La fable était blonde. Une couleur chaude se mouvait sur toutes choses. Quelqu´un, arrivant chaque jour, me couvrait de fleurs, disait: "Viens", me conduisait en courant à la digue verdoyante et silencieuse, chantait. Deux points d´or dans les yeux, un pli violent et lumineux dans ses cheveux.
Amour, voix au lent essor!
Long rayonnement des regards, et sans qu´une seule de ses boucles touchât mon front, si je fermais les yeux une fête resplendissante demeurait sur mes cils.
Baisers sur mes mains, prolongés. Et ses doigts plongés dans ma chevelure, profondément, comme le vent dans les racines.
Plus près, plus près!
Le monde est transfiguré. Les sylphes règnent. Quelqu´un me presse la bouche avec sa bouche, en ce vaste frisson d´innocence, oh! lumières d´or, quelqu´un qui est femme comme moi, et enfant.
"Femme"!
Dieu ne mit pas la peur en moi.
Dieu a toujours voulu, dans son terrible coeur, m´appeler loyale.
Dieu qui seul supporte mes larmes, mes cris déchirants, la misère et la dévastation qui sur mon visage se montrent parfois comme sur une lande battue par sa colère nocturne -, lui seul aussi sait si j´ai été, si je suis digne d´avoir accepté son pacte pour l´éternité.
Ma voix ne suffit pas-que ne puis-je l´accorder sur des cymbales résonnantes, sur des cymbales éclatantes, sur la harpe ou sur le cistre-pour attester que dans chacune de mes audaces, j'eus autant de gloire et de félicité que j´eus de peine. Par contre, ce visage même quand il est séché de larmes, mon aspect, suffit pour que je connaisse le soleil et que j´en sois pénétrée et sache les grands bonheurs, elle suffit, cette pointe de rose sous l´aile d´argent de mes cheveux lourds. Qui me voit éprouve un plaisir fort, de haute prairie. Les années lointaines et hier encore tacitement m´ont recouverte d´un brillant émail. Pour ce pouvoir matinal qui resplendit sur moi, comme sur une gentiane poudrée de frimas, je m´aime pour cela, ce pouvoir matinal, illimité, entre toutes les fantaisies de la création la plus magique. J´aime ma nature féminine, puissante et reconnaissante. Mais heureux le mâle! Portant sous le ciel son masque méprisant, l´homme me rencontre, m'abat, jouit de moi renversée, de moi, noblesse douce de formes, bonté douce de pétales. Heures de fête parmi les blés mûrs et les abeilles joyeuses de miel. Qui des deux s´approche le plus de l´infini? La femme dans l´étreinte, couchée sur le dos, n´a presque plus de regard et, si elle l´a tout de même ouvert en une attente profonde (la mort, la mort peut venir, elle nous trouvera attentifs et beaux et nous ne fuirons pas), l´homme est toujours plus fortuné, qui la contemple faite à la semblance de suaves nuées pour lui sertie en terre. La joie rit dans ses yeux. Par les blés mûrs ou les chênes et les pierres et les eaux, sous les roses de l´aurore, une épaule de blanche nymphe secrète est parole impérissable.
"Tu ne peux pas savoir ", disait la créature aux yeux d´or.
Elle se croyait en possession d´un coeur viril et elle s´était vraiment façonnée suivant une étrange ambiguïté sur le simple indice peut-être du timbre de sa voix, peut-être de sa silhouette rigide. Elle s´était façonnée et agissait. Avec une volonté d´homme ou d'ange rebelle, avec une force, presque, de damné-mais moi, personne ne pourra jamais juger si plus démente ou plus voyante, j´étais touchée, au contraire, de ce qui en elle permanait d´identique à ma substance. Je tentais de la persuader de mon côté. "Tu ne sais pas combien ton amour est différent, quoi que tu fasses, de l´amour que les hommes peuvent me donner. Comme ta caresse est légère. Tu ne me pénètres pas, mais tu m´approches-comme jamais aucun homme. Je te cède avec une crainte sincère, tu as un petit nom qui sonne comme le mien d´autrefois, et une tendre rougeur sur la joue, si tu te recueilles à mes pieds. Tu te lèves, chose vivante, et tes lèvres ne se glacent pas, comme à celui qui me désire. Tu es tissée de chaleur et tu es encore semblable à une colonne d´eau transparente, attirante. Tu ne sais pas combien nôtre est cette allégresse et combien nôtre cette mélancolie, ainsi absolue, que nous gouvernons, parce que nous avons des ailes…"
Nous nous agitions sous l´immense cloche aveuglante du ciel; notre réciproque initiation nous donnait de clairs yeux héroïques.
J´appris, amour, que ton mystère n´est pas dans la loi qui perpétue l´espèce.
Plus haut, indifférent, extatique.
Je baise une créature parce que ce m´est une joie de la savoir belle sous le ciel, parce qu´elle m´arrête un moment dans ma marche, dans ma pensée, et que, pendant un moment, tout ce que je suis je le lui donne en la baisant.
Et celle-là était le symbole de l´enfance et de la course et de la ravisseuse Echo.
La vilenie mentale de tout être vivant autour de moi me fit horreur. Et je la sentis en même temps fatale, je pleurai. J´avais 1´âge de celui qui pleura dans le jardin de Getsémané. La passion s´aggrava, l´or de la fable s´élargit en pourpre.
Sang, angoisse tourbillonnante, sang, qui me sauvera?
Et les veines pesantes, brûlantes, implorent un soulagement.
Rien de plus saint qu´une nudité qui brûle et frissonne et se tend comme le manteau des saisons.
Fais-moi mourir!
Fais-moi mourir, qui que tu sois. C´est l´heure que ma chair ne pouvait plus supporter davantage, l'heure qui se préparait mais que je n´attendais pas-les cadavres fermentent là-bas dans les ruines, et une statue resplendit comme un phare.-Fais-moi mourir, qui que tu sois; indicible est cette nécessité que tu me couvres, ô chaleur, ô frisson, près, plus près! Tu as raison, même si tu te trompes, qui que ce soit a raison, que sa main soit lourde ou légère, qui, me cueillant à cette heure, me soumet et me console, nudité contre nudité, frisson stérile et vaste, c'est l´heure, les sens se dissolvent enfin, ils jouissent et se pâment non plus asservis à la nature, mais nature eux-mêmes ineffablement, sous les ailes d´aigles de l´oubli et de la folie.
Plus haut que tout rocher, des ailes suspendues pour le salut.
Cela se nomme oubli et folie, là où est la terre et sa souffrance: où moi-même je languis, fille de femme, pour que toutes ces créatures se comprennent (hélas!) et je fonds en larmes vaines, et les vallées et les lacs pourtant ne se remplissent pas, et je tords mes bras cruellement jusqu´à désirer de ne plus jamais voir les étoiles, jusqu´à blêmir si une moisson de lys tombe sur mes chairs, moisson gélide qui se dressait sous le soleil pour la joie de tous et de personne. Oubli et folie sur la terre. Où le bois flambe dans les cheminées, où il y a des forêts et de rudes fruits de pins, où il y a des tombes. Tombes blanches parmi de grands buissons de fleurs rouges tout le long des chemins déserts des îles vertes et dorées, ou près des cèdres et des oliviers. Cimetières parfumés de romarins, bourdonnants de guêpes, profil d´un peu de monde gris sur un peu de ciel limpide. Où il y a des journées de vent lucide, et sur la dune hurlante, le sable tourbillonne parmi les chardons bleus. Et des temples, blonde pierre taillée et édifiée par des mains grecques, charme du traversin incrusté d´algues, temples dorés dans l´atmosphère mouillée qui resplendit comme un regard en délire, temples, cimes de beauté.
Terre, comme tu es belle! Les soirs où tu m´apparais impénétrable, avec ton sillage infiniment délicat, et en même temps infiniment violent, parole sans syllabe, les soirs que ta chaleur s´enténébrant dans les vallées et sur les lacs se rit, oh! exquisement, de toute humaine éloquence, ces soirs me donnent, eux certes, de pouvoir te saluer ainsi, âme suspendue à un baiser.
La terre veut des baisers, plage insuffisamment aimée.