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Dans la chambre perdue d´hôtel meublé où je fus laissée seule, des cris convulsifs me parvinrent, d´une créature, d´une femme une soeur? Petit à petit, ils s´apaisèrent.

Les soirs descendent sur ma liberté.

Je violais, avec mon amour, la douleur de l´homme. J´ajoutais à son Dieu le mien.

Quand, à travers les âges, l´homme a dit qu´il aspirait à posséder l´éternel féminin, il s´est trompé lui-même: ce fut la plus grande et la plus belle erreur qui se soit formée dans sa conscience. Que peut-il faire d´une force créatrice intégrante, lui déjà si grevé et tourmenté? Noli me tangere. Un seul, oui, se mit réellement en posture d´écouter et de connaître, et Diotime lui répondit. Socrate était-il jeune, alors? Il y a un point, un moment de l´existence intacte, qui, unique, rend le mâle capable de m´accueillir comme esprit. L´initié adore toute la souffrance qui m´a faite riche; il peut l´adorer, tissée ainsi dans la douceur de ma chair et dans la dignité de ma pensée, j´exalte pour lui la plénitude de la vie, la sagesse dernière de la vie, et il sent que je m´appartiens, mon don et le sien peut-être nous surpassent…

Espaces ineffables!

Derrière nous restent toutes les choses qui se reproduiront, les choses âpres, les choses passionnées, les choses brûlantes.

Je retournerai à elles, j´y retournerai irrésistiblement, et vers elles se dirigera avec une dolente fierté le vierge jusqu´à hier, à la voix de cristal, qui ne me retiendra pas.

Désunis, esprits revenus pour toujours l´un de l´autre.

Plus que jamais, les tristes hommes accomplis diront à mon apparition "Trop tard!" Ils diront: "Nous t´avons trop attendue. Maintenant, nous nous vengerons sur toi de tout ce que nous n'avons pas reçu des autres." Et ils ajouteront, en manière d´aumône lasse: "Tu aurais dû naître homme, tu aurais été ou un saint, ou un châtiment de Dieu…"

Et, voici des croupes de montagnes brûlées, d´amples lignes simples, des passages et des passages, des saisons qui retardent et des saisons précoces. Voici des jardins, des fontaines, des magnolias en fleurs et aussi des rêves de pierres grises, des châteaux gris à travers les branches dépouillées étincelantes de pluie contre le soleil, comme de prodigieuses toiles d´araignée. Voici des fleuves sur lesquels naviguent insensiblement de grands nénuphars de glace. Et des routes, des routes, des routes.

Fatigue et ennui dans les rides du monde, et immense, grotesque sottise.

Pouvoir le guérir, faire naître en lui des expressions puissantes, générosité et pensée.

Mon impétueuse fantaisie est telle que je soupçonne presque que ce sont ses fruits, ces bénédictions que je vois de temps en temps s´élever comme des vapeurs ou s´étendre comme des champs de lin azuré, ses fruits, inventions de son désir, ces actes et ces affections qui délicatement viennent à ma rencontre, souriant de fraîche finesse ou inspirés par une haute intuition, amitiés, austères fraternités, rapports pleins de timidité ou d´abandon: et d´autres où je suis reine, où j´impose des sensations de grandeur, oh! simplement parce que je suis humaine, et où je recueille des merveilles de dévouement, larmes d´âmes sincères, baisers sur ma main muets, rapides, paroles brèves d´harmonie, bénédictions, bénédictions!

Comme si elles descendaient du génie de l´antique choeur tragique ou d'un chant de Leopardi… Comme si elles étaient de douces voûtes de cloîtres parmi les lourdes bâtisses des villes. Cette marée urbaine qu´il me semble parfois effleurer de ma seule dépouille et avec mon vain désir de mort, disparaît. L´onde est en moi, dans la sensibilité qui atteint tout, que moi, comme si j´étais une millénaire, j´ai affinée pour toute vérité de création, pour les dons comme pour les offenses,Seigneur.

"Seigneur, faites-moi devenir grande et brave", priais-je étant enfant.

Les profondes compensations, les guirlandes d´étoiles me viennent, à moi fugitive, à moi par les routes sauvages.

Sous des formes primitives, nettes, suscitées pour moi seule.

Joies pour toujours.

Elles viennent comme les renaissances après les cycles les plus minables et les pires.

Absoute, reconsacrée, la simplicité héroïque de l´être féminin, sans nom ni âge, va libre, hardie, riante.

Eclatantes rencontres de beaux visages mâles, ferme beauté de physionomies imprévues, sursaut secret à l´avertissement instantané du désir viril, sursaut si semblable au frisson mortel de la volupté, instinct de fuite, anxiété d´être poursuivie, merveilleuse violence de magie, homme et femme, plantes de forêts, par un seul vent surprises et secouées.

Torses d´athlètes harmonieux, formes vivantes, sacrées comme des bronzes immortels.

Sous les habits du gentilhomme ou sous les loques du mendiant, magnificence tacite.

Tel que je caresse-durant une heure, durant mille, durant un temps innombrable-comprend-il que j´apporte à cet acte le même coeur illuminé qu´en mes plus solitaires contemplations? Il y a des plages ou personne avant moi ne s´est arrêté pour élever son hymne, et il y a ce corps parfait d´Adam dont la valeur me conquiert vraiment moi seule, par sa sûre correspondance avec l´âme qui y habite, dans l´oeuvre, dans le sommeil, dans l´attente, ce riche corps si fort, si fervent, si chaud, touffe d´herbes odorantes, architecture de noblesse essentielle, Adam, Adam, baiser solaire!

Toute, je me sens fleur, plongée dans la luxuriante nature. Durant une heure, durant mille, durant un temps innombrable…

Puissance divine de joie sous le ciel, divine splendeur des motifs de joie!

Prodigieuse balance, si la mémoire est honnête!

Ce que superbement j´atteste.

Par toutes les choses horribles que j´ai vues et sues, moi qui ai payé pour tant de femmes, moi sur qui l´homme s´est vengé de tant de femmes. Par les meurtrissures que le dément laissa sur mes membres blancs, que je regardais stupéfaite, et il éclatait d´un rire strident et sinistre et lançait des injures et des crachats. Par les roses qui furent déchirées avec mépris sur le bord de ma robe. Moi qui étais la vie et qui ai su jusqu´où va l'homme quand il hait la vie.

Prodigieuse balance, si la mémoire est honnête.

Je sortis un jour d´une prison où, à travers les barreaux, un visage accablé de malheur m´invoquait, souverain visage qui me demandait pardon, cher, ah! si cher visage retrouvé et pour toujours reperdu! Ma solitude me parut plus horrible que cette prison même où l'on gémissait et où au moins il y avait la compagnie de quelque geôlier. L´air transparent, le beau septembre, la gloire candide d´une montagne à l´horizon, et moi sur la place, sous le bruissement des platanes, au bout de la petite ville inconnue, moi avec personne, libre de mourir, libre de vivre, dans le vent, le vent bon sur mes cils encore humides. Était-ce l´aboutissement de toute mon existence ou le sceau venu à l´improviste? Il n´était pas en mon pouvoir de le refuser. De l´invisible, en un temps reculé, une voix m´avait bien dit: "Souviens-toi que tu as écouté ta loi." Oui. Effrayante autour de ma tête, l'immensité de l'air peuplée de mots que seule j´entends. Pourtant, ainsi jetée hors de l'humanité, si l'humanité est un bien et un secours tangible, ma déroute eut l'éclatant aspect de la paix. (J'ai vu une seule fois, dans un pli profond autour de la bouche d'une grande morte, quelque chose d'aussi riche et d'aussi étrange.) Et la montagne à l'horizon fut inondée de rose, parce que c'était l'heure du couchant; le vent suspendu, le jour sans avenir oscilla en solitude pendant je ne sais quelle longue heure encore. Derrière moi, le môle de la forteresse, le signe de ce qui se tente ici-bas en fait de méchanceté et ne s'accomplit jamais réellement. Le frère condamné se recueillait certes en une irréelle suavité, comme baisant encore mes mains à travers les barreaux. La nuit descendait sur lui consolé, même si ce devait être la dernière de son expiation. Et je sus ce que ne sait pas celui qui se suicide. La calme noyade des étoiles filantes dans les nuits d'été peut seule en donner l'idée. Elles raient le firmament, sur leur mol sillon s'élance de la terre le désir d'infinies constellations d'yeux, le désir, le voeu… Rien de plus vivant.