement de pieds, magnétisme pesant, et seulement la nuit, quand s´allument les torches, dans l´ondoiement momentané semblable au sirocco confondant les îles et les mers, moi, menue, éperdue, je retrouve vertigineusement le sens des sphères, libre, lancée en prière; que demain ma danse s'enlace, entre mon tourment serré et l'âme joyeuse du soleil, ô silence, silence qui attend!

Comme il était attentif, paupières baissées, le regard de Psyché, le jour où je l´interrogeai!

J´avais navigué de longues heures avec le souci unique de la revoir. M´émerveillant en moi-même d´être secourue par le souvenir d´un marbre à mon retour des pays détruits, les yeux lourds de tant d´épouvantes d´autrui, épuisée dans tous mes membres et dans mon coeur.

Le bateau qui me ramenait traînait pour toujours, pour moi, sur le rivage, des visions de ruines. Une route de fer et de cailloux bouleversée, interminable, parcourue sous la lune, avec les pieds blessés parmi les remous d´écume autour des écueils d´âpre enchantement, et l´aboi des chiens à 1´approche de chaque village effondré, avec le parfum des fleurs d´orangers et la puanteur des cadavres. Une soif atroce, une autre nuit; nous-mêmes, sur le plancher d´un wagon à bestiaux dans une gare, et des voix à l´agonie sortant des baraques et des ambulances, implorant quelque goutte à boire; le visage des enfouis vivants, le visage d´un petit, déterré au bout d´une semaine, qui semblait devoir tomber en poussière, si l´on soufflait dessus; les éclats de rire puissants de ceux qui avaient déjà oublié la catastrophe, les taches de soleil sur les ruines, et encore le doux et amer ondoiement de l´azur, et encore des noms doux et amers, Scylla, Palmi, et les ombres touffues des vergers d´orangers et les antiques bois d´oliviers et la haute blancheur de l'Aspromonte, solide image d´éternité.

Paupières abaissées, le sein brillant, Psyché écoutait. J´étais devant elle et l´angoisse continuait. J´étais devant elle comme une chose venue d´une plus grande distance que je ne croyais. Déjà j´oubliais le navire et les terres bouleversées-et l´angoisse augmentait. Une passion, une désolation plus secrètes. Je sentais le calme revenir sur les mers, les ruines sur le rivage se recouvrir déjà de verdure, et de nouvelles catastrophes se préparer, des guerres descendre sur la race humaine provisoire… Psyché, Psyché! Son torse brisé et parfait, comme je l´avais convoité, resplendissait. Évanouie, toute mémoire de mythe. Mais forme de conscience ineffaçable, voici, la statue récréait pour moi l´atmosphère de spasme concentré d´où elle était sortie.

Ainsi elle me répondait.

Un invisible surgeon d´eau vive nous transformait l´une en l´autre. Matière taillée au ciseau, elle redevint pendant quelques instants animée; moi, je me sentis composée en lignes souveraines, vertu et génie exprimés musicalement, hors de l´histoire et de toute espérance…

(Je dois mourir. Tant que je saurai garder en moi seule le souvenir de cet instant, je serai immortelle. La divinité nous touche; elle n´hésite pas à entrer en nous, parce qu´elle connaît que nous ne pouvons pas nous détacher de ce qui nous fut donné de plus grand. Poids insupportable de ce qui fut plus léger et nous enleva tout fardeau, poids à jeter puisque je dois mourir, âme, beauté révélée).

LA FABLE

Ai-je peur? Je n´eus pas peur, alors.

J´invoque, pour qu´elles continuent à m'aimer, les femmes douces et pures que j´ai sur la terre: le visage rose et mélancolique de ma soeur, la dernière-née de mon père et de ma mère, qui a maintenant des fillettes semblables à ce qu´était celle qu´encore en de certains songes heureux je revois et caresse, chère tendresse: le visage d´une jeune amie qui fait, quand il m´apparaît, que les harmonies reviennent, même aux heures les plus dures, tant elle est image et essence de Muse, tant elle entend et soulève la vie: et d´autres visages encore, attentifs et fidèles; femmes, mystères que je ne tente pas de déchiffrer, les plus saintes comme les plus séduisantes…

Cela commença puérilement comme commençait le printemps: des voix d´oiseaux sur la colline me réveillaient à l'aube, vibraient neuves; jamais les variations du ciel de mars ne m´avaient autant émue; ingénue et docile, une force dans l´air semblait à toute heure me prier et se cacher.