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Soir de septembre, où je ne vécus pas ma douleur! Celui qui s'éloignait désespéré et convaincu, ne fut pas même suivi par ma pensée silencieuse. J'étais abattue par le sentiment d'une autre souffrance, la surprise devant le tourment imprévu de celui qui semblait vouloir s'abîmer dans les oreillers, cachait son front, me montrait seulement ses épaules et ses mains contractées. Maladie jusqu'alors inconnue, que je respirai: atroce jalousie du passé, soif de fantômes! Et il râlait: "Il est beau, tu dois l'avoir aimé plus que moi!" Ah! homme! homme! Je venais de limbes où les mouvements irréfléchis de l'instinct m'avaient pendant une si grande partie de ma jeunesse comblée de dégoût; maintenant, me croyant lancée dans la sphère des vivants, dans le domaine des rares qui savent ou cherchent à savoir pourquoi ils sont nés, je voulais justifier même ce qui me frappait avec le moins de générosité. Laissez-moi dire, laissez-moi dire! Il y a une créature fraîche comme l'instant qui fleurit sur le pré ou sur la grève, qui n'a rien derrière soi, ni appui, ni exemple, et qui avance son front arrondi. Que devrait lui importer l'instant d'avant et celui d'après? Elle est faite pour se donner et pour chanter la joie que ce don vient faire resplendir sur le visage du monde. En quoi peuvent la toucher histoire et religion, puisqu'elle est l'innocence? Les ailes violettes des cyclamens, les ailes des coquillages lui suffisent. Mais celui que son sein nu trouve plus doux que n'importe quelle rivière caressée par le soleil couchant en un pays heureux n'est pourtant pas satisfait. Peut-être a-t-il tort, mais la force qui le pousse à se tourmenter, la terrible manie aux aspects infinis terrasse son âme, et la fraîche créature au front arrondi comprend cela, elle est intelligence et amour, elle souffre mais comprend, lys de la vallée, vêtu de lumière, alouette sauvée de tout ouragan, faite pour chanter et contrainte à méditer, à cultiver en elle-même des facultés sans grâce, ô poussiéreuse mémoire, ô asthmatique logique! elle est contrainte à analyser et à noter, à trouver un sens aux mots abstraits, un sens à la catégorie des valeurs, à l'ascète comme au guerrier… Ascète et guerrier, pour vous! Vous affirmez que vous êtes esprit et que je suis nature, et peut-être vous ne vous trompez pas. Si, en m'immolant avec la ténacité d'un effort dont vous ne saurez jamais l'âpreté, je vous prouve que je peux reconnaître tout de vous, en me servant des mots mêmes que vous vous êtes façonnés, chaînes de plomb pour moi, si je vous donne la preuve lucide que ma vie de femme fut attentive à vos manières et à vos fins, ne reconnaîtrez-vous pas, en toute loyauté, les deux termes que dans votre rude orgueil vous déclariez inconciliables? Puis, vienne, peut-être un matin, peut-être un soir, comme la soudaine fleur blanche de vesper dans un ciel de violettes et de flammes, quelqu'un avec un rire étincelant, une jeune merveille, une double divinité, et nous sommes anéantis dans mon étreinte, ô saveur de vie conclue!

Ailes de cyclamens, ailes de coquillages; forêts à l'ombre blonde, dunes lunaires! En un jour de tempête, sans trace au ciel de couleur, j'aperçus à l'improviste la plus jolie irisation dans un peu d'écume que l'onde avait laissée sur la plage. Miroir instantané du soleil caché, évanescentes images de l'invisible!

Braises incandescentes à l'extrême horizon, dans les couchants de toutes les saisons, pour mes mains, amour!

Un pont.

"Pour toi", disais-je à l'image de mon enfant. Mais ce n'était pas pour lui seulement, et déjà je murmurais: "Si lui ne m'entend pas, ce que je fais ne sera toutefois pas vain."

Je revois cette époque, au delà du pont. Tout ce que je n'écrivais pas: l'automne ailé, la floraison des colchiques, le désert à losanges tamisés, les agneaux qui naissaient parmi les troupeaux nomades. Certaines heures suspendues, comme renversées dans le temps, la terre envahissant le ciel. Le rythme qui me dominait à mon insu, toutes mes énergies: rythme qui certes promettait de se révéler à moi, fût-ce dix ans plus tard, promettait de ne pas s'évanouir, même si je cessais de l'écouter: qui n'était déjà dans mon allure et dans mon regard, en ces dernières promenades par les routes dominant Rome. La ville où mon destin paraissait gravé en quelques rudes traits: dévouement à mon oeuvre, dévouement à mon ami: puis, peut-être, autour de ma tête lasse, les bras de mon enfant. Rudesse, obscurité, courage. Certaines après-midi grises descendaient envahir la maison solitaire, la pluie changeait les champs en nuages, le froid interrompait ma fatigue… Frissons, peut-être aussi de fièvre. Si quelqu'un m'avait dit: "Qu'as-tu?" je n'aurais pas entendu. "Pourquoi ton coeur bat-il si fort? Que vois-tu? Il semble que tu n'aies jamais connu ni douleur ni joie, ou que tu aies tout oublié. Il me semble que ta vie ne soit qu'une dépouille, quelque chose qui ne t'appartient pas, et ta respiration a la violence de l'eau et du vent…"

LE PÉCHÉ

Sept ans. Un arbre d'épais feuillage.

Les feuilles, jours, heures, instants, ont bu toute la lumière, toute, se sont toutes laissé pénétrer par l'air. Rien qui n'ai été pleinement senti et consumé.

Qu'est-ce que la nostalgie? Le rappel désolé d'émotions interrompues, tronquées, de choses entrevues et non possédées, de lieux et d'âges où nous ne pûmes pas nous donner tout entiers. Je n'ai pas la nostalgie de mon enfance parfaite; j'ai celle de l'adolescence qui m'a été ravie. Les mois où j'élevais mon enfant, si je les revis en pensée, passionnés et radieux, ce serait un sot sacrilège que de les regretter. Ainsi, je ne souffre pas, maintenant qu'il est clos et lointain, en pensant au temps où André eut, par moi, sa vie satisfaite et pleine, quand je le sentais heureux et que j'en étais ivre, quand j'étais venue, oh! instinct de la femme, instinct d'abnégation, pour le délivrer des monstres du doute, de la terreur du passé, à en empoisonner mes veines, créées saines. Que, par le spectacle de mon tourment, il se sentît plus certain de sa propre joie, puisque telle était la joie de son âme! Un râle qui lui échappa une fois devait en engendrer tant dans ma poitrine! Et je lui disais: "Si quelqu'une des femmes que tu as désirées, si la dernière, tiens, apprenait de moi à t'aimer et s'offrait à toi, ô ma vie, je ne ferais pas un mouvement pour te retenir…" Je lui disais: "Comment puis-je me faire l'illusion de te suffire et croire que tu aies oublié toutes les autres, celles qui ne se sont pas données et pourtant affirmaient qu'elles t'aimaient, celle qui était vierge et avait des joues de pêche, cette autre qui était une fastueuse dominatrice, et celle-là, celle-là qui est près d'ici, qui a l'arme que je ne possèderai jamais, l'ironie sur ses lèvres minces?" Je les plaignais de n'avoir pas su l'adorer. Elles vécurent dans mes hallucinations, elles qui m'ignoraient, elles vécurent exaltées et béates, tantôt l'une, tantôt l'autre, me remerciant ou me méprisant. Moi qui, dans mon coeur, n'avais jamais absous ma mère d'avoir par jalousie perdu son empire sur soi-même, un nombre infini de fois, je me sentis au milieu de mon sommeil réveillée en torture, appelée par une eau profonde pour me soustraire aux flammes, comme elle, le matin où elle s'était jetée de la fenêtre sur le pavé… "Il fallait résister, maman!" lui avais-je férocement crié quand elle fut sauve de corps, mais pour toujours frappée dans son esprit. Ah! tout ce que sans pitié, inexorable comme la lumière, prétendit en moi le sentiment de la force humaine, tout me vint en son temps, proposé par le destin; je dus, avec moi-même, avec mon sang, démontrer tout possible.

Ne jette pas la pierre, jeunesse sans péché!