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— On attend, répliqua-t-il.

* * *

Et donc, malgré un déjeuner délicieux suivi d’une petite virée très originale, nous étions revenus à la case départ. Plusieurs jours passèrent selon la même routine ennuyeuse. Le sergent Doakes ne semblait pas prêt à me lâcher les baskets avant ma complète transformation en un gros plein de bière se confondant avec le canapé, et je ne voyais d’autre solution que de continuer à jouer à cache-cache ou au pendu avec Cody et Astor, et à exécuter ensuite des baisers d’adieu outranciers avec Rita, à l’intention de mon traqueur.

Puis la sonnerie du téléphone retentit en plein milieu de la nuit. C’était un dimanche, et je devais partir tôt au travail le lendemain matin : je m’étais entendu avec Vince Masuoka, et c’était mon tour d’apporter les doughnuts. Et voilà qu’à présent le téléphone sonnait le plus effrontément du monde comme si je n’avais pas le moindre souci et que les doughnuts se livreraient d’eux-mêmes. Je jetai un coup d’œil à mon réveil : 2h38. J’avoue que j’étais d’humeur passablement grincheuse lorsque je décrochai le combiné.

— Laisse-moi tranquille, dis-je d’emblée.

— Dexter. Kyle n’est plus là, m’annonça Deborah. Elle avait l’air exténuée, extrêmement tendue, et semblait ne pas savoir si elle avait envie de tuer quelqu’un ou de pleurer.

Je mis plusieurs secondes à mettre en route mon esprit surpuissant.

— Euh, tu sais, Deb, répondis-je. Un type comme ça, peut-être que ça vaut mieux pour toi…

— Il a disparu, Dexter. Il n’est plus là. Le… le mec l’a enlevé. Le mec qui a fait ces trucs à l’autre mec, bafouilla-t-elle. Et même si j’avais l’impression d’avoir été catapulté dans un épisode des Sopranos, je comprenais parfaitement ce qu’elle voulait dire. L’individu qui avait transformé la Chose sur la Table en une pomme de terre capable de chanter des tyroliennes avait enlevé Kyle, vraisemblablement pour lui faire subir le même traitement.

— Docteur Danco, précisai-je.

— Oui.

— Comment tu sais ? demandai-je.

— Il m’avait avertie que c’était possible. Kyle est la seule personne qui sait à quoi ressemble ce type. Il se doutait qu’à peine Danco apprendrait qu’il était dans les parages, il tenterait sa chance. On avait convenu d’un… d’un signal, et… Merde, Dexter, ramène-toi ici. Il faut qu’on le trouve, lança-t-elle avant de raccrocher.

C’est toujours sur moi que ça tombe, n’est-ce pas ? Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement gentil, mais bizarrement c’est toujours moi qu’ils viennent trouver avec leurs problèmes.

Oh, Dexter, un affreux monstre inhumain a enlevé mon petit ami ! Merde, moi aussi j’étais un affreux monstre inhumain. Cela ne me donnait-il pas le droit de me reposer un peu ?

Je soupirai. Apparemment non.

J’espérai que Vince comprendrait pour les doughnuts.

CHAPITRE XIV

Il me fallait quinze minutes en voiture pour me rendre chez Deborah depuis mon appartement de Coconut Grove. Pour une fois, je ne vis pas le sergent Doakes dans mon rétroviseur, mais il utilisait peut-être l’un de ces vaisseaux invisibles des Klingon. Quoi qu’il en soit, la circulation était très fluide et je réussis même à avoir le feu vert sur la US1. Deborah habitait une petite maison de Medina Avenue dans Coral Gables, avec des arbres fruitiers laissés à l’abandon devant et un mur de corail qui se dégradait dans un coin. Je remontai doucement la courte allée pour garer ma voiture contre la sienne, et j’avais à peine mis le pied dehors que Deborah ouvrait déjà la porte d’entrée.

— Où étais-tu ? me lança-t-elle.

— Je suis allé à un cours de yoga, puis j’ai fait un saut au centre commercial pour m’acheter des chaussures, répliquai-je.

En réalité, je m’étais vraiment dépêché, arrivant à peine vingt minutes après son coup de fil, et j’étais assez vexé du ton qu’elle prenait.

— Entre, m’ordonna-t-elle, scrutant l’obscurité d’un air inquiet et se cramponnant à la porte comme si elle craignait qu’elle s’envole.

— Oui, votre Altesse, répondis-je et j’entrai.

La modeste demeure de Deborah était somptueusement décorée dans le style “Je n’ai pas de vie”. Son salon ressemblait à une chambre d’hôtel bon marché qui aurait été occupée par un groupe de rock, et dont on aurait tout pillé à l’exception de la télé et du magnétoscope. Il y avait une chaise et une table près d’une porte-fenêtre qui menait à un patio complètement envahi par les broussailles. Elle avait, cependant, réussi à dégoter une autre chaise quelque part, une chaise pliante à moitié branlante, et elle l’approcha de la table à mon intention. Je fus si touché par cette marque d’hospitalité que j’allai jusqu’à risquer ma vie en m’asseyant dessus.

— Alors, dis-je. Ça fait combien de temps qu’il a disparu ?

— Merde, répondit-elle. Trois heures et demie à peu près. Je crois. Elle secoua la tête et se laissa tomber sur l’autre chaise. On était censés se retrouver ici, et… il n’est pas venu. Je suis allée à son hôtel ; il n’y était pas.

— Et tu ne penses pas qu’il ait pu simplement aller quelque part ? demandai-je. Et j’en ai un peu honte, mais j’entretenais un certain espoir.

Deborah secoua la tête.

— Son portefeuille et ses clés étaient encore sur la commode. Le type l’a emmené, Dex. Il faut qu’on le trouve avant que… Elle se mordit la lèvre et détourna les yeux.

Je ne voyais pas très bien ce que je pouvais faire pour trouver Kyle. Comme je l’ai déjà dit, le genre d’aventure auquel nous étions confrontés m’était totalement étranger, et j’avais déjà fait preuve d’une grande imagination en songeant à suivre la piste de l’immobilier. Mais puisque Deborah disait “on”, je n’avais pas vraiment le choix, semblait-il. Les liens de famille, et tout ça… Je tentai, néanmoins, de me tirer de ce mauvais pas :

— Excuse-moi si ma question te paraît stupide, Deb, mais tu as signalé sa disparition ?

Elle leva les yeux vers moi et répondit d’un ton hargneux :

— Ouais. J’ai appelé le commissaire Matthews. Il a eu l’air soulagé. Il m’a dit de ne pas me mettre dans tous mes états, comme si j’étais une vieille bonne femme qui a des vapeurs. Elle secoua la tête. Je lui ai demandé d’envoyer un message à toutes les patrouilles, et il m’a répondu : « Pour quoi faire ? » Elle fit siffler l’air entre ses dents. Pour quoi faire ?… Nom de Dieu, Dexter, je l’aurais étranglé, mais… Elle haussa les épaules.

— Mais il a raison, remarquai-je.

— Ouais. Kyle est le seul qui sache à quoi ressemble le type, poursuivit-elle. On ne sait pas quel véhicule il conduit et on ignore son vrai nom… Merde, Dexter. Tout ce que je sais c’est qu’il a Kyle. Elle respira de façon saccadée. Quoi qu’il en soit, Matthews a appelé l’équipe de Kyle à Washington. Il a dit qu’il ne pouvait rien faire de plus. Elle secoua la tête à nouveau, l’air très abattue. Ils nous envoient quelqu’un mardi matin.

— Bon, très bien, dis-je avec optimisme. C’est vrai, on sait que ce type travaille très lentement.

— Mardi matin, répéta-t-elle. Deux jours. Par quoi tu crois qu’il commence, Dexter ? Il enlève une jambe d’abord ? Un bras ? Est-ce qu’il enlève les deux en même temps ?

— Non, répondis-je. L’un après l’autre. Elle me lança un regard noir. Quoi ? Ça paraît logique, non ?

— Pas à mes yeux, non. Rien dans toute cette histoire ne me paraît logique.

— Deborah, couper les bras et les jambes n’est pas le but principal de ce type. C’est juste la manière dont il s’y prend.